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Premières fissures avant naufrage ? Le Japon face à son premier déficit commercial depuis plus de 30 ans
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Annus horribilis

L'année 2011 a été dévastatrice pour le Japon. Les Japonais eux-mêmes disent avoir vécu « la plus grave crise en 65 ans depuis la Seconde Guerre mondiale». La catastrophe de Fukushima et ses conséquences économiques ont provoqué le premier déficit commercial enregistré par le pays depuis 30 ans. Comment le Japon va-t-il se sortir de cette spirale infernale ?

Evelyne Dourille-Feer

Evelyne Dourille-Feer

Evelyne Dourille-Feer est Docteur en économie et japonologue (ancienne élève de l'Université de Keïo, maîtrise de japonais à l'INALCO).

Elle est économiste au CEPII et enseigne l'économie japonaise à l'Université Paris Dauphine.

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Depuis le milieu des années 1970, les exportations ont joué un rôle clef dans le dynamisme de l’économie japonaise. Au cours des dix dernières années, la dépendance aux exportations de cette économie a pourtant été à double tranchant. Atout maître pour sortir de la crise des années 1990, elle est devenue un terrible handicap pendant la crise mondiale de 2008 et 2009. Néanmoins, les excédents de balance commerciale engrangés depuis la fin des années 1970 ont gonflé la balance courante depuis une trentaine d’année et contribué à donner à la dette publique brute japonaise une assise financière si robuste qu’ en dépit de son montant colossal (212% du PIB en 2011 d’après l’OCDE), elle conserve encore une notation de bonne qualité (AA- chez Standard and Poor’s).

Le déficit commercial enregistré en 2011, pour la première fois depuis 30 ans, pose néanmoins plusieurs questions. S’agit-il d’un tournant marquant le déclin de la compétitivité japonaise et conduisant à l’enclenchement d’une spirale négative allant du déficit de la balance commerciale à celui de la balance courante, puis à l’incapacité à financer la dette ?

Le caractère atypique du déficit commercial en 2011

2011 a été une « annus horribilis » pour le Japon, frappé par la « la plus grave crise en 65 ans depuis la Seconde Guerre mondiale»[1]. Au drame humain de la triple catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011, se sont conjugués des défis majeurs pour les exportateurs de l’archipel.

Tout d’abord, les secteurs présents dans les régions dévastées occupaient une place centrale dans les chaînes d’approvisionnement de secteurs vitaux comme l’automobile ou l’électronique. Il en a résulté, pour Toyota par exemple, une chute de 57% de sa production domestique en mars 2011. De surcroît, à la chute des exportations s’est ajoutée la hausse d’importations de composants ou produits de substitution. Ensuite, des problèmes aigus de logistique ont été posés aux entreprises, tant au niveau du transport qu’à celui de l’approvisionnement en essence et en électricité.

Si les questions de transport et d’essence ont été assez vite résolues, les pénuries d’électricité ont posé une difficulté plus grave. A l’arrêt des centrales endommagées de Fukushima s’est greffé le problème des ajournements de redémarrage des centrales en maintenance. Actuellement seules 5 centrales sur le parc de 54 sont en activité. De ce fait, ce sont les centrales thermiques qui ont assuré le relais de la production d’électricité. Des importations massives de pétrole et de gaz naturel liquéfié (+37,5% en valeur) ont été nécessaires. Si bien que dans ce contexte de crise, les importations ont bondi de 12% en 2011.

Elles expliquent en majeure partie le déficit commercial japonais de 2011 car la contraction des exportations n’a atteint que 2,5% malgré la crise domestique, la hausse du yen et le ralentissement de l’économie mondiale, notamment européenne, sans compter les inondations en Thaïlande ! Ce déficit, lié essentiellement au choc Fukushima, pourrait se reproduire en 2012, mais il devrait disparaître par la suite avec la remise en marche d’un certain nombre de centrales nucléaires.

Un financement stable de la dette à moyen-terme

De très nombreux faits vont dans le sens de l’absence de problème de solvabilité et de financement à moyen terme de la dette publique. Tout d’abord, les ménages disposent d’un stock élevé d’actifs financiers nets, de l’ordre de 230% du PIB en 2009. De façon plus large, la richesse nette du secteur privé[2] totalisait 556% du PIB la même année.

A cette épargne massive correspondent des excédents courants récurrents, principalement alimentés depuis 2005 par les revenus des investissements à l’étranger. De ce fait, le Japon caracole en tête des créditeurs mondiaux avec des actifs nets de 3,1 trillions $ en 2010, devançant nettement la Chine avec 1,8 trillions $. De même, ses réserves de devises sont massives (1,2 trillions $ fin décembre 2011). De plus, la dette publique japonaise est détenue à 95% par les résidents qui sont constitués pour plus de moitié par des institutions publiques. Ce qui assure aux obligations d’Etat japonaise une grande stabilité.

A chaque adjudication, les obligations d’Etat trouvent le même appétit chez les investisseurs nippons en dépit de faibles taux d’intérêt. L’optimisme des investisseurs repose sur l’hypothèse de la persistance d’excédents courants à moyen-terme, défendue par de très nombreux économistes. Il s’appuie aussi sur la conviction que la survenue d’une crise de la dette est lointaine et peut même être évitée grâce aux possibilités d’amélioration de l’équilibre du solde budgétaire primaire que donne le faible niveau des prélèvements obligatoires au Japon.


[1] Selon les termes employés par le Premier ministre Naoto Kan dans son discours du 13 mars 2011.

[2] Ménages et entreprises non financières.

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