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Isolationnisme et désengagement de l'OTAN : pourquoi l’élection de Donald Trump serait un énorme tremblement de terre pour l’Allemagne
©Reuters

Onde de choc

Souhaitant optimiser le budget américain de la Défense, Donald Trump envisagerait de limiter les investissements américains dans l'OTAN, considéré comme un gouffre financier. Ce retrait américain aurait des conséquences financières et logistiques non négligeables.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Au cours d'une conférence de presse accordée au Washington Post, Donald Trump a développé sa vision de politique étrangère et a notamment avancé que les Etats-Unis ne pouvaient plus continuer à assumer financièrement la défense de l'Europe via l'OTAN. Il a plus particulièrement insisté sur les insuffisances de l'Allemagne prenant pour exemple le cas ukrainien : "L'Ukraine est un pays qui nous concerne bien moins que d'autres pays membres de l'OTAN, et pourtant, nous nous chargeons de lever tous les fonds. Pourquoi est-ce que ce n'est pas l'Allemagne qui, au sein de l'OTAN, gère le dossier ukrainien ? "Bien qu'il faille distinguer les annonces de campagne des décisions effectivement prises sous la fonction présidentielle, dans quelle mesure, si Donald Trump était élu et en cas de retrait du parapluie américain, l'Allemagne serait-elle contrainte de revoir sa politique de défense dont les fondements demeurent globalement inchangés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Quelles seraient les implications d'une Allemagne ayant renoué avec la puissance militaire ? 

Michael LambertLe retour de l’Allemagne sur la scène militaire régionale pose problème dans la mesure où le pays s’est fixé sur une stratégie dite de “smart power”, visant essentiellement à renouer un dialogue diplomatique avec la Russie pour solutionner les conflits gelés comme ceux de Transnistrie et de Novorossya. Si les Allemands sont experts sur la question ukrainienne, au même titre que les Polonais, ces derniers ne sont pas en mesure de s’imposer militairement face à Moscou en raison d’un manque d’équipements. On note ainsi l’absence d’avions de 5ème génération, la modeste taille de la Bunderwehr en comparaison avec celle de la Russie, et l’absence de force de frappe nucléaire, ce qui laisse le champ libre au Kremlin pour imposer son hégémonie dans les pays du Partenariat oriental.

Cette situation ne devrait pas évoluer dans les prochains mois car Berlin ne souhaite pas redevenir une puissance militaire majeure comme dans la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale. On est donc dans une situation où l’Allemagne doit assumer de plus en plus de responsabilités mais sans avoir de solides partenaires sur lesquels s’appuyer en Europe.

La seule puissance pouvant s’imposer face à Moscou n’est alors autre que l’OTAN, dont l’Allemagne, mais aussi la France et la Grande-Bretagne, sont membres. Si l’Alliance pourrait s’imposer face la Russie, il n’en reste pas moins que celle-ci multiplie les mauvaises manoeuvres depuis la Révolution orange en 2004. La guerre en Géorgie en 2008 et le conflit en Ukraine en 2014 ont mis en avant l’incapacité pour l’Alliance à développer un processus de contre-guerre hybride, que la Russie est actuellement en train de perfectionner au Kurdistan. Cette situation est critique car elle vise à générer une guerre civile en Turquie avec une stratégie qui combine médias et approvisionnement en armes aux Kurdes via l’Irak. Ce contexte obscurcit l’avenir de l’Alliance dans la mesure où, si aucune action n’est prise pour la Turquie, la Russie pourrait reproduire un schéma similaire en déclenchant une nouvelle guerre hybride en ciblant l’Estonie à l’horizon de 2019-2021.

De manière assez paradoxale, les propos de Trump peuvent donc revêtir une certaine cohérence, les Etats-Unis finançant à hauteur de 60-70% le budget de l’OTAN, alors même qu’ils doivent désormais concentrer leur attention sur la Chine et le Moyen-Orient.

Trump demande donc aux Européens de prendre leurs responsabilités en participant davantage au budget de l’OTAN et en innovant sur le plan technologique, ce qu’ils se refusent à envisager depuis la fin de la Guerre froide.

L’idée de demander aux Allemands de gérer le conflit en Ukraine ne semble pas incohérent car ces derniers sont les experts de cette question avec les Polonais. Cela dit, ces derniers ne pourront pas s’imposer sans le support de pays comme la France et la Grande-Bretagne face à la Russie.

Dans tous les cas, si la Bundeswehr envisage de prendre plus de responsabilités sur le continent, le renforcement de son hard power pourrait gravement nuire à sa politique de soft power, qui est sa priorité depuis le lancement du Partenariat oriental en 2009. On est donc dans une situation où l’Allemagne doit légitimement se renforcer, mais en se concertant avec les autres Etats membres de l’Union européenne. 

Plus généralement, en quoi le retrait américain affecterait les membres européens de l'OTAN dans leur ensemble ? L'Europe a-t-elle les moyens et les capacités de gérer seule sa défense ? A quelles difficultés se retrouverait-elle confrontée si les Etats-Unis embrassaient effectivement l’isolationnisme ?  

Un retrait des Etats-Unis est impossible à envisager dans l’état actuel des choses car l’Europe ne dispose pas des moyens militaires pour assurer la sécurité en mer Baltique et en mer Noire, comme on a pu le voir avec la récente intrusion d’un sous-marin nucléaire russe aux large des côtes françaises, et la présence de bombardiers longue distance au-dessus de la Manche il y a quelques semaines. Les Etats-Unis fournissent les équipement comme les drones Predator à la Lituanie, ainsi que des avions de 5ème génération de type F22 Raptor à l’Allemagne et à la Pologne, sans quoi les Eurofighter, Rafale et Gripen ne pourraient rivaliser avec l’aviation russe.

Malgré ces faiblesses, il est tout à fait envisageable d’assister à l’émergence d’une puissance régionale européenne en mutualisant les moyens dont les États disposent à ce jour. Un tel projet nécessiterait cependant plusieurs années pour sa mise en place, notamment dans le domaine du renseignement. Si l’armée européenne est devenue une urgence et la seule perspective valable pour assurer la paix sur le continent, il reste de nombreuses ombres au tableau, comme les accords sur l’usage ou non d’une force de frappe nucléaire, à laquelle des pays comme l’Autriche, la Suède et la Finlande s’opposent, mais aussi à une participation dans l’OTAN, qui ne fait pas consensus au sein des 28.

Plus spécifiquement, dans une telle configuration, que peut-on déduire du rôle de la France ? En quoi un désengagement américain, et ses conséquences prévisibles sur l'Allemagne, serait-elle à même de modifier le poids diplomatique et la situation militaire du pays ? 

La France joue un rôle de support diplomatique auprès de l’Allemagne, mais n’arrive clairement pas à s’imposer en ce qui concerne l’expertise sur la situation dans les Etats du Partenariat oriental, la guerre hybride, les conflits gelés, ou encore l’instrumentalisation des réfugiés comme nouvelle arme de guerre par Moscou.

La puissance militaire française se concentre essentiellement sur l’Afrique et le Moyen-Orient, tandis que l’État-major peine à coopérer avec ses partenaires au sein de l’OTAN.

La pratique du français est devenu un problème récurent dans des organisations internationales où l’anglais est la seule langue de communication, et les Français rechignent encore à échanger avec l’Agence de Défense européenne (EDA) et l’OTAN, ce qui atteste d’une vision divergente alors même que la lutte contre le terrorisme ne saura se faire qu’avec la centralisation des données.

La France reste donc un acteur diplomatique incontournable en Europe, mais militairement incapable de supporter l’Allemagne en raison d’une conception souverainiste plutôt qu’européenne.

Ce manque d’ambition européenne pose de sérieux problèmes avec notamment un retard technologique dans l’aviation en raison du retrait de Dassault Aviation du programme Eurofighter. Le manque d’expertise en ce qui concerne l’Europe post-soviétique, et l’image positive de la Russie, constituent également un obstacle au développement d’une doctrine militaire pertinente vis-à-vis du Kremlin et retarde l’acceptation psychologique d’un conflit contre Moscou dans les prochaines années, direct ou indirect.

Les Français peinent souvent à comprendre que leur avenir dépend de l’Union européenne, mais surtout que la Russie dispose pour sa part d’une vision globale qui vise a nuire à des pays comme la France en attaquant l’Europe et l’OTAN. 

Que signifierait une Allemagne puissante sur le plan militaire alors que celle-ci est déjà leader dans les domaines diplomatiques et économique ? 

Comme le mentionnait Keynes dans son ouvrage Les conséquences économiques de la Paix en 1919, l’Allemagne a pour vocation d'être le coeur économique de l’Europe. Le poids du pays dans ce domaine s’avère essentiel car on ne peut pas envisager un développement économique similaire et équilibré entre Europe de l’Ouest, de l'Est, du Nord et du Sud si les échanges économiques intra-Européens ne gravitent pas autour d’un ou plusieurs États au centre. Qui plus est, la performance économique de Berlin est liée à sa tradition industrielle d’excellence. Les produits allemands incarnent le savoir faire “Made in Europe”, et l’exportation des standards de production à l’échelle de l’Union européenne permet aux pays comme la France et la Grande-Bretagne d’augmenter la qualité de leurs produits, notamment avec l’élévation des standards pour le respect de l’environnement.

Cela ne signifie pas que l’Allemagne doit dominer tous les secteurs, mais que les partenaires en Europe doivent s’adapter et ne plus rentrer en compétition entre eux. Le Nord de l’Europe pourrait ainsi exceller dans le secteur des nouvelles technologies, alors que l’Allemagne accuse un certain retard; le Sud pour le tourisme et la production agricole ; et des pays comme la France et la Grande-Bretagne pour l’énergie nucléaire et l’industrie militaire. Les schémas sont multiples, mais il est temps d’envisager une grande stratégie économique européenne pour le XXIème siècle, et d’accroitre la complémentarité entre Européens pour rivaliser avec les Etats-Unis et la Chine.

Pour ce qui concerne la diplomatie allemande, Berlin est rapidement parvenue à s’imposer à l’échelle internationale en raison de l’expertise de ses diplomates, mais surtout de l’excellence de son système académique pour les former.

La France fait reposer la formation des “élites” sur un schéma archaïque qui repose sur une division entre grandes écoles et universités, alors même qu’à l’international, ce sont les universités qui sont en compétition et que la Sorbonne est le seul établissement reconnu. Des établissements nationaux comme Sciences Po Paris concentrent donc presque tous les futurs diplomates, alors même que le niveau académique y est reconnu comme “moyen”, comme l'attestent les classements internationaux (200 ème place en moyenne). Le renouvellement des idées ne peut pas s’y effectuer en raison du manque de compétition, un schéma quasi-inédit pour un pays développé. Qui plus est, la corruption en France nuit gravement à l’image du pays, avec de nombreux membres du gouvernement qui n’ont pas de doctorat et y sont pour des raisons de copinage, une situation qui étonne les Allemands où l’obtention d’un doctorat semble être une évidence pour pouvoir gérer un pays.

L’Allemagne, avec son système académique et sa vision plus européenne, incarne une alternative à la France et même à la Grande-Bretagne sur le plan diplomatique ; sa légitimité dans ce domaine semble donc évidente et bénéfique pour l’ensemble des partenaires. Si Paris souhaite retrouver une importance diplomatique dans les prochaines années, il faudra s’inspirer du modèle allemand qui semble, avec ceux des pays du Nord, les seuls pouvant permettre à un pays occidental d’avoir une légitimité morale à l’international.

Pour ce qui concerne le domaine militaire, la vision allemande est plus Européenne et les visions française et britannique sont encore souverainistes. Alors que la Russie vient de provoquer l’Union européenne et l’OTAN à plusieurs reprise ces derniers mois, il est temps de se pencher sur la création d’une armée commune et d’une CIA à l’européenne. En conséquence, la logique voudrait qu’une armée européenne naisse afin de pouvoir transférer progressivement les équipements et le savoir-faire technologique vers l’Est.

Dans la mesure où la France et la Grande-Bretagne ne comprennent pas cette urgence, il faudra que l’Allemagne devienne progressivement plus importante dans le domaine militaire. Et comme pour tous les secteurs, les produits allemands deviendront sans doute de meilleure qualité que ceux de Paris et Londres.

Pour résumer la situation, l’hégémonie de Berlin ne comporte que des facteurs positifs pour assurer l’avenir de la paix et le rayonnement du continent à travers le monde. C’est le manque de projection dans l’avenir de la part des partenaires européens et leur conception nationaliste qui amènent l’Allemagne à devoir prendre la relève pour le bénéfice de tous les membres de l’Union européenne.  

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