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Des agriculteurs mobilisés en février 2024 dans le cadre du mouvement de contestation sur les normes et les prix.
Des agriculteurs mobilisés en février 2024 dans le cadre du mouvement de contestation sur les normes et les prix.
©Loïc Venance AFP

Rébellion des agriculteurs

Une tribune de Pierre Pagesse, ancien président du Groupe coopératif Limagrain et du MOMA (Mouvement pour une Organisation Mondiale de l’Agriculture).

Pierre Pagesse

Pierre Pagesse

Pierre Pagesse est l'ancien président du Groupe coopératif Limagrain et du MOMA (Mouvement pour une Organisation Mondiale de l’Agriculture).

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À l’heure où j’écris ces lignes, l’issue définitive des négociations entre les représentants des agriculteurs et nos gouvernants demeure incertaine. Je viens cependant partager avec vous quelques éléments de mon analyse.

Les agriculteurs français et européens dénoncent la concurrence déloyale à laquelle ils se trouvent confrontés.

Face aux prix internationaux, résultat des accords de l’OMC, et à la suppression de certains moyens de production, nos agriculteurs sont dans l’impasse et notre souveraineté alimentaire perdue. Pour la France et pour l’Europe, il s’agit d’un déclassement de leur influence et de leur rayonnement politique.

Résultat d’une écologie radicale qui a su exercer un lobbying forcené, tant au niveau national – la FNE, puissante association environnementale est subventionnée par le ministère de l’Environnement – qu’au niveau européen : près de 40 ONG, elles aussi largement soutenues, sont, non seulement présentes au Parlement, mais aussi en amont de la constitution des directives, règlements et normes dans les commissions et groupes de travail.

Au nom de la nature, de la biodiversité, du climat et donc de la transition énergétique, cette idéologie de l’écologie, déconnectée de la réalité, conduit à l’impasse économique et à la récession, c’est-à-dire à la décroissance. Décroissance qui prive l’Union européenne et la France des investissements nécessaires à la production d’énergie décarbonée, à la constitution d’une défense européenne digne de ce nom et des moyens de recherche adéquats, susceptibles de nous permettre de relever les défis qui se présentent, quels que soient les domaines d’application. En un mot, donner les moyens à l’État de remplir son rôle régalien.

La résolution de cette crise agricole devrait aboutir à la suppression de toutes les surtranspositions européennes qui s’avèrent autant de handicaps supplémentaires. Elle devrait également engager nos gouvernants dans une opposition claire au projet décroissant du Green Deal de la Commission européenne, notamment à la réduction de 50 % des phytosanitaires.

Pesticides signifie « tueurs de peste ». Ils sont indispensables à la sécurité sanitaire de nos aliments. Mauvaises herbes, virus, bactéries, champignons, alcaloïdes constituent autant de précurseurs des toxines, mycotoxines, aflatoxines néfastes pour la santé, puisque perturbateurs endocriniens et cancérigènes. La diminution de leur utilisation ne passera rationnellement que par le développement des technologies des sciences de la vie – notamment les NBT – afin de rendre nos variétés cultivées plus tolérantes à l’ensemble de ces agresseurs dits biotiques et même abiotiques (liés au climat).

Notre agriculture productive est l’une des meilleuresalliées de l’environnement, pour plusieurs raisons :

- par ses bons rendements, elle protège la biodiversité en évitant l’extension des surfaces cultivées pour combler les besoins

- elle est, devant la forêt, le premier puits de carbone : 21 tonnes de CO2 captées à l’ha cultivé en moyenne en France, pour 1, 5 tonnes de CO2 émis à travers l’usage des intrants. Soit un solde très positif, contrairement aux mensonges relayés quant àsa responsabilité de 20 % des émissions.

- elle permet de stocker du carbone dans nos sols. Les 4 ‰ de la COP 21 permettraient à eux seuls d’obtenir la neutralité carbone tant recherchée, sous réserve de faire évoluer certaines pratiques culturales. Ce stockage est vertueux puisqu’il améliore la fertilité de nos sols, favorise une meilleure rétention de l’eau et augmente la vie microbienne et les auxiliaires de la couche arable.

Que dire, toujours dans le Green Deal, du triplement des surfaces destinées à l’agriculture biologique, alors que le secteur semble aujourd’hui déjà saturé en termes de débouchés…Quant à la limitation quantitative des engrais minéraux qui sont les constituants indispensables de l’alimentation de nos plantes et de la fertilité des sols, c’est un non-sens ; tout le contraire des sols morts !

C’est là aussi très contre-productif par rapport aux ambitions affichées.

Tout doit donc être mis en œuvre pour que l’agriculture retrouve sa compétitivité et remplisse ainsi les objectifs qu’on lui assigne.

On passe aussi trop souvent sous silence la reconnaissance de l’Unesco selon laquelle l’agriculture française est la plus sûre, la plus saine et la plus diversifiée du monde.

Un autre argument mis en avant pour protéger l’agriculture européenne est la clause miroir. Il ne s’agit pour moi que d’un miroir aux alouettes !

Depuis l’abandon de la préférence communautaire et les accords de l’OMC – ceux déjà signés – la qualité des produits alimentaires et leur circulation sont définis par le Codex Alimentarius. Les normes qui en découlent – plus de 300 – sont codifiées à l’international par le SPS (règles sanitaires et phytosanitaires) et ratifiées par l’Union européenne et la France.

S’il y a litige, c’est une instance arbitrale qui est saisie et que l’on appelle le « règlement des différends ». Le pays plaignant doit apporter la preuve que ce protocole est néfaste pour la santé humaine et l’environnement. À défaut, les pays peuvent toujours durcir leur règlementation, mais ils ne peuvent pas s’en servir de barrières tarifaires pour se protéger des importations. Seule la LMR (limite maximale de résidus) pourra être actionnée, autrement dit la qualité du produit final et non son processus de production. Cette clause miroir pourrait s’appliquer aux nouveaux accords, mais il sera impossible d’aller contrôler le processus de production, sous peine d’ingérence du pays exportateur. Par exemple, comment une hormone de synthèse, identique à l’hormone naturelle pourrait-elle être détectée chez les bovins ?

Sa faisabilité reste donc toujours à démontrer. 

Bien sûr la loi Egalim peut aider à mieux répartir les marges dans la chaîne alimentaire. Étiquetage et traçabilité sont aussi des outils utiles pour l’information du consommateur. En tout état de cause, cela ne l’empêchera pas de choisir le rapport qualité-prix qui lui semble le plus avantageux.

De nombreux pays dans le monde, y compris les plus libéraux (notamment USA ou Canada) disposent de politiques agricoles qui garantissent un chiffre d’affaires en lien avec les prix de revient moyens, et ce, quel que soit le prix mondial.

Ils le font à partir de la production en volume de chaque exploitation, sur une moyenne de 5 ans, à hauteur de 85 %.

Tout un programme protecteur du revenu, très éloigné du Green Deal et de ses contraintes ! Voilà qui pourrait utilement inspirer nos dirigeants.

Il faut aussi impérativement mettre un terme à l’extension de la zone Europe (ex. Ukraine). Une extension qui provoque sa dilution et inévitablement son affaiblissement. Celle déjà réalisée précipitamment a poussé certains États à se replier sur leurs spécialisations (par exemple l’industrie allemande) dans un esprit contraire à une véritable identité et à une vision commune de son devenir. 

Cette fuite en avant ébranle le citoyen européen que j’ai toujours été. Je souhaite que cette prise de conscience se traduise dans les faits afin de redonner espoir aux générations futures.

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