Inflation par la dépense fun : les Américains ont la taylormania et les Français…<!-- --> | Atlantico.fr
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La taylormania booste la croissance aux Etats-Unis.
La taylormania booste la croissance aux Etats-Unis.
©FREDERIC J. BROWN AFP

Funflation

L’économie américaine est en pleine effervescence. Le PIB brut de la plus grande économie mondiale a augmenté à un taux annuel de 4,9% au troisième trimestre, alimenté par de fortes dépenses de consommation notamment.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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L’économie américaine est en pleine effervescence. Le PIB brut de la plus grande économie mondiale a augmenté à un taux annuel de 4,9% au troisième trimestre, alimenté par de fortes dépenses de consommation notamment. La moitié de la croissance du PIB a été obtenue grâce aux consommateurs. Il est probable que les succès des tournées de Taylor Swift, de Beyoncé et le carton au box-office des films Barbie, Oppenheimer et du film sur la tournée de Taylor Swift ont marqué le début d'une ère de « funflation » (via l’injection de 8,5 milliards de dollars à l’économie américaine). 

Atlantico : Ce phénomène a-t-il traversé les frontières des Etats-Unis et s’est-il déroulé à bas bruit malgré le poids de l’inflation ?

Michel Ruimy : La « funflation », contraction de « fun » (amusement, divertissement) et de « inflation », est un terme qui est en train de s’imposer dans les médias américains. Ce néologisme économique désigne une inflation importante dans les services culturels et de loisirs, tirée par un engouement du public pour ces produits. En d’autres termes, il décrit la tendance qu’ont certains individus à privilégier, dans un contexte inflationniste, les activités de divertissement - concerts, parcs d’attraction, événements sportifs… - aux biens traditionnels. 

Le coût des loisirs, accentué par la pandémie de Covid-19 et par la ferveur de certains fans, a augmenté, ces derniers mois, de manière vertigineuse. L’attrait accru pour les expériences en direct, au détriment des biens matériels, s’est ressenti sur le prix des billets. Lors de sa tournée nord-américaine, certaines places du spectacle de Taylor Swift ont rapidement été vendues à un prix supérieur à 1 000 USD. Avant elle, Beyoncé et son « Renaissance World Tour » ont affolé l’économie du divertissement, parfois même jusqu’en Suède. Et elles ne sont pas les seules. Depuis l’arrivée du footballeur Lionel Messi à Miami, le prix des billets a grimpé jusqu’à 255 USD contre 30 auparavant. Le niveau de ces prix s’explique par une demande supérieure à l’offre mais aussi par le fait que ces superstars ont su construire une marque forte. 

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Selon l’enquête du Bureau des statistiques du travail relative aux dépenses de consommation en 2022, les hausses enregistrées ont été supérieures à celles des prix de l’alimentation, de l’essence et d’autres produits de base. Selon le Bureau of Economic Analysis, du Département américain du Commerce, les Américains devraient dépenser, cette année, près de 95 milliards USD en billets pour des divertissements, soit 23% de plus qu’en 2022 et 12,5% de plus qu’en 2019, avant la pandémie de Covid-19.

Cette « funflation » devrait donc perdurer pendant quelques temps même si, devant l’envolée des prix, des Américains, de plus en plus nombreux, semblent déjà s’en détourner en réduisant leurs dépenses en divertissement. 

Au pays de l’Oncle Sam, se divertir aujourd’hui est, peut-être, en train de devenir trop cher. 

Comment expliquer que les consommateurs se détournent de l’économie traditionnelle pour chercher une certaine forme de plaisir et de satisfaction dans l’art de consommer via la « funflation » ?

Il est important de noter que les comportements de consommation varient d’une personne à l’autre et sont influencés par de nombreux facteurs, ce qui rend difficile une généralisation complète. Par ailleurs, ces tendances peuvent varier d’une région à l’autre en France et d’un groupe démographique à l’autre. Enfin, la situation économique générale et les facteurs politiques et sociaux influencent les comportements de consommation.

Il ressort, de ces derniers temps, que certains consommateurs ont été frustrés par l’annulation d’événements culturels et sportifs pendant la crise sanitaire et les confinements. Ils sont prêts aujourd’hui à débourser davantage pour se divertir. Cette « peur de manquer » (ou FOMO, fear or missing out) se retrouve surtout parmi les jeunes. Certains sont prêts à dépenser sans compter, quitte à faire des sacrifices. Les dépenses mensuelles de divertissement de la « génération Z » ont ainsi augmenté plus que celles de toute autre génération depuis l’apparition du Covid.

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Ce détournement des consommateurs de l’économie traditionnelle peut également s’expliquer par plusieurs facteurs et tendances sociétales. Pour cette génération, les médias sociaux ont un impact majeur sur la manière dont elle perçoit la consommation. Celle-ci valorise l’individualisme et la personnalisation en suggérant des produits / services ou expériences agréables qui correspondent au style de vie, à la personnalité de ces jeunes et qui peuvent servir de moyens de détente ou d’échappatoire.

Quelle est la réalité de cette tendance en France ? La « funflation » a-t-elle de beaux jours devant elle au pays où le Livret A est roi et alors que les Français disposent d’économies accumulées lors de la période de la pandémie de Covid-19 ?

La recherche d’épanouissement personnel à travers d’expériences enrichissantes plutôt que par la consommation de biens est une tendance observée en France, toutefois sans la flambée des prix liée à la « funflation ». En effet, les Français n’ont pas encore montré de signes d’une volonté de dépenser des sommes exorbitantes pour du divertissement. Les tarifs des places de concerts restent beaucoup moins élevés que ceux pratiqués aux Etats-Unis, même pour les grandes stars. En même temps, nous observons, par exemple, de fortes ventes de CD et de coffrets des groupes de K-Pop alors qu’ils remplissent les salles de spectacles. 

De plus, la hausse des prix dans les secteurs du divertissement et de la culture est plus faible que l’inflation (4% en octobre) : 3,5% pour les services récréatifs et sportifs, 1% pour les cinémas, théâtres, concerts et même près de - 23%% pour les redevances et les abonnements audiovisuels. Ainsi, ce phénomène ne semble pas ainsi être transposable en France. 

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L’explication de cette différence pourrait se trouver dans la manière dont les pays sont sortis de la pandémie. Si l’activité des États-Unis a rebondi rapidement, la reprise de l’économie française a été, molle. Entre 2019 et 2023 (prévision FMI), le PIB par habitant a progressé de 5,2% contre seulement 0,5% en France. Dans le même temps, le taux d’épargne, déjà traditionnellement élevé dans l’Hexagone, a progressé, passant de 15,1% en 2019 à 18,8% au deuxième trimestre 2023 alors qu’il s’établissait, outre-Atlantique, à 3,9%.

En France, la croissance est faible, l’épargne y est relativement élevée - les Français sont-ils moins « fun » ? - et le taux d’inflation y est moins haut comparé à celui de ses partenaires. Reste à savoir si cette situation est une bonne nouvelle.

Cette nouvelle donne peut-elle apporter de l’espoir à l’économie mondiale au regard du contexte particulièrement tendu sur le plan international depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre ? Ou bascule-t-on du « djihad vs McWorld » à « Hamas VS Taylor Swift » ?

Cette tendance, si elle persiste, montrera des dépenses de plus en plus fléchées vers les services et de moins en moins vers les produits. Elle pourrait donc influencer, dans une certaine mesure, l’économie mondiale mais elle n’est qu’un aspect de l’équation économique globale. Son impact dépend notamment du contexte international, y compris les tensions géopolitiques, les conflits… qui peuvent exercer des pressions sur l’environnement mondial et, donc, peser sur la confiance des consommateurs et des investisseurs. 

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La thèse « Djihad versus McWorld » (Cf. Benjamin Barber) considère que la mondialisation économique, dans sa version néolibérale actuelle, initie une culture médiatique et marchande uniforme, qui permet l’éclosion d’entreprises internationales hégémoniques (McDonald’s, Microsoft…). Ce « totalitarisme économique » (« McWorld ») génère des réactions de repli identitaire (« Djihad ») tels que les mouvements nationalistes, les groupuscules intégristes…. McWorld et Djihad se nourrissent l’un de l’autre c’est-à-dire une dialectique dont chacun des deux pôles forme une menace pour la démocratie. Pour autant, assiste-t-on aujourd’hui à un basculement du monde vers une autre nouvelle organisation mondiale ? Il est certain que le conflit actuel du Moyen-Orient représente une mise à l’épreuve du système occidental.

Quel serait le péché mignon des Français en matière de dépense ? Pour quels types de dépenses / quels secteurs seraient l’objet d’une funflation ? Est-ce les mêmes plaisirs chez les jeunes ? les adultes ? les seniors ?

Les comportements de dépense varient d’une personne à l’autre et ne peuvent pas être réduits à une généralisation stéréotypée. En effet, les choix des jeunes se portent souvent sur les produits technologiques, la mode, les divertissements… Chez les adultes, l’achat de biens durables et de produits / services liés à la santé sont importants. Quant aux seniors, ils consacrent une part significative de leur budget à la santé, aux voyages et aux loisirs voire les services comme l’assistance à domicile. Ainsi, ces attitudes varient-elles, en général, selon l’âge, les valeurs culturelles, les besoins et les préférences individuelles.

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Aujourd’hui, dans le contexte actuel, le prix est la première préoccupation des Français. Ils cherchent à optimiser leur pouvoir d’achat via notamment une « chasse au gaspillage ». Ils sont, même, nombreux à envisager de diminuer leur consommation. De nouveaux comportements d’achats apparaissent : descente en gamme, achats malins, recherche des prix bas, des promotions, des soldes, de produits de « seconde main » ou reconditionnés… Le dilemme entre « consommer responsable » et limiter les dépenses penche vers le contrôle du portefeuille. Signe de la gravité de la situation, même les biens de première nécessité ne sont pas épargnés.

Il n’en demeure pas moins qu’un comportement de « funflation » peut s’observer, dans une certaine mesure, avec la sanctuarisation de certaines dépenses. Les Français ont tendance à accorder une grande importance aux dépenses d’une part, liées aux vacances - et à celles liées aux activités récréatives - et, hors vacances principales, aux courts séjours / escapades le week-end et d’autre part, pendant la période des fêtes de fin d'année, aux cadeaux de Noël et du Nouvel An.

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