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Les membres de l'Ordre d'Orange se réunissent à Stormont pour leur défilé du centenaire, à Belfast le 28 mai 2022, pour marquer les cent ans de la formation de l'État d'Irlande du Nord.
Les membres de l'Ordre d'Orange se réunissent à Stormont pour leur défilé du centenaire, à Belfast le 28 mai 2022, pour marquer les cent ans de la formation de l'État d'Irlande du Nord.
©Paul Faith / AFP

Tensions

Des milliers d'unionistes protestants ont participé aux traditionnelles marches orangistes en Irlande du Nord pour marquer leur attachement au Royaume-Uni, au moment où la province britannique est en pleine impasse politique.

Thierry Martin

Thierry Martin

Thierry Martin est entrepreneur, écrivain, essayiste, sociologue de formation, ancien doctorant de l’EHESS, diplômé de l’Institut Français de Gestion, Paris.  

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Les parades de l'Ordre d'Orange, commémorent la victoire du roi protestant Guillaume III d'Orange-Nassau sur son rival catholique Jacques II, le 12 juillet 1690. Cette année elles ont lieu alors que l'Irlande du Nord est au cœur des tensions entre le Royaume-Uni et l'Union européenne concernant l'accord post-Brexit, le fameux protocole nord-irlandais qui prévoit de protéger le marché unique européen sans provoquer le retour d'une démarcation physique entre la province britannique et la république d'Irlande membre de l'UE, pour éviter de fragiliser la paix signée en 1998.

D’une frontière l’autre, les unionistes, dénoncent la création d'une frontière en mer d'Irlande au sein même du Royaume-Uni.

Le port de Belfast a bien changé depuis l’époque où l’on y construisait le Titanic. Belfast possède l'une des plus grandes cale sèche du monde, et les grues géantes (Samson & Goliath) du chantier naval de Harland and Wolff dominent l'horizon quand on navigue dans cette mer d’Irlande que Bruxelles voudrait désormais contrôler. 

Depuis mai, ils bloquent les institutions de la province en refusant de cohabiter au sein l'exécutif local avec les républicains du Sinn Fein - gagnants des élections locales de mai - en vertu du partage du pouvoir, tant que les contrôles ne sont pas abandonnés.

Les frontières sont à l’intérieur

Ici à Belfast, où à l’époque de Louis XIV se sont établis des huguenots français pour y faire le commerce du lin, faisant suite à l’établissement des Anglais et des Écossais, les frontières sont à l’intérieur, on parle de peacelines. Ces murs de la paix, "murs de la honte" disent certains, désignent une série de barrières de séparation construites pour séparer les quartiers catholiques des quartiers protestants de la ville. Ils persistent en dépit de "l'accord du Vendredi saint", l’accord de paix signé par l’ensemble des parties le 10 avril 1998 qui mis fin à la guerre civile qu’on appelle ici les « troubles ». La longueur de ces portions de mur varie de quelques centaines de mètres à plus de 5 km (3 miles). On recense aujourd'hui 99 murs de la paix. Certains ont de vastes portes que l’on ferme à la tombée de la nuit, le week-end ou lors d’émeutes. 

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Le 9 mai 2013, le gouvernement nord-irlandais s'est engagé à détruire les murs de la paix dans les dix ans. Mais selon une étude de l’université d’Ulster publiée en septembre 2012, seuls 14 % des habitants des quartiers comportant un "mur de la paix" souhaitent que ce dernier soit détruit dans un futur proche.

Lors de sa création en 1921, la frontière de la province se superposant à peu près à l’Ulster a été dessinée pour assurer qu’une majorité d’unionistes (communauté britannique et majoritairement protestante) la dirigerait. La démographie qui serait favorable aux « catholiques » à longue échéance, dit-on, n’est pas encore arrivée à un point de bascule, même si depuis 1998, elle a convaincu la plupart d’entre eux à renoncer à se comporter en minorité violente.

Mais si les républicains nationalistes catholique d’Ulster se reconnaissent désormais dans le Sinn Féin, une formation politique présente des deux côtés de l’île qui affiche un programme de gauche de gouvernement, tout en prônant l’annexion par le sud, une question se pose : en quoi les catholiques nord-irlandais seraient-ils par essence déloyaux vis-à-vis de l’Ulster britannique ? en quoi seraient-ils encore obligés de subir l’enrôlement obligatoire du Sinn Féin qui se pratiquait manu militari pendant la période des « troubles » ? Les fantômes du passé rodent encore sur Belfast, comme le décrit très bien le romancier Stuart Neville[1]

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Des milliers d'unionistes protestants participent ce mardi 12 juillet aux traditionnelles marches orangistes en Irlande du Nord pour marquer leur attachement au Royaume-Uni, au moment où l’exécutif de la province britannique est dans l’impasse politique, tandis qu’à Londres le « coup » de force qui a conduit Boris Johnson à la démission ajoute de l'instabilité, dans la mesure où les candidats à la succession du Premier ministre britannique prennent position sur les règles commerciales post-Brexit à appliquer pour le territoire.

Les ports nord-irlandais deviendraient de fait les frontières de cette mer d’Irlande

Si le protocole signé par Londres et Bruxelles dans le cadre du Brexit était appliqué, les ports nord-irlandais deviendraient de fait les frontières de cette mer d’Irlande qui sépare la Grande-Bretagne de l’Irlande du Nord. Mais ce que craignent les loyalistes, c’est une tentative d’annexion à terme de l’Ulster, leur nation, du nord de l’île par le sud irlandais sous prétexte de ne pas rematérialiser la frontière terrestre.

Dans Les Fantômes de Belfast (The Ghosts of Belfast), roman noir qui rappelle que les accords de 1998 ont mis un terme à des années de guerre sanglante en Irlande du Nord, mais que depuis qu’il est sorti de prison, Gerry Fegan, ex-tueur de l’IRA dépressif et alcoolique, est hanté par les fantômes des douze personnes qu’il a assassinées. Stuart Neville écrit cette terrible phrase : « Les fantômes d’une époque révolue pourraient bien revenir hanter le processus politique, et même si les élus se montraient plus malins, l’intelligence n’avait jamais arrêté une balle. » Gerry Fegan, le personnage du roman, ne connaitra le repos qu’après avoir exécuté les commanditaires des meurtres, qui sont parfois devenus des politiciens « respectables ».

L’UE n’a pas encore digéré le Brexit et va sans doute chercher à tirer parti de l’éviction de la tête du gouvernement britannique du coriace Boris Johnson. Le gouvernement britannique a ainsi présenté un projet de loi actuellement étudié au Parlement pour outrepasser certaines de ses obligations prévues dans l'accord qui menace l’intégrité du territoire britannique. Une démarche jugée illégale par l'UE qui contre-attaque depuis mercredi dernier, en raison du bras de fer mené vaillamment par Liz Truss contre Bruxelles : « La doctrine de la nécessité fournit un fondement clair en droit international pour justifier l'inexécution d'obligations internationales dans certaines conditions exceptionnelles et limitées ».

Dès lundi soir, plus de 250 feux de joie ont été allumés côté Britanniques unionistes pour donner le coup d'envoi des festivités dans toute l’Irlande du Nord. 573 défilés de l'Ordre d'Orange sont prévus ce mardi, dont 33 devraient passer dans des zones dites « catholiques ». Les célébrations de l'Ordre d'Orange ont toujours lieu sous haute surveillance. 2.500 officiers sont mobilisés.

Des cocktails molotov et des briques ont été lancés jeudi dernier sur le site d'un feu de joie. La colère des nationalistes républicains vivant à proximité est assimilée à un crime haineux que les autorités s’apprêtent à juger.

Le Sein Fein, organisation « sulfureuse » devenue un parti de gauche, qui voit le Brexit comme un accélérateur de sa revendication centrale : l’annexion du pays par le sud de l’île, n’est pas loin ; mais paradoxalement la vitrine politique légale de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), impliquée dans les violences sanglantes et meurtrières de la guerre civile qui a fait plus de 3 500 morts est désormais un exemple pour les loyalistes. La violence paie, pense la jeunesse unioniste qui participe à la marche orangiste annuelle du 12 juillet — « The Glorious Twelve ». «No surrender ! » (Pas de reddition !) à Belfast comme à Londonderry.


[1]Les Fantômes de Belfast, The Ghosts of Belfast, Stuart Neville, Rivages/Noir, éditions Payot, 2013

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