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L’égoïsme des applis de navigation GPS : pourquoi  Waze et autres Google Maps fonctionnent de moins en moins bien
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Ca marche trop bien

Au cours des 10 dernières années, les applications de trafic en temps réel sont devenues un accessoire standard pour le grand public. Selon un sondage Pew 2015, 90% des Américains utilisent des applications types Waze pour se déplacer.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : D'une certaine manière, ces applications et l'immense succès qu'elles rencontrent ne risquent-elles pas d’aggraver les embouteillages au lieu de les résorber ? Quels peuvent être les risques liés à ces applications (déviation vers une zone riveraine ou sensible ?

Alain Bonnafous :Pour bien comprendre ce que ces systèmes apportent, il faut comparer « l’avant » et « l’après ». Il y a, en matière d’encombrement et de choix d’itinéraires, un vieux principe établi par un anglais dans les années 50 qui est le principe de Wardrop. Il nous dit que s’il y a plusieurs itinéraires alternatifs, c’est le plus rapide qui sera choisi. En conséquence, si les conditions de circulation sont dégradées sur un itinéraire particulier, par exemple parce qu’il y a des travaux, les usagers emprunteront un itinéraire alternatif. Mais celui-ci sera plus encombré et à son tour plus lent. Le principe de Wardrop conduit alors à une situation dans laquelle les deux itinéraires consommeront le même temps.

Jusqu’aux années 70, cet ajustement se faisait en plusieurs jours, au rythme de l’apprentissage et des essais des automobilistes, mais est arrivée la C.B. (Cityzen Band), ou Cibi en bon français. Elle a permis des ajustements instantanés, en particulier pour les poids lourds et les grands rouleurs de la voiture particulière, comme les VRP.

Dans certain cas, on a pu voir fonctionner « en temps réel » ce principe de Wardrop : lorsque l’on a ouvert le contournement Est de Lyon, dans les années 90, il y avait environ trois millions de cibistes en France et les deux options d’itinéraires pour les trafics Nord-Sud se sont étonnamment « équilibrées » : les spécialistes du trafic ont pu observer qu’il n’y avait pas de différences de durée entre le passage par le centre (et le tunnel de Fourvière) et par le contournement, en dépit d’un allongement de trajet de 13 km.

Les appli que vous évoquez généralisent cet accès à une information qui est, en somme, une production sociale des usagers. Globalement, elle permet d’améliorer les conditions d’écoulement sur un réseau aux capacités limitées. Un part de la demande, bien informée des conditions de transport, peut même être dissuadée de se déplacer et de venir abonder la congestion. Il s’agit donc, en regard de la congestion et de ses inconvénients, d’une évolution des choses plutôt positive.

En dehors de la circulation, les appli basées sur le crowdsourcing voient leurs utilisateurs signaler en temps réel l'emplacement des radars fixes et mobiles. En ce sens, ces applications peuvent avoir un effet néfaste sur le comportement des automobilistes. Peut-on imaginer de contrôler le flux d'informations sur ce type d'application ?

Vous posez un problème qui renvoie à une question plus générale : lorsque l’on ouvre un espace de liberté, on crée des risques d’effets pervers. Un automobiliste mieux informé des conditions de circulation par un réseau social particulier peut être aussi mieux informé des dispositifs de contrôle et donc être tenté de jouer avec. Sauf à mettre en place un système de contrôle social à la chinoise, je ne vois pas comment on pourrait aujourd’hui réguler le contenu des messages.

Il me semble plus pertinent de responsabiliser les usagers et de sanctionner plus durement les infractions. C’est ce qui s’est passé aux USA et au Canada, à mesure que cette production participative, ce crowdsourcing s’est développé avec des niveaux d’amendes redoutables en cas d’infractions sur les vitesses relevées, par exemple par des hélicoptères qui vont plus vite que l’information partagée. Au total les limitations de vitesse y sont mieux respectées qu’en France.

Dans ce domaine du comportemnt de l’automobiliste, il est plus facile de traiter ces effets pervers que dans celui de l’information qui est le vrai champ de mines du crowdsourcing. Un exemple dans le domaine des transports : on lit encore sur Wikipédia, prototype de la production participative, que la libéralisation du chemin de fer britannique s’est faite aux dépens de la sécurité. Dans les débats récents sur le ferroviaire, j’ai entendu (je les compte) cinq journalistes répéter ou admettre cela de bonne foi alors qu’Il est aisé de vérifier que le système britannique est numéro 1 sur les 27 réseaux de l’UE en matière de sécurité. Le vrai problème du crowdsourcing me semble être la production d’une pensée dominante hors de toute pertinence, en somme d’un délire collectif. La libre pensée sera réservée aux esprits sceptiques qui auront l’obsession de la vérification.

Le problème ne viendrait-il pas du fait que ces nouveaux outils soient proposés par le secteur privé sans participation des pouvoirs publics ? Peut-on imaginer un partenariat avec les autorités publiques qui profiterait à tous ? (les usagers faisant remonter les informations sur le trafic en temps réel, tandis que les autorités signalent les zones de travaux ou les fermetures inopinées de certains tronçons.).

Les chercheurs qui se sont penchés sur les comportements liés à ces nouveaux outils commencent à produire des choses intéressantes. Ce que j’en retiens personnellement, c’est que l’individu qui les utilise a une capacité d’improvisation supérieure à celui qui les ignore. Par exemple, s’agissant des déplacements, pour changer d’itinéraire ou pour trouver un restaurant sur sa route. 

Je ne suis pas certain que l’anthropologie du service public soit très favorable à l’improvisation, alors que l’initiative privée ne se pose pas le problème de savoir si elle aliène ou si elle libère. Elle se contente de produire de la valeur. La bonne distribution des rôles repose alors sur l’idée que tout cela requiert le contrôle d’un régulateur qui ne peut être qu’une autorité publique, soit à créer soit par extension des compétences de régulateurs existants comme l’ARCEC ou le CSA. A condition bien entendu de bien définir son rôle (qui n’est pas nécessairement de dire si la proportion des hommes blanc de plus de cinquante ans est convenable).

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