Israël / Gaza ou le choc que devrait méditer l’Occident pour sortir de sa torpeur post-histoire <!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats Israéliens, Photo AFP
Des soldats Israéliens, Photo AFP
©JACK GUEZ / AFP

Intouchable, vraiment ?

Ce samedi 7 octobre, le Hamas attaquait Israël et a réussi à passer outre ses défenses. Une situation inquiétante, d'autant plus qu'elle témoigne peut-être d'un sentiment d'intouchabilité de l'Occident en raison de sa supériorité technique et militaire...

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner est un romancier et essayiste. Il est l’auteur, entre autres, de La tentation de l’innocence (prix Médicis de l’essai, 1995), Les voleurs de beauté (prix Renaudot, 1997), Misère de la prospérité (prix du Meilleur livre d’économie, prix Aujourd’hui, 2002), Le fanatisme de l’Apocalypse (prix Risques, 2011) et Un bon fils. Son œuvre est traduite dans une trentaine de pays.

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Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur est essayiste et sociologue. 

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Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun, pionnier de l’édition numérique, fut conservateur de bibliothèques et ingénieur de recherche au CNRS avant de créer sa propre entreprise. Il préside l’association Unité Laïque. Il est à l’origine de l’initiative pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.

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Atlantico : Après l’attaque du Hamas contre Israël, force est de constater que les services de sécurité israéliens ont été dépassés par le timing, l'envergure et le mode opératoire de l'attaque du mouvement islamiste palestinien. L’Occident est-il victime d’une illusion qui consiste à penser que sa supériorité technologique et militaire le rend intouchable, comme si nous avions atteint la fin de l’histoire ?

Pascal Bruckner : Le dôme de fer, c’est l’illusion d’être invincible et que la technique va vous protéger de tout. Cette attaque du Hamas est très bien coordonnée sur le plan militaire. Le renseignement israélien a été pris en défaut. Israël est très vulnérable. Il est incompréhensible et scandaleux que les jeunes à la rave party n’aient pas été mieux protégés. C’est une faute énorme de l’armée et des services de renseignements. L’Union politique va durer le temps de l‘opération militaire. Il va y avoir des réglements de comptes très durs et je ne suis pas certain que Netanyahou conserve son poste.

Guillaume Lagane : Cette attaque remet en question un certain nombre de fondamentaux, notamment un sentiment de sécurité bien présent dans de nombreux pays Occidentaux. Ce sentiment est largement présent en Israël, notamment grâce au fameux Dôme de Fer qui protège les cieux, grâce à la barrière de sécurité qui protège les frontières ou encore aux capacités de Tsahal, qui dispose de 200 000 soldats, de nombreux chars et blindés et bien sûr de l’armement nucléaire. Avec tout cela, on pourrait penser qu'Israël était à l’abri, mais c’est une désillusion sévère.

Nous pouvons tirer deux enseignements de ce qu'il s’est passé. Premièrement, la supériorité est toujours temporaire. Les groupes armés ont l’habitude de recourir à des stratégies du faible au fort, à des attentats suicides… Ils acceptent une certaine forme d’indifférence aux pertes et concourent aujourd’hui à la supériorité de l’adversaire. On s’en est rendu compte avec le Hamas, qui utilise des ULM, des drones ou des moyens de communication très rudimentaires mais non-interceptables car ils passent par des câbles. Le deuxième enseignement est que la supériorité technologique ne peut pas remplacer une certaine forme d’engagement physique terrestre. À un moment, nous sommes obligés de revenir à une guerre assez basique, qui est la guerre terrestre, que nous avons oubliée en Occident.

Israël en particulier et l’Occident plus largement sont-ils fautifs d’avoir pensé être à l’abri de telles menaces ?

Guillaume Lagane : La situation de l’Occident est assez variable. Par exemple, une bonne partie de l’Europe de l’Est, la Pologne en tête, est largement consciente des enjeux actuels. Suite à l’intervention russe en Ukraine, de nombreux pays se sont mis en économie de guerre et essaient d’augmenter leur production de munitions.

Les Israéliens, les Européens et les Américains ont longtemps pensé que les pays du Sud étaient un peu intouchables. Les interventions des années 1990/2000 ont échoué, on a quitté l’Afghanistan en 2021 et les Talibans reviennent au pouvoir, la France quitte l’Afrique… Plus récemment, Israël s’est senti protégé derrière des barrières ou grâce au Dôme de Fer. Comme après le 11 septembre, il est illusoire de penser que nous pouvons maintenir des zones chaotiques et anarchiques sans en subir les conséquences. Dans notre monde, nous ne pouvons pas nous prémunir du chaos : il faut impérativement essayer de l’ordonner.

Peut-on s’attendre à une prise de conscience en Occident après ces attaques subies par Israël ? 

Guillaume Lagane : S’agissant des événements de Gaza, nous avons beaucoup dit que c’était une forme de 11 septembre pour Israël, ce qui n’est pas illégitime puisqu'il s’agit d’une attaque de grande ampleur envers des civils. Dès lors, quelles ont été les leçons du 11 septembre ? Le combat contre Al-Qaïda et le terrorisme n’a été que partiellement gagné, voire perdu dans le cas de l’Afghanistan. Dans un premier temps, il y aura donc des affrontements militaires, peut-être une réoccupation de la bande de Gaza… Mais une intervention militaire seule ne saura régler la question. Il y a aussi une dimension politique et sociale et bien évidemment la question du sort réservé aux Palestiniens, qui demande une réponse politique. La guerre en Ukraine était un premier avertissement, espérons que les évènements de ce week-end servent à quelque chose. 

Il y a eu des manifestations pro-Hamas un peu partout en Occident. On a même vu une croix gammée à Times Square. Cela veut-il dire que le vivre ensemble ne marche pas ?

Pascal Bruckner : La cohabitation est effectivement problématique. Il y a un islam éclairé (surtout en France) et il y a un islam haineux, obscurantiste. 

A chaque intifada, il y a des manifestations, des heurts ; c’est normal. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’une certaine gauche supposée éclairée et laïc, ne se soit pas indignée des scènes horribles qu’on a pu voir. J’espère que la NUPES va exploser. Les socialistes et les écolos ne doivent plus parler à la France Insoumise. Pour moi, la France Insoumise est un vrai parti fasciste. Mais de gauche.  

Jean-Pierre Sakoun : Certaines cultures européennes sont fondées sur la communauté religieuse par exemple, comme en Allemagne ou en Angleterre. Ces cultures pratiquent ce qu’on appelle le « vivre-ensemble » - ce qui est en fait l’inverse - c’est-à-dire la juxtaposition de communautés ethno-religieuses. Il a été envisagé, au Royaume-Uni notamment, de donner la possibilité à une communauté de gérer une partie du droit, familial par exemple. En France, notre modèle est différent, davantage basé sur l’égalité absolue des citoyens. Le vivre ensemble est donc une catastrophe car il renvoie à la description d’une société communautarisée.

En somme, on voit en Allemagne ou en Angleterre les limites du vivre-ensemble dans la mesure où les extrémistes qui travaillent pour les communautés musulmanes peuvent obtenir une forme de domination. En France, notre société n’est pas fondée sur le vivre ensemble mais sur le contrat social : les citoyens, en tant que sujets autonomes, adhèrent au contrat social sans avoir à se tourner vers une communauté qui les accueille et dans laquelle ils vivent avant de vivre dans la société politique. 

Pourtant, en France, la situation est pire puisque nous sommes soumis au bombardement du modèle communautariste prôné par les États-Unis et l’Union Européenne, tout en gardant les réflexes universalistes que nous connaissons. En vérité, la question du vivre ensemble ne devrait pas faire l’objet d’une critique sur le thème « ils ne veulent pas vivre avec nous ». Elle devrait faire l’objet d’une critique politique qui est de penser que la proposition culturelle de notre pays ne repose pas sur le vivre ensemble, mais sur un idéal, le contrat social, qui débouche sur la fraternité universelle. En somme, nous sommes tous égaux et responsables de la communauté politique que nous constituons. Évidemment, c’est très difficile à admettre pour une religion comme l’Islam dans laquelle le séculaire et le divin ne peuvent pas être séparés. 

Sabrina Medjebeur : Racisme systémique, apartheid. Autant de qualificatifs utilisés par la vulgate tiers-mondiste pour fustiger les imperfections des sociétés occidentales dont Israël, pour mieux glorifier la barbarie des enturbannés qui gangrènent les sociétés orientales, qui n'arrivent pourtant pas à la cheville des premières en matière d'égalité. En Europe comme en Israël, il serait bien sûr idiot de nier l'existence de discriminations locales. Il existe des discriminations dans ces sociétés pour la simple et bonne raison qu'elles sont composées d'individus qui appartiennent à cette espèce imparfaite qu'est l'humanité. Et que nous savons depuis au moins Claude Lévi-Strauss que toutes les sociétés sont malheureusement sujettes à l'ethnocentrisme et ont une propension à discriminer ce qui leur est étranger et à privilégier ce qui leur est familier. Raison pour laquelle l'égalité ne va pas de soi, et constitue un combat quotidien qui n'est jamais définitivement acquis. L'Europe ne le sait que trop bien, elle qui a proclamé avant toutes les autres civilisations les droits de l'homme et l'égalité, un siècle et demi avant de se vautrer dans le génocide (même si elle ne fut ni la première, ni la dernière à mettre en oeuvre ce genre de crimes de masse). Dans ces conditions, il n'est pas une société au monde sans problèmes de discrimination. Il y a seulement des cultures moins inégalitaires que d'autres. Or il est remarquable de voir à quel point, dans certains milieux, l'intransigeance qui pèse sur les sociétés les plus égalitaires est proportionnelle à l'idéalisation des cultures les plus suprémacistes. Faîtes le test. Ceux qui fustigent « l'apartheid israélien », ne mentionneront jamais le fait que la législation palestinienne expose à la peine de mort celui qui s'aventurerait à vendre des terrains à un citoyen israélien. Même la législation raciste sud-africaine qui restreignait le droit de propriété des Noirs et le libre-échange avec les Blancs n'allait pas jusque là. Vous avez dit apartheid ? De même, les détracteurs de « l'apartheid israélien » ne mentionneront jamais, ne serait-ce qu'une seule fois, qu'il y a beaucoup plus d'Arabes et de musulmans qui prospèrent en terre israélienne, avec la citoyenneté israélienne, qu'il n'y a de Juifs dans tout le monde musulman. Un Arabe de confession musulmane peut faire son entrée à la Cour suprême israélienne tandis que les Juifs dans le monde arabe ont été réduits à l'état résiduel. Cette asymétrie n'est tout simplement jamais relevée. Comment expliquer cette sélectivité ? Les motivations ne sont pas univoques. Dans le monde musulman, la posture qui consiste à présenter les sectateurs de Mahomet comme des éternelles victimes et les Juifs comme d'éternels bourreaux en omettant sciemment le statut subalterne qui a caractérisé le judaïsme en terre arabo-musulmane pendant plus de 1000 ans et la manière dont le Juif est dépeint dans la mythologie musulmane, a pour objectif de flatter les ressentiments contre l'ennemi et entretenir l'hostilité à son encontre, dans l'espoir de pouvoir, un jour, le détruire. Jusqu'à présent, Israël doit moins sa survie à la mansuétude de ses voisins qu'à sa supériorité technologique et militaire (et à l'assistance des Américains). En Occident, les choses sont un peu différentes. Le Palestinien y apparaît comme le bon sauvage victime de la méchanceté de l'homme civilisé et vis-à-vis duquel il serait vain de manifester la moindre exigence, tant ce personnage arriéré est, un peu comme le banlieusard, incapable de s'aligner sur les standards du monde moderne. Aussi, en faisant peser l'intégralité du conflit sur les épaules des Israéliens, la gauche Pierre Loti rend paradoxalement hommage au Juif, jugé plus évolué que l'Arabe, même s'il n'échappe pas aux vieux clichés antisémites et anticapitalistes qui l'assimilent à une race cupide qui préfère son portefeuille à la justice. Raison pour laquelle le Juif - habitué à toutes sortes de discriminations depuis des siècles - ne bénéficiera jamais de la mansuétude d'une extrême-gauche pourtant pressée de diviser le monde entre dominants et dominés. Curieusement, on ne lui ouvre pas les portes de l'intersectionnalité. En Orient comme ailleurs, il n'est pas de peuple qui soit toujours et partout innocent. En revanche, certaines cultures doivent incontestablement faire plus d’efforts que d'autres afin de soigner leur rapport à l'altérité. En l'occurrence, il n'est pas difficile de savoir laquelle. Celui qui omet de rappeler ce paramètre est soit l'idiot utile de l'oppression, soit son allié indéfectible. Laisser des fanatiques manifester leur soutien au massacre de civils dans nos villes revient à laisser un individu vêtu de l'uniforme du IIIe Reich danser dans Londres en 1941. L'Europe crèvera de sa faiblesse si elle ne siffle pas la fin de la récréation pour les ennemis de l'intérieur. La législation sur l'apologie du terrorisme est explicite. À l’instar du problème sécuritaire global en France précisément, il s’agit surtout et avant tout d’assurer l’applicabilité des peines.

C’est la haine de soi occidentale et la haine des juifs qui poussent tant de gens à ne pas comprendre la situation des Israéliens ? 

Pascal Bruckner : Ce n’est pas la haine de soi. C’est une bonne vieille détestation qu’on trouve chez Edouard Drumont ou encore chez Jules Guesde un des fondateurs du syndicalisme français au début du 20e siècle. C’est un courant antisémite de gauche auquel s’est rajouté le clientélisme pro-musulman. C’est ce que j’appelle la gauche antisémite. Le NPA appelle à une intifada, on devrait le rebaptiser le « Nouveau Parti Antisémite ». La France Insoumise a basculé par électoralisme depuis longtemps dans la haine des juifs. C’est le vieil antisémitisme de la bourgeoisie qu’il a réactivé. Mélenchon fait de l‘électoralisme. Il ne faut pas oublier qu’il était pro-israélien il y a 15 ans. Mélenchon est un authentique antisémite. Ses lieutenants aussi. Le NPA également. C’est un antisémitisme de gauche. L’antisémitisme est aujourd’hui une sorte de médaille que l’on porte au revers de son veston si l’on veut plaire aux cités et aux banlieues. 

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