Jean-Pierre Mocky, cinéaste indomptable : "La France d’aujourd’hui me rappelle l’Union soviétique de l’époque du rideau de fer"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Pierre Mocky.
Jean-Pierre Mocky.
©Reuters

Bonnes feuilles

"Langue de bois, connais pas !", telle est la devise de Mocky l'indomptable, dont la filmographie illustre ses révoltes et indignations. Extrait de "Jean-Pierre Mocky - Je vais encore me faire des amis !", publié aux éditions Cherche Midi (2/2)

Jean-Pierre Mocky

Jean-Pierre Mocky

Réalisateur, acteur, producteur et scénariste. 

Artisan et ardent défenseur du cinéma populaire.

 

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Pire que le copiage : l’autocensure. Hélas, elle semble avoir encore de beaux jours devant elle. Mais à vouloir ménager la chèvre et le chou, on tue le cinéma ! S’obliger à supprimer certains personnages ou situations au profit d’autres, bien lisses, bien insipides, dans le seul objectif de complaire aux décideurs, c’est le comble du baissage de froc ! Beaucoup, y compris parmi les plus talentueux, ont pourtant fini par souscrire au confort de ce compromis. Des films comme Bienvenue chez les Ch’tis ou La Vérité si je mens ! représentent pour moi ce qui peut se faire de pire en la matière : tout y est dosé, calibré, calculé au millimètre. Il faut ménager la ménagère, flatter le footballeur, faire faire ci au Black, faire dire ça à la bimbo de service, etc. On dirige les acteurs comme des marionnettes, on les fait surjouer un maximum. Ça pue l’artifice à plein nez ! C’est asphyxiant. Et moi, j’ai besoin d’air. Si, un jour, j’ai envie de faire un film racontant les déboires d’un chauve impuissant et que mon distributeur potentiel est chauve et impuissant, il m’enverra faire foutre, mais mon film existera quand même !

>>>>>> A lire également : Jean-Pierre Mocky, cinéaste indomptable : "j’estime avoir raté ma carrière"

Au milieu des années 1990, période où, plus que jamais, je ruais dans les brancards, je reçus un coup de téléphone anonyme d’un homme qui se présenta comme un fonctionnaire de la Cour des comptes. Grand amateur de mes films, il me mit en garde : « Monsieur Mocky, méfiezvous : une coalition est en train de s’organiser contre vous. On cherche à vous couler. »

Je crus à un canular, jusqu’à ce que, lors d’un dîner en ville, l’auteur de l’appel tombe le masque et vienne tout me raconter. Assuré de sa bonne foi et de son intégrité, j’eus la confirmation d’avoir été placé sous haute surveillance. Moi, Jean-Pierre Mocky, étranger au monde de l’espionnage, exempt de tout délit et politiquement indépendant ! C’est précisément mon statut revendiqué de libre-penseur qui me valut ce traitement de faveur : comme Coluche, j’appartiens au cercle très restreint des artistes qui mettent les pieds dans le plat. Ennemi juré de la langue de bois, je n’ai jamais craint d’afficher mes révoltes. Ça me coûte de plus en plus cher, mais la liberté a un prix !

Mon film Ville à vendre, par exemple, qui traite d’un thème sensible (les cobayes humains et le lobby des laboratoires pharmaceutiques) connut, à sa sortie, une exposition correcte, grâce à une distribution plus qu’alléchante – une dizaine de vedettes de premier plan. Quelque temps plus tard, la télévision lui réserva d’emblée des diffusions (rarissimes) à des heures indues ou sur des chaînes confidentielles. Ne parlons pas des Ballets écarlates, qui fit l’objet d’une censure inadmissible ! Il est vrai qu’il dénonce une forme de pédophilie particulière : non pas les attouchements ou les viols d’enfants par des malades mentaux, mais les orgies commanditées et financées par des notables respectés, réputés sains de corps et d’esprit... Au journal de 20 heures, on évoque régulièrement des enfants retrouvés morts après avoir été violentés, puis abusés : que ne feraiton pour un peu de sang à la une ? En attendant, on se garde bien de parler de ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont rendus vivants à leurs familles (lesquelles, dans certains cas, sont complices) après avoir été utilisés dans des partouzes géantes. Vivants, oui, mais dans quel état ! Traumatisés à vie. De ceux-là, pourtant, on ne fait guère de cas.

La France d’aujourd’hui me rappelle l’Union soviétique de l’époque du rideau de fer. Notre pays est devenu celui des interdits, des tabous. On ne peut plus s’exprimer aussi librement qu’avant, sous peine de froisser le « politiquement correct » qu’on nous sert à toutes les sauces, sous couvert d’humanisme. Nous ne sommes pas très loin des diktats imposés par les islamistes radicaux et autres fondamentalistes. Il fut un temps où, évolution des moeurs oblige, on laissait aux cinéastes la possibilité d’offrir au public des oeuvres dénonçant d’odieux scandales. La nature humaine étant ce qu’elle est, on continue d’assister à des abus et des injustices invraisemblables. Nul besoin d’être communiste pour s’indigner, par exemple, des licenciements massifs d’ouvriers de chez Renault, à l’heure où Carlos Ghosn, son président, perçoit à titre personnel une vingtaine de millions d’euros par an. Si cela, ce n’est pas marcher sur la tête, je veux bien entrer dans les ordres !

Extrait de "Jean-Pierre Mocky - Je vais encore me faire des amis !", publié aux éditions Cherche Midi, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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