L’éducation, priorité de la campagne Macron 2022 : que peut le en-même-temps ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron répond aux questions des journalistes aux côtés de Gérald Darmanin et de Jean-Michel Blanquer lors d'une visite sur le thème des "camps d'été d'apprentissage".
Emmanuel Macron répond aux questions des journalistes aux côtés de Gérald Darmanin et de Jean-Michel Blanquer lors d'une visite sur le thème des "camps d'été d'apprentissage".
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

Réformes

Sur le plan économique et idéologique, l'Education nationale a été fragilisée par un manque de stratégie claire ces dernières décennies. Regards croisés de Marc Guiraud et Charles Reviens.

Marc Guiraud

Marc Guiraud

Marc Guiraud est un ancien journaliste en charge des questions d’éducation et est l’auteur de « La République lycéenne » avec Gilbert Longhi et « L’école ou la guerre civile » avec Philippe Meirieu.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico :  Emmanuel Macron veut faire de l'Éducation nationale l’une des priorités de sa campagne de 2022. Est-ce dans l'absolu une bonne idée ?

Marc Guiraud : Bien entendu. Car la situation est grave. Depuis 30 ans, lors des précédentes élections présidentielles, les propositions des candidats et des partis politiques sont très loin d’être au niveau des défis de l’école. Les défis se résument en quelques chiffres incontestables et bien connus (cf taux d’échec en CM2, PISA, taux d’échec à la fin de la scolarité obligatoire) qui devraient interpeller bien davantage. L’objectif des propositions des candidats à l’élection présidentielle devrait être de répondre précisément et concrètement aux dysfonctionnements révélés par ces chiffres, qui pénalisent lourdement notre pays.

Qu’il y ait « un enjeu pour remettre les professeurs au centre de notre société, la valorisation de leur parcours, la valorisation des rémunérations des enseignants", comme l’a récemment déclaré Stanislas Guérini, c’est évident. Mais il faut pousser le raisonnement et déjà se demander si les professeurs ne devraient pas être bien davantage au centre des établissements scolaires. « Être capable de revoir l’organisation des établissements », avec davantage d’autonomie, « la capacité de choisir l’équipe pédagogique » dit Guérini (en clair, que le chef d’établissement puisse recruter des professeurs), bien entendu. C’est certainement l’une des propositions (qui a été portée par la droite) qui permettrait d’améliorer les résultats du système scolaire, mais tous les syndicats y sont totalement opposés. On voit bien qu’En Marche avance sur ses deux jambes : la gauche avec l’augmentation des rémunérations des profs, et la droite avec l’autonomie des établissements.

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On sait que le chef de l’État est adepte du « en même temps ». Sur ces dernières décennies, la position consistant à ne pas trancher sur une vision claire des politiques publiques -une forme de en même temps avant la lettre- dans l’Éducation nationale , n’a-t-elle pas justement été particulièrement dommageable, tous gouvernements confondus ?

Marc Guiraud : Depuis 30 ans, aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a réussi à corriger les nombreux défauts de notre système scolaire, qui est à la fois très inégalitaire et peu performant. Cela interpelle sur notre incapacité collective (élus, gouvernants, syndicats, administration, parents d’élèves…) à réformer nos organisations publiques alors que les dysfonctionnements sont connus et les enjeux majeurs.

La « massification » du système scolaire, initiée sous la droite, avec le « collège pour tous » de René Haby et poursuivie sous la gauche avec notamment le « 80% d’une génération au niveau du bac » de Jean-Pierre Chevènement, n’a jamais été accompagnée d’une transformation des méthodes et de l’organisation. On a changé l’échelle des flux entrants sans modifier en conséquence le système qui doit les gérer.

Ces trente dernières années, nous avons vu deux types d’approches inefficaces face aux enjeux de la massification, qu’on peut résumer, en simplifiant, de droite et gauche.

Approche « de droite ».

Le repli sur une vision de l’école du passé « où les élèves travaillaient et respectaient les profs ». Cette vision nostalgique est un mensonge factuel, sans compter que les conditions ont changé et que tenter de reproduire aujourd’hui un pseudo modèle ancien est le meilleur moyen de n’avoir aucun résultat.

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Cette approche « de droite » consiste à décréter que l’autorité des professeurs doit être restaurée et qu’il faut changer les programmes. C’est une approche incantatoire (de type « faut qu’on, y a qu’à ») qui se contente d’une autorité de façade au détriment de l’autorité réelle et profonde.

Bien entendu que l’autorité est indispensable, de même que l’exigence. Mais ce ne sont pas des objectifs en soi, ce sont des moyens pour atteindre l’objectif d’un niveau de formation élevé pour le maximum de jeunes, condition sine qua non de la performance économique du pays et de la paix sociale. Ces deux facteurs indissociables sont les clefs du développement économique, du progrès et de la puissance de la Nation.

Or l’autorité et le respect des valeurs républicaines ne se décrètent pas. L’incantation, la force et les symboles désincarnés n’auront que des résultats limités, surtout si les actes quotidiens des professeurs disent le contraire des discours. L’éducation civique ne peut pas être seulement théorique. Seule sa pratique quotidienne et l’exemplarité des adultes modifient les comportements des enfants.

L’autorité des professeurs doit être évidente, induite par le respect naturel inspiré par l’efficacité de leur travail en faveur de la réussite de tous, ainsi que par une organisation et des pratiques prouvant la supériorité du « modèle civique » sur le « modèle sauvage ». C’est ce qui les remettra, naturellement, au centre de la société.

Approche « de gauche ».

Elle consiste à demander davantage de moyens tout en refusant les changements d’organisation des établissements et de pratique des enseignants.

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Or les augmentations de postes et de budgets n’ont jamais produit de résultats significatifs.

Les mesures prises par la gauche au pouvoir (moyens supplémentaires dans les ZEP par exemple) ont échoué.

Les bricolages organisationnels statutaires (heures supplémentaires dédiées à des tâches spécifiques – professeur principal – conseil en orientation…) reviennent à jeter de l’eau sur le sable.

Ces deux approches négligent de formuler des objectifs clairs et partagés ainsi que de décrire les modalités pour y parvenir, qui seraient acceptées par les profs et les familles. Elles oublient les sujets majeurs des méthodes pédagogiques, de l’appui du numérique, et de l’organisation des établissements, sujets qui mériteraient une vraie révolution, si l’on ne veut pas que les mêmes causes continuent à produire les mêmes effets.

Sur le plan économique et idéologique, comment s'est manifesté ce refus de trancher véritablement en faveur d'une stratégie ? A quel point cela a-t-il plombé l'Éducation nationale ces dernières décennies ? Quelles sont les décisions et grands axes de politiques qui ont plombé l'Éducation nationale en France ces 50 dernières années ?

Marc Guiraud : L’Éducation nationale est dans une situation bloquée. Il faudrait à la fois lever les blocages des syndicats, les idées reçues des parents d’élèves et surtout que les politiques sortent d’une approche purement électoraliste et de grilles d’analyse stéréotypées, qu’ils arrêtent de ressortir à chaque élection les mêmes idées qui n’ont jamais donné aucun résultat. 

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Il faudrait aussi que le sujet ne soit pas systématiquement pris en otage par des approches idéologiques et des raisonnements passionnels. Sans oublier la référence à sa propre histoire scolaire ou aux exemples constatés dans son entourage pour illustrer telle thèse ou telle position.

Tous les témoignages des hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale (recteurs notamment) témoignent du verrouillage opéré depuis trente ans par les syndicats d’enseignants, et de l’impuissance des responsables politiques.

Un seul exemple. Le 12 février 2007, le ministre Gilles de Robien signe un décret qui allonge de une à trois heures hebdomadaires le temps de travail de certains enseignants, sans contrepartie financière. Il donne, par ailleurs, la possibilité aux chefs d'établissement de contraindre les enseignants à enseigner deux matières. C’est le système de la "bivalence". L'objectif est de réduire le nombre d’heures de cours non effectuées pour cause d’absence des professeurs, tout en diminuant les effectifs de plus de 3 000 postes en équivalent temps plein à la rentrée. Élu président de la République, Nicolas Sarkozy tient sa promesse électorale (et électoraliste) et annonce le 11 juin 2007 aux syndicats l'abrogation du décret Robien.

Le sujet est donc : comment passer de 150 000 enfants qui ne maitrisent pas la lecture ou le calcul à l’entrée en 6e à, disons 15 000 ? Comment passer de 150 000 jeunes quittant chaque année le système scolaire sans diplôme ni qualification à, disons, 15 000 ? Ce qui signifie d’abord comprendre pourquoi autant de jeunes (près de 20% d’une classe d’âge de 800 000) sont ainsi éjectés. Comment cela est-il concevable, possible et accepté ? C’est un chiffre considérable, c’est une bombe sociale à fragmentation déposée chaque année dans le pays. Le coût pour réinsérer ces jeunes (ceux qu’on arrive à repérer) dans la société, avec le travail des missions locales par exemple, ou à travers des contrats aidés, est faramineux. Comment se fait-il que les partis politiques n’aient pas fait de la résolution de ce problème un objectif majeur ? Comment atteindre les premières places du classement PISA en français, mathématiques et compétences telles que travail en groupe et expression orale ?

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Deuxième sujet : comment passer de 9% des enfants d’ouvriers et d’employés atteignant les grandes écoles à, disons 30% ? Versus 64% des enfants de cadres et professions libérales et intellectuelles. Je vous fais grâce des chiffres, mais en d’autres termes, les enfants de cadres sont 4,5 fois mieux représentés dans les grandes écoles que les enfants d’ouvriers. Un enfant d’ouvrier a moins d’une chance sur 10 d’y parvenir, un enfant de cadre a plus de 6 chances sur 10.

Cette inégalité réelle ou cette inéquité sont perçues par les jeunes et les familles des classes populaires.

La machine à éjecter commence à fonctionner dès l’école primaire, voire dès la maternelle. La confiance qu’un enfant doit acquérir se construit dès les premières années d’école. Or, souvent, les conditions d’enseignement sont telles que seuls les enfants qui sont soutenus et accompagnés à la maison (ou qui suivent des cours privés en parallèle) vont construire cette confiance qui permet d’apprendre.

Le manque de maîtrise des codes culturels du comportement face à un enseignant handicape sérieusement les enfants des classes populaires et notamment les enfants d’immigrés.

Les difficultés d’insertion professionnelle de jeunes de ces milieux à l’issue de parcours universitaires généralistes sans débouchés ne contribuent pas à favoriser la confiance dans le système.

La promesse de l’école républicaine, réussir selon ses mérites et son travail, l’ascenseur social, beaucoup de parents n’y croient plus.

Même les familles des classes aisées ne se sentent pas en sécurité scolaire dans l’école publique et se replient sur l’école privée, qui voit une flambée de ses effectifs.

Ces constats expliquent pour une part les tensions que vivent beaucoup d’établissements.

L’organisation traditionnelle « une heure de cours, trente élèves assis, un professeur, tous enfermés dans une classe », chaque professeur déconnecté des autres, et peu présent dans l’établissement, est probablement l’organisation la moins adaptée à l’objectif que des enfants apprennent ce qui est prévu dans les programmes scolaires. Notamment les enfants des classes sociales défavorisées qui n’ont ni les codes culturels, ni l’appui familial : ils n’ont que peu de chances de réussir à apprendre dans ce contexte.

Cette organisation génère naturellement une grande tension dans la classe et consomme une énorme énergie chez les professeurs.

Les devoirs à faire à la maison amplifient les inégalités sociales et les facteurs socioculturels qui favorisent ou non la réussite scolaire.

En rejoignant les sociétés d’aide aux devoirs (Acadomia et autres), certains professeurs font payer les familles une deuxième fois (ainsi que l’État puisque cette dépense est défiscalisée), ce qu’elles ont déjà payé à travers les impôts, pour tenter de faire réussir leurs enfants qui n’y arrivent pas, ou pas assez, dans le cadre de l’école publique.

Le grand paradoxe est que l’énorme majorité des enseignants est pleinement engagée dans son travail, déployant une volonté fantastique, et y consacrant bien davantage que les heures de cours réglementaires, pour des résultats très décevants. Le ratio dépense/résultats est franchement mauvais, on le sait depuis des dizaines d’années, mais jusqu’à présent aucun parti politique ni candidat ne s’est attaqué sérieusement au problème. 

Charles Reviens : Le président de la République en place et candidat quasi-déclaré à sa succession Emmanuel Macron semble effectivement vouloir faire de l’éducation, de la santé et du travail les piliers de son programme de campagne.

Comme il s’agit du candidat sortant, l’enjeu du bilan du quinquennat finissant se pose particulièrement pour Emmanuel Macron et son ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. Concernant spécifiquement Jean-Michel Blanquer, il faut se souvenir qu’il a bénéficié en début de septennat d’une forme d’état de grâce et d’a priori très favorables qui en ont fait un ministre visible et apprécié auquel de nombreux analystes qui lui prévoyaient une destinée politique ascendante. Cette situation semble désormais derrière nous avec des critiques virulentes venant tant de la droite (critique du bilan) que de la gauche radicale (du fait de la méfiance de Jean-Michel Blanquer contre les théories de la « déconstruction »). Il faut se rappeler une stabilité des sciences politiques depuis la troisième République qui fait du ministère de l’Éducation nationale le plus souvent le tombeau des hommes d’État, avec une probabilité de survie politique à long terme réduite pour les titulaires du poste.

Nous disposons de deux bilans récents portant sur la politique publique de l’éducation sur le quinquennat finissant. Il y a d’abord le bilan de l’Institut Montaigne, important thinktank dont l’antimacronisme radical ne constitue pas la caractéristique première et qui met en avant un bilan plutôt favorable de l’exécutif : priorité donnée à l’école primaire avec doublement des classes en éducation prioritaire et plafonnement du nombre d’élèves par classe, augmentation constante du budget accordé à l’éducation, modernisation du baccalauréat via la suppression des anciennes filières et la création de parcours individualisés pour les élèves, bonne gestion de la crise sanitaire covid-19 qui aura final impacté l’institution scolaire pendant près de la moitié du quinquennat.

Le Sénat prend une position bien différente dans le rapport de sa commission de la culture, de l'éducation et de la communication publié hier. Il constate notamment une baisse historique du nombre d’élèves en mathématiques : 59 % des élèves de terminale suivent un enseignement de mathématiques en terminale sous la forme d’une spécialité ou d’une option, alors qu’ils étaient 90 % avant la réforme. La Haute Assemblée recommande donc que TOUS les élèves de première et terminale suivent un enseignement de mathématiques de quelque nature que ce soit. Cette évolution semble en effet très préoccupante au regard de l’évolution déjà mauvaise du niveau de mathématiques en France dans les comparaisons internationales.

Il y a enfin le jugement de l’opinion publique sur le bilan du quinquennat. Selon le dernière baromètre Odoxa, la bonne image d’Emmanuel Macron, au moins en termes relatifs par rapport à son prédécesseur François Hollande, n’empêche pas les Françaises et les Français d’avoir un jugement sectoriel sévère puisque 66 % des sondés considèrent que le bilan d’Emmanuel Macron est négatif en matière d’éducation, soit la troisième performance la plus faible, le thème de l’éducation n'étant devancé que par le pouvoir d’achat et l’immigration.

Le quinquennat Macron est-il la preuve des problèmes que pose le '"en même temps"' dans l'Education nationale ? Quel regard portez-vous sur le bilan d’Emmanuel Macron sur l’Education nationale ?

Marc Guiraud : Pas du tout. Le « en même temps » peut, au contraire, être la solution pour déverrouiller le système. Malgré les très grosses réformes portées par Jean-Michel Blanquer, on peut dire que le quinquennat n’a pas déployé un plan majeur de correction des dysfonctionnements structurels de l’école française. Il semble que ce pourrait être l’ambition d’un prochain quinquennat, en s’attaquant ”à la structure de l’administration”, selon un ministre cité par France Info, même si à ce stade, on manque d’éléments pour dire si le plan « En Marche / Macron » pour l’école 2022 – 2027 serait vraiment révolutionnaire. L’idée de lier la revalorisation des salaires des profs à des changements de méthode et d’organisation rappelle le ratage de 1988. Avant les élections, Laurent Fabius, au PS, avait signé avec la FEN un accord « revalorisation salariale des profs + travailler autrement ». Mais c’est son ennemi du PS, Lionel Jospin, qui avait été nommé ministre de l’Éducation nationale. Et ce dernier avait donc déchiré cet accord, au nom de ses petits intérêts politiques.

Un autre ministre avait un temps évoqué l’idée que les professeurs devraient passer 35 heures dans leur établissement. Idée vite enterrée, alors qu’elle permettrait de régler énormément de problèmes : 100% des heures d’enseignement assurées puisque tout professeur absent serait immédiatement remplacé, travail en commun des profs naturel, aide aux élèves personnalisée, devoirs faits dans l’établissement, nombre d’heures de cours pouvant varier selon les professeurs (ancienneté, rôle…), bref possibilité d’organiser le fonctionnement de l’établissement autour d’une vraie équipe de profs au service de la réussite des élèves. Comme le disait Claude Allègre, « l’école publique doit être son propre recours ». Autrement dit, 99% des élèves devraient y réussir.

De ce point de vue, « repenser la fonction » et donner la liberté aux écoles de « bâtir leur propre projet pédagogique selon leur territoire » comme le suggère Emmanuel Macron, serait aussi une grande innovation. En revanche, donner des primes à ceux qui innovent ou tiennent davantage de réunions avec les parents paraît l’exemple même de la fausse bonne idée. Surtout si l’on part du principe que c’est l’ensemble du système qui doit changer ses paramètres.

Mais si transformer l’école en profondeur est certes indispensable, cela ne sera possible sans un grand accord, qui serait historique, avec les syndicats, des enseignants, des chefs d’établissements et des administratifs, avec les associations de professeurs et les associations de parents d’élèves, ni sans le ralliement ou la neutralisation des multiples groupes de pression et d’influence, sans parler des médias… Comment déclencher un changement de fond dans mettre les profs dans la rue, ce sera incontestablement un défi majeur.

Dans quelle mesure la situation de l'Éducation nationale est-elle liée à une incapacité à réformer l’Etat depuis plusieurs décennies ?

Charles Reviens : Il faut partir d’un diagnostic sur la situation française à date, et j’avais fait au moment de la rentrée scolaire 2021-2022 une contribution Atlantico sur la situation de l’écosystème éducatif.

Pour mémoire la France avait constitué sous la troisième République un système d’enseignement durablement considéré parmi les meilleurs voire le meilleur du monde. Il semble y avoir eu depuis une lente dégradation puisque la situation avait déjà beaucoup changé en 1984 lorsque la réforme promise par François Mitterrand de constituer le SPULEN (service public unifié et laïque de l’éducation nationale) échoue face à une vaste contestation beaucoup moins liée à la question religieuse qu’à la volonté des nombreux parents de disposer d’une alternative à l’éducation nationale face à la dégradation avérée ou ressentie du système d’enseignement public. Dans le débat présidentiel, on peut constater que, dans ce domaine comme dans certains autres, le programme d’Éric Zemmour est nostalgique d’une « France d’avant » qu’il faudrait pour partie rétablir.

En matière de comparaison internationale, une référence fréquente est faite à la performance désormais considérée remarque des écosystèmes éducatifs asiatiques, Laurent Alexandre évoquant dans un article de Figaro Vox la volonté de la Chine de gagner la guerre des intelligences tant biologique qu’artificielle. Et de fait la France subit une évolution défavorable dans le classement PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) dont la dernière livraison date de 2018 : PISA plaçait alors pour les mathématiques la Chine en tête puis les pays développés d’Asie du Sud, en ensuite l’Europe du Nord au sens large et la Canada. Suivaient derrière les autres membres de l’OCDE dont la France.

PISA est un indicateur important mais il faut faire attention à la séduction de l’application à la France des recettes des pays mieux positionnés qui font fi des différences anthropologiques ou d’autres éléments structurants comme la nature de la politique migratoire. Hélas à date il n’y a jamais eu de « révolte » et de grand plan français visant à redresser la situation, à la différence de l’Allemagne qui a connu « un choc PISA » dans les années 2000.

Il faudrait donc d’abord fixer des objectifs et une ambition claire. Après se posent des questions d’organisation, comme la question de la centralisation ou décentralisation des politiques d’éducation mais également l’enjeu des finances publiques : la dépense publique française en matière d’éducation n’est pas spectaculairement plus élevée que celle des autres pays européens et il faut chaque fois rappeler que la cause fondamentale de l’écart massif de dépenses publiques entre la France et ses pairs européens ou de l’OCDE se localise quasiment exclusivement dans la dépense sociale au sens large.

En outre des questions d’organisation conduisent à ce que cette dépense importante n’empêche pas les rémunérations des enseignants d’être faibles, notamment au regard de l’Europe du Nord. Le wagon des mal payés inclut les Français, les Britanniques, les Italiens et les Portugais.

Donc il ya a bien un sujet « réforme de l’Etat » dans l’amélioration de la situation éducative de la France.

Peut-on aujourd’hui réformer l’Education nationale sans réformer l’Etat au sens large ?

Charles Reviens : Il y a à la fois des points globaux concernant les politiques publiques en sens large et des points tout à fait spécifiques aux politiques d’éducation.

Concernant les points de spécificité, on peut noter la centralisation très forte du système français avec un service public national, alors qu’en Allemagne par exemple la politique publique de l’éducation relève des Länder : c’est le fameux Mammouth dénoncé il y a plus de vingt ans par le ministre Claude Allègre sans que beaucoup de chose n’ait changé depuis.

Une deuxième différence concerne le caractère très monolithique du dispositif français alors que l’Allemagne préserve une vaste différentiation de son système qui offre notamment une large place à l’enseignement professionnel. On retrouve ici la critique du collège unique exprimée par exemple par Éric Zemmour.

On constate en outre l’augmentation majeure de la proportion d’une classe d’âge obtenant le diplôme. Le triptyque structurant certificat d’étude-brevet-baccalauréat a été remplacé par l’obtention de plus en plus facile de ces diplômes, prélude à leur dévalorisation et probablement ensuite à leur disparition comme ce qu’on peut présager pour le baccalauréat. Moins de 5 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1946 et cette proportion avait augmenté 29 % en 1985, proportion quasiment triplée en trente ans (79.6% en 2015). La situation française a totalement divergé par rapport à l’Allemagne (Abitur) ou la Suisse (maturité) puisque ces équivalents du baccalauréat ne sont obtenus encore aujourd’hui que par un tiers d’une classe d’âge, les voies professionnelles demeurant encore privilégiées.

Il faut de fait regarder l’écosystème éducatif complet en y incluant l’enseignement professionnel et l’apprentissage. D’autres sujets sur l’éducation concernent le contenu des programmes et pour finir la « mission » de l’Education nationale : contenu des programmes, positionnement sur l’économie et les entreprises, enjeu de l’accès aux écoles de certains activistes. Dans les faits il y a plein de réformes depuis quarante ans et ces réformes n’ont soit pas permettre de redresser la situation soit ont clairement contribué à l’affaiblissement du dispositif national.

Donc il y a énormément d’enjeux propres à cette politique publique majeure qu’est l’éducation. Mais bien sûr il y a des liens clairs à la fois avec une sorte de tronc commun de la réforme de l’Etat (organisation de la fonction publique, allocation de ressources, triptyque centralisation/décentralisation/déconcentration…) et des liens évidents avec d’autres politiques publiques comme la sécurité et l’ordre publique ou la politique migratoire.

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