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Jeu vidéo : à quel moment passe-t-on du simple loisir à l'addiction ?
©Reuters

Game over

Le passage du simple fait de jouer aux jeux vidéos à l'addiction ne tient parfois qu'à un fil. C'est pourquoi il est important de savoir détecter cette nouvelle pathologie qui touche les jeunes, comme les moins jeunes.

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

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Atlantico : L’attitude du public envers les jeux vidéos – et des gens qui y jouent – est complexe. On constate ainsi par exemple, d’après un récent sondage du Pew Research Center, que sur 49% d’Américains adultes ayant déjà joué aux jeux vidéo (pratiquant le "gaming"), seulement 10% se disent joueurs ("gamers"). A partir de quel moment passe-t-on de la pratique du "gaming" au statut de "gamer" ? En d’autres termes, quand devient-on accroc aux jeux vidéo ?

Michaël Stora : La dépendance intervient avec l’apparition de la rupture des liens sociaux. Dans la vie de famille, cela peut se manifester au moment du repas du soir. Pour certains jeunes que j’ai pu rencontrer, cela va malheureusement jusqu’à la déscolarisation. Quant aux moins jeunes, ils peuvent aller jusqu’à cesser de travailler.

Existe-t-il des éléments déclencheurs de l’addiction aux jeux vidéo ?

Les éléments déclencheurs se manifestent sur un terrain qui est déjà fragile. Cette addiction ne concerne pas n’importe qui. Les éléments déclencheurs de l’addiction sont constitués par des événements qui vont remettre en question l’équilibre narcissique de l’individu, - son estime de lui -, comme un accident du travail, une séparation ou un décès.

Chez les jeunes, cela peut passer aussi par des résultats scolaires qui chutent. Compétiteurs dans l’âme, ils ne supportent pas de perdre et peuvent s’effondrer. Ils vont trouver dans les jeux vidéo le moyen de continuer à se battre et à gagner à tout prix.

Mais dans notre vie, c’est en perdant qu’on apprend à gagner. On ne peut pas toujours gagner, il est donc important de savoir perdre dans la vie. Sinon, on reste éternellement dans l’illusion de la toute-puissance de l’enfance. Grandir, c’est accepter que l’on n’est pas toujours tout-puissant.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’addiction constitue un moyen de se soigner et de ne pas sombrer dans la dépression. L’addiction est un anti-dépresseur. Petit à petit la personne se coupe du réel. Mon travail consiste alors à l’aider à envisager à nouveau une réalité qu’il est devenu difficile d’investir.

Nous sommes dans une société tyrannique qui veut la performance et la réussite à tout prix. Les parents sont parfois des relais de cette dynamique et je pense que ce n’est pas très sain.

En tant que parents, comment détecte-t-on la limite entre simple jeu et addiction ?

Les parents ne connaissent pas toujours bien cette culture du jeu vidéo. Donc, pour eux, de manière générale, une heure ou deux passées à jouer, c’est déjà trop. Je dis aux parents que leur attitude est saine et légitime, mais qu’il ne faut vraiment commencer à s’inquiéter que lorsque l’on est confronté à cette fameuse rupture au moment du repas du soir par exemple, ou avec les amis, ou avec les petit(e)s ami(e)s, ou avec l’école.

Cette pathologie se retrouve aussi assez souvent chez les enfants dits précoces – qui ont une perception du monde très anxiogène et qui ont besoin d’ordonner le monde dans lequel ils vivent. Ils sont renforcés dans une sorte de toute-puissance parce que les parents vont souvent confondre précocité intellectuelle et précocité affective. La précocité intellectuelle est une sorte de symptôme propre à notre société. Il s’agit d’enfants "adultifiés", qui ne supportent pas de perdre et qui ont souvent des difficultés relationnelles.

En quoi consiste cette addiction et comment se soigne-t-elle ?

L’addiction aux jeux vidéo se manifeste avant tout dans l’espace des jeux vidéo en ligne. L’enjeu (le game) l’emporte sur le plaisir de jouer (le play). Le joueur n’a plus vraiment de plaisir à jouer. Il est en mode quasiment automatique. L’unique but est de gagner.

Pour soigner cette addiction, la psychothérapie fait partie des indications mais elle n’est pas toujours très adaptée dans la mesure où il s’agit souvent de jeunes dont la parole a du mal à se libérer parce qu’ils sont très inhibés.

La thérapie familiale peut aussi avoir des vertus intéressantes lorsqu’il y a des dysfonctionnements au sein de la cellule familiale.

Certains centres proposent aussi l’hospitalisation pour certains de ces jeunes en pensant que cela va les guérir, mais sans prendre en compte que parfois on ne soigne pas la dépression.

Pour ma part, je propose aux jeunes concernés par cette addiction un programme qui leur permet de se déconnecter pendant une semaine à la campagne dans les Landes pour retrouver du plaisir à être ensemble et aussi à retrouver leurs 5 sens et leur propre corps. Les jeunes sont encadrés par des coachs de vie, des coachs sportifs et des coachs professionnels. Il s’agit de créer une très bonne dynamique de groupe afin qu’ils puissent continuer ensuite à se soutenir durant les 11 mois pendant lesquels on va continuer à les rencontrer une fois par mois. La seule solution qui a vraiment du sens est de suivre ces jeunes sur du long terme.

Cette addiction aux jeux vidéo n’est-elle pas mal accueillie par la communauté scientifique ?

En effet, pour l’Académie des Sciences comme pour la classification psychiatrique internationale (DSM 5), cette nouvelle pathologie n’existe pas. C’est une problématique complexe car il faut savoir que la dépression en elle-même n’est reconnue comme une maladie à part entière que depuis à peine 5 ans.  

Au-delà de cette absence d’étiquette sur cette nouvelle pathologie, je pense que cette situation constitue un déni de la souffrance des jeunes comme des moins jeunes que je rencontre.  

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