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ISF, suppression des 35h, baisse des impôts et des déficits : les totems de la droite réactivés par Sarkozy (et Macron...) sont-ils applicables ou même souhaitables ?
©Reuters

Faux débat

Alors qu'Emmanuel Macron a confié à Davos ne pas être opposé à l'abrogation des 35 heures, ce vieux totem de la droite est-il encore pertinent aujourd'hui ? Pas sûr, tant la réalité économique et l'énorme capital politique qu'une abolition nécessiterait en France rendent cette mesure (et elle n'est pas la seule) peu judicieuse.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Sammy Mohammad

Sammy Mohammad

Sammy Mohammad est banquier d'affaires senior à Londres, spécialiste en marchés de capitaux, financements structurés et obligations d'Etats. De 1997 à 2012, il a exercé différentes responsabilités au sein de la société de bourse Exane BNP Paribas et à la Deutsche Bank London. Depuis 2013, il est Managing Director au sein de la société de bourse anglo-américaine de StormHarbour Securities, spécialisée sur le marché obligataire et en ingénierie financière. Ancien membre du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'Université Paris IX- Dauphine, il y enseigne la finance depuis 1998 en tant que chargé d'enseignement au sein des Maîtrises de Finance et de Management et Organisations.

M. Mohammad est quadrilingue, maîtrisant le français, l'anglais, l'espagnol et le perse. Il est titulaire d'une Maitrise des Sciences de Gestion Finance-Fiscalité et d'un D.E.S.S Affaires Internationales de l'Université Paris IX-Dauphine.

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Atlantico : Dans un contexte de campagne électorale pour la primaire à droite, le débat sur l'abrogation de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune a été une nouvelle fois relancé. Dans quelle mesure revenir sur cet impôt n'en vaut pas forcément la peine, notamment eu égard au capital politique énorme qu'il faudra sacrifier pour faire passer une telle mesure en France ?

Sammy Mohammad : Dans son livre-bilan "La France pour la vie", l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy indique qu’il aurait “dû aller au bout” sur le sujet de l’ISF. En clair, le supprimer dès le début de son quinquennat. Etant manifeste que la suppression de l’ISF représente pour un président de droite une utilisation de capital politique considérable, il est raisonnable de supposer que Nicolas Sarkozy jugea au début de son mandat qu’il ne pouvait pas se permettre cette suppression de manière directe car elle aurait fortement accentué une perception négative de président “ami des riches”.

Aujourd’hui, l’ancient président affirme regretter d’avoir contourné cet obstacle et admet dans son livre qu’il aurait dû supprimer l’ISF en début de mandat. Puisque l’auteur décrit son ouvrage comme étant le fruit et les leçons de ses erreurs passées, il y a fort à parier que la suppression de l’ISF sera au programme du potentiel futur candidat Sarkozy en 2017. Parmi les candidats déclarés à la prochaine échéance présidentielle, Alain Juppé admit il y a six mois qu’il avait “bien réfléchi” au sujet de l’ISF et qu’il avait commis une erreur en alourdissant cet impôt quand il était à Matignon en 1995. Le candidat à la primaire a donc annoncé qu’il supprimerait l’ISF s’il est élu président de la République en 2017. La position de François Fillon est bien connue sur cet épineux sujet pour la droite. L’ancien Premier ministre a qualifié l'ISF d'impôt "imbécile" , a exprimé il y a deux ans ses regrets de ne pas l'avoir supprimé dès 2007 et a intégré sa suppression dans son programme politique pour l’élection présidentielle de 2017.

Avec cette série de mea culpa sur l’ISF et la candidature d’Hervé Mariton, prônant la suppression simple de l’ISF, il semblerait que la messe soit dite au parti Les Républicains (LR). Les dirigeants du parti seraient unanimes et en phase sur ce sujet. 

Toutefois, il serait judicieux de tenir compte des positions de Bruno Le Maire et de Nathalie Kosciusko-Morizet, candidats LR probables à la primaire de 2016. Le premier, bien qu’ayant qualifié l’ISF “d’impôt stupide”, a déclaré à plusieurs reprises que sa suppression ne devrait pas être une priorité pour la droite. Nathalie Kosciusko-Morizet propose une refonte complète de l’assiette et de la structure de l’impôt tout en dissuadant de l’aventure politique périlleuse que serait la suppression. Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet mesurent bien l’importance et le poids symbolique de l’ISF. L’ancien président Sarkozy est bien placé, de son propre aveu, pour apprécier la portée idéologique de certaines décisions et le coût politique qui peut y être associé.

La crise économique étant loin d’être résolue en France, l’antienne de la “justice fiscale” et des “cadeaux fait aux riches” ayant causé dans le passé un tort électoral considérable à la droite, cette dernière pourra-t-elle se permettre en 2017 une suppression de l’ISF, engendrant potentiellement un tel coût politique qu’il ne resterait que peu de crédit pour s’attaquer aux autres grands chantiers et réformes nécessaires ? La suppression de l’ISF ne présente-elle pas le risque d’une polarisation du débat en 2017, au détriment d’autres sujets fondamentaux comme la réforme du code du travail ?

En outre, le rendement de l’ISF est en hausse est a atteint en 2014 5,2 milliards d'euros. Le chiffre attendu pour 2015 serait supérieur, la régularisation des avoirs non-déclarés à l’étranger entraînant une rentrée supplémentaire significative. Au regard de ces montants et vu l’importance symbolique de l’ISF, la proposition de suppression ne sera pas chose aisée pour la droite lors de la campagne présidentielle. Sans s'attaquer directement au symbole, la droite, si élue, pourrait cependant enclencher une réforme d’un aspect technique de l’ISF et donc moins emblématique que son existence même : le barème de l’impôt.

La structure actuelle du barème de l’ISF représente le véritable frein à la croissance française liée aux capitaux disponibles. Le barème de l'ISF progresse à taux fixe. Actuellement, les assujettis voient leur assiette imposable taxée entre 0.50% et 1.50% suivant la tranche du patrimoine. Ce barème ne tient compte ni de l’environnement économique ni des rendements nets des actifs qui composent les patrimoines taxés : un patrimoine à rendement faible voir négatif est autant taxé qu'un patrimoine à rendement fort. Aux niveaux actuels, les taux fixes de l'ISF sont déconnectés de la réalité des rendements moyens des patrimoines imposables, particulièrement les patrimoines composés d'actifs peu risqués que sont les obligations d'Etat, les actifs immobiliers et les liquidités. Les taux d'impositions fixes actuels privent non seulement la plupart des contribuables ISF du rendement de leurs patrimoines mais en plus, dans la plupart des cas, d'une partie du patrimoine lui-même. Ce n’est pas l’impôt en lui-même qui est “imbécile” ou “idiot” , c’est le caractère confiscatoire du barème qui l'emporte sur le bon sens économique. Le barème fixe appauvrit la France et provoque la fuite des capitaux. Il faut donc d’abord réformer le barème annuel fixe de l'ISF et le transformer en barème indexé et prédéterminé. Cette idée de réforme reviendrait à fixer de manière pérenne la règle de calcul de l'ISF : un taux unique indexé sur l’actif financier de référence en France : l’obligation d’Etat assimilable au Trésor (OAT). Le taux de l’ISF serait l’équivalent de 50% du rendement de l’obligation d’Etat (OAT) à maturité 10 ans de l’année ISF de référence. L’OAT 10 ans cote actuellement à 0,84%. Imaginons par exemple que le taux au 1er janvier fût le même. Le taux unique ISF pour 2016 serait donc de 0,42%. Si le taux de l’OAT monte dans le temps, on peut supposer que le rendement moyen des patrimoines taxés également. Le taux de l’ISF serait donc logiquement indexé à cette hausse. Dans le cas contraire, le taux de l’ISF tiendrait compte de la baisse des rendements. 

L’ISF deviendrait donc un impôt "intelligent", acceptable, simple, tenant compte des patrimoines qu'il taxe et du contexte économique. Son caractère confiscatoire serait neutralisé. Les capitaux pourraient donc se déployer pour financer nos PME, nos infrastructures et nos grands chantiers d’avenir. Le paysage d’investissement en France deviendrait attrayant et fiscalement compétitif.

Le capital politique du réformateur serait intact. Ainsi que le symbole.

>>> (Lire aussi : Supprimer l'ISF : un débat irrationnel et inutile)

Qu'en est-il des 35 heures, dont l'éventuelle abrogation a, là encore, été récemment évoquée à droite mais aussi à gauche (par Emmanuel Macron à Davos) ?

Denis Jacquet :Les politiques aiment les formules et les mots-clés. Ils sont une vitrine qui cache l’absence de stock ! Des mots sans vision. Des notions fourre-tout, déconnectées des réalités. Ils sont également attachés à vouloir faire croire à l’efficacité de la mesure isolée. La formule magique qui guérit tous les maux. Enfin, en champion, à droite comme à gauche, de la législation et de la normalisation à outrance, ils pensent que toutes les entreprises se ressemblent et doivent dès lors être traitées comme un être unique, qui répond, de façon uniforme aux même stimuli, règles de fonctionnement et organisation. Ils sont également épaulés par une partie des "grands économistes" qui font des calculs savants afin de prouver que mathématiquement, augmenter les heures de travail augmente tout à coup la productivité.

Je ne souscris pas à cette vision manichéenne de l’entreprise. Dans l’univers des grands groupes internationalisés, les manques de productivité subis dans un pays sont compensés par le surcroît de productivité dans d’autres. Croire que l’augmentation de la productivité en France permettrait de rapatrier en France la totalité de leur production est une simple illusion. Ne serait-ce que pour des raisons de développement commercial. Ils ont à être et produire dans les zones où la croissance est forte et le potentiel important. L’Europe répond assez peu à cette définition. Un grand groupe a besoin de temps et de process stables et imaginer qu’ils subissent dans l’autre sens le traumatisme qu’ils ont subi avec l’arrivée des 35 heures, est également une illusion. Le changement a été structurant, le retour en arrière serait pénible et aurait des conséquences négatives pour un long moment. Pour peu d’impact sur l’économie.

>>> Pour plus d'informations sur le coût chiffré d'une abrogation des 35 heures, lire aussi :

Revenir sur les 35 heures ? Pourquoi c'est devenu une fausse bonne idée

Pour les PME et TPE, la réalité est qu’il n’y a pas une réalité. Pas de vérité unique. Pas de solution unique à des problèmes si multiples. Penser que les 35 heures sont la baguette magique à la création d’emploi dans les PME est tout aussi stupide que de penser que tout le monde porte du 35 en pantalon et que toutes les PME doivent pouvoir y rentrer, soit en ayant la bonne taille, soit en faisant un régime amaigrissant ou grossissant, pour s’y glisser. Donc tous ces chanteurs du refrain des 35 heures sont de bien piètres candidats à "The Voice de l’économie" et peu de chaises se retourneront à la diffusion de cet air.

Un écosystème économique est comme le corps humain et la maladie. En pensant apporter la guérison avec un médicament unique, on a toutes les chances de passer à côté pour la vaste majorité et même aggraver la maladie pour nombre d’entre eux. Il faut donc de la personnalisation et des mesures complémentaires. Les PME françaises ont besoin de capitaux propres, d’investisseurs, d’emprunt obligataire afin d’éviter la dilution systématique de clients et de paiement. Tout ce que la France ne leur fournit pas. Sous-capitalisées, dépendantes à un point qui les confine au servage à des donneurs d’ordre souvent sans pitié, à une commande publique qui les ignore encore largement et à des délais de paiements que mêmes certains pays sous-développés n’imposent pas à leurs acteurs économiques, les PME meurent de 1000 maux parmi lesquels les 35 heures restent une broutille. A quoi sert la productivité quand on est pas payé par ses clients ? Cela devient un joli ratio pour experts comptables en mal de chiffres, qui dansent sur un air de regret, devant le tribunal de commerce qui prononce la liquidation de 45 à 60 000 d’entre eux depuis 2 ans. Commençons par les payer, nos PME, et ensuite on parlera de 35 heures, qui restent un problème de riche alors que nos entreprises sont pauvres.

Je ne supporte plus ces mesures de sorciers incultes, de charlatan de l’économie, d’experts de salons. Les vrais problèmes des PME, personne ne s’en soucie. La réalité, c’est que la situation doit être examinée cas par cas, que certaines entreprises comme Yoplait sont très heureuses avec 32 heures et d’autres nécessiteraient de monter à 39 heures ou plus. La réalité, c’est de laisser au salarié et à son entreprise le soin de régler ces problèmes. La réalité, c’est qu’il faut laisser la décision quitter le code pour tous afin de se transformer en liberté pour chacun. Souplesse, négociation, personnalisation, adaptation au contexte, voilà ce que réclament nos entreprises. Laissons-les décider. En ne fixant que le cadre et les mesures que nos valeurs nous empêchent d’accepter. Bref, libéralisons l’économie, comme Macron cherche à le faire, pour des entrepreneurs qui gagnent peu et risquent gros, et toute la France avec eux. Car ils sont les seuls créateurs nets d’emploi en France depuis plus de 10 ans. Laissons aux politiques le soin de nous répéter qu’ils changeront tout une fois au pouvoir alors qu’ils avaient, à droite, cinq ans pour le faire et n’y ont pas touché. Cette pantomime exprime au mieux leur désarroi et leur absence de programme précis pour nos entreprises.

Au départ de la réflexion sur les 35 heures, il devait y avoir diminution du temps de travail avec maintien du salaire. C’était tout à fait impossible. La compensation s’est faite par l’arrivée des RTT. Ce qui permet à la plupart des PME de ne plus avoir personne pour répondre au téléphone le vendredi après 12 heures, puisque 2 millions d’entre elles n’ont qu’un seul salarié. Cette mesure a été dévastatrice, et même l’hôpital public en meurt un peu plus chaque jour en désorganisant totalement la délivrance des soins et la qualité de notre médecine.

Mais cela, c’était avant.

Les Français sont prêts à des sacrifices contre des engagements forts et durables sur l’emploi. Ils peuvent donc accepter d’y renoncer, mais on ne pourra pas leur demander de travailler plus, sans gagner plus, de renoncer à leurs congés et de n’avoir aucune compensation. Il faut donc réfléchir à la contrepartie. Les entreprises ne sont rien sans leurs salariés et leur succès doit être partagés avec eux. C’est sur cet équilibre qu’il faut travailler. Les Français sont capables d’entendre des mesures humaines, légitimes et équilibrées. Mais à nouveau, si les PME obtiennent la souplesse, elles auront l’essentiel de ce qui leur est nécessaire et pourront également maintenir ces RTT en large partie. Peut être que les salariés préféreront de l’argent à des congés. Il faut les réunir. Au niveau de l’entreprise à nouveau. Pas au niveau national selon cette méthode dictatoriale du pouvoir centralisé des partenaires sociaux, qui n’ont de sociaux et de démocrates, que le nom.

On parle beaucoup de baisse d'impôts à droite, mais le véritable enjeu n'est-il pas plutôt une refonte en profondeur de notre système fiscal ?

Denis Jacquet : Quelle société voulons-nous ? Voulons-nous ériger la liberté, l’ascension sociale, la richesse, le travail, l’envie et l’ambition comme valeurs cardinales ? L’ambition et la responsabilité comme fondement de notre société, ce qui n’est en rien l’ennemi de la fraternité et de la solidarité. Si oui, alors nous devons revoir à la fois le rôle de l’impôt et le délivrer de cette fonction de Robin des Bois qui lui a été confié. L’impôt n’est pas là pour être au service de choix idéologiques et réparer la société. Il est là pour faire en sorte qu’un socle de service commun à la nation fonctionne, s'il est efficace et justifié, s'il ne peut pas être assuré par le privé, et c’est tout. Il doit être de nature à ne pas démotiver ceux qui veulent réussir, afin que la réussite d’une minorité puisse profiter à la majorité. Dans sa folie meurtrière, l’Etat a imposé une fiscalité tellement complexe, tentant de réparer par une exception ce qu’un principe aveugle a institué, qu’elle est devenue non seulement aveugle, mais de plus, livrée au bon vouloir et à l’interprétation souveraine de l’administration, transformant l’exécutant en bourreau, le serviteur de l’Etat en maître du jeu, qui décide selon son bon vouloir à la place de l’élu au suffrage universel.

Il ne s’agit pas de se contenter d’une réflexion lapidaire, comme le ferait, ou plutôt le faisait avant Trump, les Républicains américains, avec 15 ans de retard, sur le poids de l’impôt. Tous les gouvernements de droite sont coupables d’avoir augmenté nos dettes et accru nos impôts pour payer l’addition de leur impéritie. La promesse d’une baisse ne se conçoit qu’à l’aune d’un projet et d’une vision. Tout ce qui manque à notre classe politique, de droite. Autant qu’à leurs "amis" de gauche. Il y a une internationale de l’incompétence, et nous avons en France de sérieux "champions".

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