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Journée de lutte contre la maltraitance des personnes âgées : pourquoi les mauvais traitements à l’égard de nos aînés ne sont pas forcément ceux qu’on croit
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SOS seniors

La maltraitance à l'égard des personnes âgées demeure un sujet complexe, alors que ce mercredi 15 juin marque la 11ème journée internationale de lutte contre ce phénomène. Face au tabou et l'absence de données, il est difficile de juger son expansion, mais elle n'en demeure pas moins un problème de santé publique.

Nicole Jacquin-Mourain

Nicole Jacquin-Mourain

Nicole Jacquin-Mourain est docteur, gériatre, et consultante dans la filière médicale du vieillissement et du bien vieillir.

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Atlantico : Alors que le 15 juin 2016 a été déclarée 11ème journée internationale de lutte contre la maltraitance des personnes âgées, la fédération qui recense ces mauvais traitements annonce avoir reçu plus de 33 000 appels en 2015. Comment ce phénomène a-t-il évolué ces dernières années, alors que le nombre de personnes âgées ne cesse d'augmenter ? 

Nicole Jacquin-Mourain : C'est un phénomène dont on parle de plus en plus, sur lequel on essaye de faire un maximum de pédagogie. Il est difficile de donner des chiffres ou de dire s'il est en hausse, puisque nous disposons, au final, d'assez peu d'éléments. Cette maltraitance prend différentes formes et intervient dans différents lieux, qu'il s'agisse du domicile ou d'établissements médicaux (hôpitaux comme EHPAD). Malheureusement, des aidants – tant familiaux que professionnels – sont très fatigués, en sous-nombre. Le nombre de maladies neurodégénératives est, pour leur part, en forte hausse chez les personnes âgées. Or, il est très difficile de gérer au quotidien de telles pathologies. C'est éreintant, et beaucoup d'aidants sont épuisés. Ils ne disposent pas toujours du temps dont ils auraient besoin, pour pouvoir se reposer, pratiquer des "séjours de rupture". Il est important de rappeler que l'espérance de vie augmente, certes, mais que c'est loin de toujours impliquer une vieillesse en bonne santé. Cela suscite malheureusement des comportements inadaptés, dont il est difficile de donner une estimation quantifiable. De tels comportements ne sont évidemment pas recensés. Jusqu'à encore très récemment, ce sujet n'était absolument pas abordé, et les langues commencent seulement à se délier.

En outre, ce phénomène n'est pas toujours reconnu : souvent les gens qui maltraitent n'en ont pas conscience. Ils ne réalisent pas à quel point leur attitude, leur gestuelle ou leur propos peuvent être déplacés… Le plus souvent, d'ailleurs, ces personnes âgées sont très sensibles à l'émotionnel. Le reste est susceptible de s'en aller mais l'émotionnel reste, parfois jusqu'à la fin de la vie. Une simple mimique, un mot déplacé, peuvent donc s'avérer très délétères. La nécessité de mettre en avant la bientraitance, par opposition à la maltraitance, témoigne probablement de l'ampleur que prend potentiellement ce phénomène. C'est un problème réel, qui a majoritairement lieu à domicile (72% des cas, d'après les chiffres de la Fédération contre la maltraitance). Or, dans les familles, il est très souvent difficile de déterminer ce qu'il se passe. Il faut y intervenir avec beaucoup de doigté.

S'il est difficile de fournir des chiffres ou une estimation relative à la maltraitance des personnes âgées, il va de soi que la hausse du nombre de personnes âgées implique une hausse proportionnelle des maltraitances. Par ailleurs, celle-ci n'est pas uniquement le fruit d'une population plus jeune : il n'est pas rare qu'au sein des couples âgés se développe une certaine forme de conjugopathie, susceptible de donner lieu à des maltraitances quand l'un des deux partenaires se retrouve en situation de faiblesse. Les frustrations préalables qui se sont accumulées génèrent une revanche inconsciente, mais néanmoins bien présente. C'est pourquoi il est primordial de former les gens, qu'ils soient bénévoles ou non, qui viennent en aide à nos aînés.

Globalement, que sait-on du profil sociologique et du cadre de vie des personnes âgées maltraitées ? Qui sont-elles et que sait-on des personnes qui les maltraitent ?

Il n'y a pas, à mon sens, de maltraité "type". C'est quelque chose susceptible d'arriver dans absolument toutes les familles. C'est souvent une espèce de revanche, comme nous le disions tout à l'heure. Jusqu'à présent, les femmes étaient souvent enfermées dans un état de dépendance financière et sont régulièrement en charge de leur conjoint ensuite. Parfois elles sont veuves, certes, mais dans d'autres situations elles ont longuement été maltraitées et accumulent une certaine forme de rancœur. Au final, tout cela dépend également de la pathologie… Les facteurs sont trop nombreux pour brosser le portrait d'un maltraité "modèle", à calquer sur les autres. 

Dans la même logique, les maltraitants sont multiples. Il peut s'agir du personnel aidant, des enfants, des proches… En un sens, d'ailleurs, les enfants les plus souvent absents pratiquent une certaine forme de maltraitance. C'est aussi pour cela qu'il est difficile de dire qu'une personne âgée isolée de sa famille subit potentiellement moins de maltraitances qu'une personne âgée plus entourée. Ce n'est pas la forme de maltraitance. C'est, en outre, exclure toute forme de maltraitance en provenance de l'extérieur, pourtant bien réelle. Le personnel soignant peut maltraiter aussi. Lorsque quelqu'un est isolé, il est tout à fait dépendant. Un patient en EPHAD, par exemple, qui passerait une nuit à crier, serait jugé désagréable ou souffrirait d'incontinence, fait parfois l'objet de vengeance inconsciente. C'est à partir de là que s'enclenche un enchaînement de mauvaises pratiques, particulièrement en EPHAD où les conditions de travail sont particulièrement difficiles. Ainsi est faite la nature humaine.

La maltraitance n'est pas toujours physique. Quelles autres formes peut-elle prendre ? Dans quelle mesure le jeunisme ambiant concourt-il à banaliser ces maltraitances ?

La maltraitance peut être verbale : des mots et des phrases sont capables de blesser en profondeur, particulièrement quand ils sont prononcés en publics et que la personne âgée se sent humiliée devant des gens. Cela résulte souvent sur des vieilles personnes qui se sentent à la fois honteuses, choquées et malheureuses. La gestuelle joue également un rôle particulièrement important.

Je ne crois pas, en revanche, qu'il faille blâmer le jeunisme. Vu que l'on vieillit d'un trimestre par année en moyenne, il est important de vieillir en bonne santé. L'espérance de vie en bonne santé en France se dégrade et ce capital de vie est pourtant primordial. C'est un problème qu'il va falloir prendre en compte très sérieusement. C'est un soucis de santé publique.

Comment protéger nos aînés de ces mauvais traitements ?

La bientraitance, au sein des différentes formes de pédagogie, peut constituer une piste. Il s'agit de choses simples, mais qui ont leurs effets : parler avec respect aux personnes âgées, prendre la peine de frapper avant d'entrer dans une chambre, attendre la réponse… C'est également sourire à quelqu'un de malheureux, faire preuve de gentillesse et d'empathie à son égard, entre autres. C'est une conduite de bon sens. Cela fait partie des bonnes pratiques gériatriques, aussi élémentaires que de bien se laver les mains. 

La formation et la pédagogie sont essentielles. Il faut essayer de parler, tant avec le personnel qu'avec la famille. Il est important d'instaurer un climat de confiance et permettre des relations en bonne intelligence, plutôt que de favoriser la suspicion qui peut être propre aux personnes âgées. L'agressivité génère forcément de l'agressivité. Il est primordial d'avoir assez d'empathie, de gentillesse et la patience de s'adapter.

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