L’Allemagne a besoin de 7 millions de travailleurs et entend se tourner vers l’immigration pour y répondre. L’espace Schengen pourra-t-il y survivre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne est assise à une table lors d'une bourse de l'emploi pour les migrants et les réfugiés lancée par le Pôle emploi allemand (Agence fédérale pour l'emploi) à Berlin.
Une personne est assise à une table lors d'une bourse de l'emploi pour les migrants et les réfugiés lancée par le Pôle emploi allemand (Agence fédérale pour l'emploi) à Berlin.
©Tobias SCHWARZ / AFP

Main-d'oeuvre

Berlin travaille à une modification de sa législation sur l’immigration pour faire face aux pénuries de travailleurs.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Berlin travaille à une modification de sa législation sur l’immigration pour faire face aux pénuries de travailleurs. Que prévoit exactement l’Allemagne à ce stade ?

Rodrigo Ballester : Le gouvernement allemand met simplement en œuvre ce qu’il a très clairement annoncé dans son accord de coalition qui contient de nombreuses références à la migration légale et aux travailleurs qualifiés. Il s’agit d’une loi conçue pour favoriser l’arrivée de travailleurs qualifiés qui ne sont pas des ressortissants de l’UE (Skilled Workers Immigration Act) et remédier à une pénurie de travailleurs que les autorités allemandes auraient estimée à deux millions de postes en 2022.

Concrètement, ce projet de loi donnerait des facilités aux travailleurs diplômés au niveau universitaire qui ont déjà une offre d’emploi et aux travailleurs issus de la formation professionnelle ayant au moins deux ans d’expérience professionnelle dans l’un des secteursclés. Dernier cas de figure, une « carte d’opportunité » pour les personnes susceptibles de trouver un emploi sans avoir une offre concrète. Le projet contient d’autres mesures d’accompagnement et le gouvernement prévoit d’accueillir jusqu’à 60 000 personnes par an.

En gros, un projet de loi ambitieux pour mettre fin à la hantise allemande, assez réelle au demeurant, de la pénurie de travailleurs. On se souviendra que ce fut l’une des raisons pour lesquelles l’Allemagne se montra si accueillante en 2015, elle pensait sincèrement pouvoir profiter des qualifications et du savoir-faire de nombreux « réfugiés » (certains l’étant, d’autres beaucoup moins). La réalité fut bien différente et la reconnaissance de diplômes bien plus complexe.

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L’Allemagne a besoin de 7 millions de travailleurs d’ici 2035 et compte donc s’appuyer sur l’immigration pour faire face à ce besoin. L’espace Schengen pourra-t-il y survivre ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question « Schengen ». Si l’Allemagne accueillait subitement un nombre élevé de migrants illégaux qui, une fois entrés, pourraient facilement circuler dans un espace sans frontières, alors oui. Mais ce n’est pas vraiment le cas. D’une part, selon le Traités, il revient à chaque Etat membre de décider qui et combien de ressortissants d’Etats tiers rentrent dans leur territoire pour y travailler. D’autre part, si ces personnes venaient à « fuir » l’Allemagne pour s’installer dans un autre Etat membre, elles en auraient le droit au bout de cinq ans, voire même avant. Finalement, votre voisin d’outre-Rhin reste l’une des destinations les plus attirantes en Europe pour les travailleurs qualifiés et ceux-ci ne seraient susceptibles de partir vers un autre pays de l’UE que s’ils avaient une offre d’emploi. La situation de 2015 était bien différente : une marée inattendue de migrants illégaux qui pénètrent l’espace Schengen après une décision unilatérale (et contraire au droit européen !) du gouvernement Merkel.

Par contre, cette loi allemande soulève d’autres problèmes, notamment celui de la fuite des cerveaux des pays-tiers. C’est bien beau de s’inquiéter des pénuries de travailleurs chez soi, mais on ne peut ignorer que cela a un impact délétère sur les pays d’origine car un autre pays leur siphonne leurs talents et leurs neurones sans avoir investi un kopek dans leur éducation. Ce problème existe également entre Etats de l’UE, les pays Baltes ont déjà tiré la sonnette d’alarme il y a dix ans et des pays comme la Bulgarie et la Roumanie en ont également beaucoup souffert. Alors imaginez l’ampleur du problème pour des pays tiers, notamment dans les Balkans occidentaux dont la jeunesse s’exile. C’est dramatique.

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Finalement, l’Allemagne devra également gérer l’impact culturel et démographique d’une arrivée graduelle mais certes massive de migrants de pays tiers. Un sujet qu’on évoque rarement alors qu’il est crucial et, qu’on le veuille ou non, incontournable. Vous en savez quelque chose en France.

Comment expliquer que l’Allemagne se tourne ainsi vers l’immigration pour régler son problème de main-d'œuvre ?

Pour trois raisons, à mon avis. Premièrement, le besoin immédiat de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs dans lesquels il faut agir vite. Deuxièmement, le vieillissement de la population allemande dont le taux de natalité stagne depuis plusieurs décennies à plus ou moins 1.5 enfant par femme. Certes, il y a pire en Europe (l’Italie ou l’Espagne par exemple) mais force est de constater que les politiques natalistes adoptées il y a deux décennies n’ont pas eu l’effet escompté. Troisièmement, les élites allemandes en général et ce gouvernement en particulier sont très favorables à l’immigration comme le montre l’accord de coalition signé en 2021 qui contemple le pays comme une terre de migration depuis des siècles. En revanche pas une seule référence à la démographie ou à la natalité. Révélateur.

Berlin a-t-elle conscience des potentielles conséquences européennes de sa stratégie ? 

Encore une fois, n’exagérons pas les conséquences au niveau européen, il ne s’agit pas d’un « cas Schengen » et selon le droit européen, l’Allemagne peut décider qui vient légalement travailler sur son territoire.

Mais la question reste pertinente car, en effet, en 2015, le gouvernement Merkel n’avait eu aucun égard à ce moment-là, et son approche à la fois arrogante et dogmatique avait bien entendu eu des conséquences très graves pour nombre de ses voisins. La question, c’est plutôt de savoir si Scholz serait resté droit dans ses bottes même si sa politique avait un impact considérable et négatif sur ses voisins. On ne peut que spéculer, mais le précédent de 2015 ainsi que le tropisme pro-immigration de cette coalition en disent long.

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Quant à l’UE, elle ne va sûrement pas s’en émouvoir, et pour cause. Tout d’abord, car il n’y a aucune infraction au droit européen. Deuxièmement, les rares textes européens en matière de migration légale vont exactement dans le même sens : « Blue card » européenne, un permis de travail pour les travailleurs qualifiés à l’échelle européenne qui consiste précisément à leur donner plus de facilités pour circuler dans toute l’Union. Ou la directive sur les résidents de longue durée qui compare les droits de circulation des ressortissants d’États tiers à ceux des citoyens européens après cinq ans. Et concernant la démographie, il y a encore moins d’appétit à Bruxelles qu’à Berlin pour en parler quand bien même l’une des commissaires est censée mener ce dossier! Pour l’UE, la solution au vieillissement passe par la migration, point barre. Si seulement la Commission et le Parlement regardaient le désolant et gravissime suicide démographique européen qui affecte tous les pays avec la moitié du quart de la véhémence et de la ferveur qu’ils dédient au changement climatique…

Donc, soyons clairs, sur la migration légale, Bruxelles et Berlin sont exactement sur la même longueur d’onde.

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