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Infiltration de la France par des réseaux criminels : les 3 raisons de notre perte de contrôle grandissant
© Laurent Cipriani / POOL / AFP

Insécurité et délinquance

Dans une interview au Monde ce vendredi, Laure Beccuau, la procureur de Paris affirmait que « L’infiltration de nos sociétés par les réseaux criminels dépasse toutes les fictions ».

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Madame Laure Beccuau, procureure de Paris, adresse dans le Monde[1] un signal d’alerte portant sur la menace que font désormais peser sur notre société les groupes criminels organisés, notamment liés au narco-trafic, compte tenu de leurs capacités « sans limites » en termes de financement, de projection géographique et de recours à la violence. 

Le message est percutant, et est d’autant plus marquant qu’il émane d’un haut magistrat, sachant que généralement, la justice est plutôt économe en constats si alarmistes. Son analyse est pourtant totalement fondée et prend un relief tout particulier avec les phénomènes qui touchent notamment la Belgique, pays limitrophe dont le Monde titrait récemment « qu’il redoute de devenir un narco-Etat ». Mais également les Pays-bas, où la princesse héritière et le Premier ministre sont menacés par la mafia marocaine de la drogue (« Mocro Mafia »), alors que dix-sept de ses membres sont actuellement jugés. Le Premier ministre, Mark Rutte a évoqué devant la presse « une terrible nouvelle, très violente, mauvaise pour notre pays ». Déjà, le 6 juillet 2021, à Amsterdam, l’assassinat du journaliste d’investigation, Peter R. de Vries, très probablement victime de la Mocro Maffia, avait stupéfait la population et ses représentants.

Indicateur majeur pour saisir l’évolution des rapports de force entre Etats et certaines organisations criminelles, l’on évoque dans cet article du Monde un trafic de drogue à Anvers, dont « le montant oscillerait entre 50 milliards et 60 milliards d’euros par an ». A titre de comparaison, le budget du ministère des armées français devrait être de l’ordre de 43,9 milliards d’euros. Celui du ministère de l’intérieur, qui s’inscrit dans une hausse tendancielle, selon la formule officielle, serait de 15,77 milliards d’euros pour ce qui concerne les missions sécurités, c’est à dire principalement le financement des forces de sécurité intérieure et services spécialisés. 

Nous sommes donc bien confrontés à une menace majeure, comme le souligne ce magistrat, susceptible « de déstabiliser notre Etat de droit ». Mais plus encore, c’est notre société même qui est en péril sous l’effet de ce que je dénommais dans un article précédent « la sud-américanisation de notre société ».

« Déstabilisation de l’Etat de droit » ! Il faut en effet aller plus loin que cette formule somme toute assez abstraite si on ne lui donne pas un vrai contenu. Parlons plutôt d’atteinte aux droits fondamentaux des individus qui subissent une délinquance d’oppression, notamment les plus humbles, auxquels l’Etat n’assure pas ce premier droit qui est celui de la sécurité, avec en toile de fond la faillite du pacte social dit républicain. Rappelons-nous le discours très offensif de Lionel Jospin, alors Premier ministre, à Tours, le 26 mars 2002. « La sécurité est un droit…/…depuis trente ans, on assiste à une augmentation régulière de la délinquance, particulièrement vive au cours des années 1970 et 1980. C’est le signe d’une société malheureusement de plus en plus violente ».[2]

La procureure parle également de la déstabilisation des entreprises, de notre modèle économique. Mais est-ce l’essentiel devant ces ravages que provoque la drogue dans notre jeunesse. Qui dans son entourage n’est pas aujourd’hui confronté à ces drames ? Drames individuels qui par leur généralisation constituent un drame collectif, qui altère la vitalité même de notre nation ! Avec ses multiples conséquences. 

Il y a vingt-ans, lorsque je commandais le Centre National d’entraînement des forces de gendarmerie (Cnefg) de Saint-Astier, j’évoquais alors devant les militaires en stage, la nécessité , de se préparer à l’avènement « du grand désordre, de la violence globale », et d’adapter en conséquence nos capacités opérationnelles.

Le paradoxe est que les stagiaires étaient plus réceptifs à ce discours que la haute hiérarchie de l’époque.

Aujourd’hui encore, je sais que d’aucuns parmi les lecteurs réagiront soit avec scepticisme, voire avec dérision. Ce n’est pas nouveau.

Plus révélateur est ceux qui préfèrent garder un silence prudent pour préserver leur image sociale dans des administrations de plus en plus marquées par l’humeur politique et médiatique du « plaire ». 

Comment expliquer cette situation aussi préoccupante ? Les causes sont aisément identifiables. J’en distinguerai trois principales qui s’appuient sur mon expérience au sein de la gendarmerie mais qui rejoignent les constats que peuvent faire tout citoyen qui veut s’informer et qui jette un regard lucide sur son environnement. 

1.Avant tout, un affaissement moral sur fond de cécité des élites et de rationalisation de leur lâcheté

Notre société s’est depuis plusieurs générations plongée dans une recherche obsessionnelle du bonheur, souvent confondue d’ailleurs avec la notion de plaisir. Ce plaisir et ses manifestations s’exposent sur les réseaux sociaux de manière décomplexée à une jeunesse vouant au matérialisme un culte futile. Elle a redécouvert récemment que « l’histoire est tragique » et que la stupide assertion sur « les dividendes de la paix », après l’effondrement du mur, a été calamiteuse pour la préservation de notre outil de défense, et de son préalable, soit l’esprit de défense. Affaissement face aux menaces externes, mais également affaissement face au menaces internes qui minent notre pays depuis tant d’années. Qui serait responsable ? Le peuple ? Il subit, conditionné, orienté, complexé, culpabilisé par une classe dirigeante ( dont la techno-structure) qui oscille entre cécité et couardise alors que les faits sont patents sur l’explosion de la violence, sur la sécession de territoires entiers, sur la mutation radicale de villes autrefois préservées. Nantes en est l’un des plus tristes exemples. 

Je repense à cette frénésie politico-médiatique en suite à cette fameuse lettre dite des généraux, certes un peu maladroite, mais qui, sur le fond, reprenait des confessions fortes exprimées par des personnalités de premier plan dont François Hollande concernant le risque de partition, et de Gérard Collomb lors de son départ du ministère de l’intérieur : «Monsieur le Premier ministre, si j'ai un message à faire passer - je suis allé dans tous ces quartiers, des quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse, à ceux de la couronne parisienne Corbeil, Aulnay, Sevran - c'est que la situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend là tout son sens parce qu'aujourd'hui dans ces quartiers c'est la loi du plus fort qui s'impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République ».

Le débat a alors dérivé sur le devoir de réserve, voire sur un syndrome séditieux en osant même des références historiques totalement décalées. Au-delà de sa dimension pathétique, une attitude révélatrice d’une grande lâcheté intellectuelle s’est encore une fois imposée. 

Ce renoncement intellectuel, et donc moral, est la raison première de l’impuissance politique qui désespère la population. Cette impuissance doit aujourd’hui, tant le danger est immense, être vaincue. Elle commence par la capacité à poser un constat lucide de la situation pour ouvrir ensuite le débat. Souvenons nous de cet phrase célèbre de Péguy :« Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit ». La lucidité reste le préalable à l’action féconde ! 

2.La question centrale d’un droit devenu incapacitant pour protéger les individus et préserver l’avenir de la Nation, et la submersion du dispositif pénal.

La France a façonné un droit qui, sous-couvert d’un absolu des droits de l’individu, a considérablement fragilisé la capacité d’une société à se défendre, à agir efficacement contre ceux qui veulent lui nuire. Les procédures pénales se sont considérablement complexifiées, y compris pour les affaires simples, les petits trafics. Et je n’évoque pas ce qui confine à une véritable inversion s’agissant du phénomène du squat, soit l'occupation d'un lieu destiné à l'habitation dans lequel une ou plusieurs personnes se sont introduites le plus souvent par effraction (bris de porte ou volet...). Qui a pu faire évoluer le droit au point qu’il protège dans les faits davantage les squatteurs que le citoyen dont un bien immobilier, souvent son propre logement, est occupé contre son gré ? 

Cette évolution du droit s’est combinée dans les années 70 avec la prédominance d’une justice très politisée, qui a considérablement affaibli la cohérence du procès pénal. On assiste alors à l’avènement d’une « gauchisation » de la justice dans la droite ligne de « la harangue" de Oswald Baudot, alors substitut du procureur de la République à Marseille, adressée à ses jeunes confrères, et qui va fortement imprégner le Syndicat de la magistrature au point d’en constituer sa base idéologique. Il faut rappeler que bien que renvoyé devant les instances disciplinaires compétentes, il ne fut pas sanctionné par le Garde des Sceaux de l’époque, Jean Lecanuet, du fait de la mobilisation de son syndicat. Déjà la faiblesse ! Que proclamait ce magistrat : «Soyez partiaux (…) Examinez toujours où sont le fort et le faible qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.»Plus récemment, n’oublions pas cette ignominie du « Mur des cons » au sein des locaux du syndicat de la magistrature (SM), où figurait notamment la photo du père d’une jeune fille sauvagement assassinée. Le syndicat de journalistes apporte alors son soutien au SM. Plus tard, bien que condamnée, la Présidente du SM, Françoise Martres, accède à des postes élevés dans la magistrature. Sans commentaire. Cependant, le syndicat connaît un fort déclin et devient minoritaire.

Sur fond de crise généralisée de l’autorité imprégnant progressivement l’ensemble de la société, cette période est alors marquée par une mansuétude systémique concernant notamment les auteurs de petite délinquance, créant ainsi une sorte d’impunité. Ce traitement alternatif de la première strate des faits de délinquance induit alors, de façon mécanique, une incitation à l’escalade dans la gravité des faits délictueux. Gendarmes et policiers de terrain sont les premiers observateurs de ce phénomène structurel. 

Cette idéologisation d’une partie notable de l’appareil judiciaire a-t-elle été le facteur premier de la saturation progressive de l’institution judiciaire ? En tout état de cause, on assiste parallèlement à l’émergence d’un contentieux de masse qui dépasse de loin les capacités des moyens judiciaires, entendus de façon complète, soit les juridictions et les services d’enquête de la gendarmerie et de la police, mais aussi le dispositif pénitentiaire. Et le phénomène n’a cessé de s’amplifier. Classements sans suite en augmentation constante, composition pénale, correctionnalisation croissante pour ne pas encombrer les cours d’assise, délais d’aboutissement des affaires devant le tribunal correctionnel de 9 mois en moyenne en cas de convocation par officier de police judiciaire, 3 ans et demi lorsque l’affaire a fait l’objet d’une instruction. En 2019, l’étude d’Infostat Justice révélaitque les deux tiers des personnes impliquées dans une procédure n’ont pas fait in fine l’objet d’un jugement.

Or, la lutte contre la criminalité est un tout. On ne peut distinguer le petit trafic du grand trafic. Et c’est bien à l’aune du constat sur la faillite du concept général du procès pénal, et de la submersion du dispositif pénal, malgré ses renforcements en cours, que l’on doit mieux comprendre une partie de l’impuissance de la puissance publique dans la lutte contre le crime dit organisé. 

3. Les forces de sécurité intérieure : entre facteurs internes d’inefficacité et démobilisation

Depuis trois mandats présidentiels, après les mesures de suppression de 12.469 postes de gendarmes et policiers entre 2007 et 2012, auxquelles il faut ajouter, ne l’oublions surtout pas, celles de 54 000 postes au sein des armées, des efforts considérables ont été consentis par la nation pour renforcer la gendarmerie et la police. Entre 2013 et 2017, 8.837 emplois ont été créés dans la police et la gendarmerie, selon un rapport des inspections générales de l’administration et des finances. Selon Libération[3], le projet de loi de finances de 2022 rappelle qu’entre 2017 et 2022, 10 529 équivalents temps plein (ETP) – dont 9 583 postes créés de 2017 à 2021, et 946 recrutements prévus en 2022 – seront venus renforcer les effectifs de la police et la gendarmerie. Lesquels se répartissent, par ailleurs, en 8 446 nouveaux policiers et 2 083 nouveaux gendarmes. Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI)i prévoit une hausse du budget 15 milliards d'euros d'ici 2027, avec des mesures d’importance comme le recrutement de 8500 policiers et gendarmes, avec en particulier la création de 11 Unités de force mobile (7 escadrons de gendarmerie mobile et 4 Crs) et la mise en place de 200 brigades de gendarmerie dans les zones rurales et périurbaines. La France se situe donc dans la moyenne européenne des effectifs de forces de l’ordre pour mille habitants, avec une évolution favorable. 

Pour autant, comme le rappelle Libération, les magistrats financiers mettent en exergue dans un rapport de la Cour des Comptes paru en novembre 2021[4] intitulé « La gestion des ressources humaines au coeur des difficultés de la police nationale » un phénomène préoccupant : «une baisse continue de la présence sur la voie publique» depuis 2011, avec une diminution du taux de présence de plus de deux points (d’environ 39 % en 2011, il est passé à un peu moins de 37 % en 2020). Chez les gendarmes, la chute de ce taux frôle les onze points (58 % en 2020, contre près de 69 % en 2011) » alors même que la masse salariale a augmenté de 21%. Laquelle dépasse actuellement les 10 milliards d’euros. 

« Faible niveau d’élucidation des délits de bas et milieu de spectre, correspondant pour nos concitoyens à la délinquance du quotidien…/… baisse des interventions de la police nationale dans les communes dotées d’une police municipale… », autres constats de la Cour des Comptes. J’évoquais déjà dans un article paru le 12 janvier 2022[5] dans ce média tous ces paradoxes alors que la Nation consent à des efforts financiers considérables. 

Quelle contre partie en matière de sécurité pour le citoyen qui est taxé ? Alors que chaque année, sous l’effet d’une surenchère corporatiste constante et indécente, c’est «  le toujours plus » de nouveaux avantages qui prime. Avec notamment, entre autres, une inflation des grades à tout niveau qui, en définitive, en érode la lisibilité, voire la légitimité. 

Observons la voie publique à Paris, et comparons-là à celle d’autres grandes capitales. Quelle est la présence policière visible ? Quelle est l’empreinte réelle sur le terrain ? Quels sont les contrôles effectifs des forces de l’ordre sur les axes routiers visant à contrarier la mobilité de l’adversaire potentiel ? Posons-nous les vraies questions ! 

La sécurité du quotidien, par le contrôle du territoire la recherche du renseignement, le contact permettant une relation de confiance avec les acteurs de la société civile et la population, et la réactivité dans la neutralisation de tout noyau premier de délinquance, a été fragilisée. La sécurité du quotidien selon une démarche de proximité, facilitée pour la gendarmerie par son maillage d’unités et le logement en caserne, est la fonction socle qui permet une action globale contre la criminalité. Les service spécialisés dans le haut du spectre ne peuvent agir efficacement qu’en s’appuyant sur le dispositif de sécurité du quotidien. 

C’est bien sur l’importance centrale de cette mission qu’à insisté le Président de la République, dans son discours de Nice : « le volet de la sécurité du quotidien, le plus généraliste et le plus important…./…il faut déployer des forces de sécurité sur le terrain, et au contact, c’est le seul moyen et quelles que soient les innovations qu’on peut avoir, il faut des policiers municipaux, des policiers nationaux et des gendarmes sur le terrain, pour répondre vite et fort ». 

C’est le défi central du Président de doubler comme annoncé la présence du bleu sur le terrain. Encore faut-il que ce soit vraiment effectif, par un contrôle pouvant notamment être exercé sans préavis par la représentation nationale, sur la base d’indicateurs simples « pour s’assurer de la véritable empreinte terrain

d’un service, de sa capacité de mobilisation…: nombre de patrouilles à l’instant T dans une zone donnée, de jour, de nuit, effectifs en réserve mobilisables immédiatement, effectifs opérationnels les week-ends, temps d’intervention sur un évènement, nombre et contenu des services de renfort réciproques entre gendarmerie et police… 

Soyons lucides et pragmatiques. Arrêtons les formules incantatoires et les vieilles recettes emballées dans de l’innovant permanent ! Ce défi impose une mise à plat du fonctionnement global des forces de l’ordre, pour, comme le recommande la Cour des comptes, s’agissant notamment de la police nationale, adapter l’organisation du travail aux besoins opérationnels. Cet impératif devrait relever de la logique même s’agissant du fonctionnement de forces de sécurité. 

Cela vaut pour la gendarmerie qui semble redécouvrir les atouts de la militarité comme vecteurs de performance. Cependant, la force militaire en charge de missions de sécurité intérieure, censée agir sur tout le spectre paix-crise-guerre, doit également se remettre en question. Réaffirmant clairement le principe de primauté de la mission, la gendarmerie doit relever de nombreux défis : raffermissement de la chaine hiérarchique et de la discipline, restauration d’un socle effectif de formation militaire dans la formation initiale, recentrage de la formation des cadres sur leur rôle premier de chef opérationnel engagé dans l’action, mise en oeuvre d’une mobilité minimum des militaires après 10 ans au sein d’une même unité, l’annulation en conformité avec le statut militaire de toutes les dispositions ressortissant à la directive de l’Union européenne sur le temps de travail (quitte à remettre en question dans certains domaines la primauté du droit européen sur le droit national). 

S’agissant de l’organisation générale du dispositif de sécurité intérieure, une réforme dans la répartition des compétences doit être engagée sur le critère premier des capacités opérationnelles en fonction des zones d’action. Ainsi, la lutte contre l’immigration illégale appellerait un autre positionnement de la gendarmerie. Par ailleurs, même si cela remet en cause certains paradigmes, l’implication des armées aux côtés des forces de sécurité intérieure doit être confortée pour permettre à l’Etat de mieux lutter contre les mouvances criminelles, en particulier les réseaux de narco-trafiquants. 

Ce plaidoyer pour une véritable réforme des forces de sécurité, qu’impose un contexte séculaire de plus en plus dégradé, ne saurait être une critique des militaires et fonctionnaires des forces de sécurité intérieure. Ils évoluent dans un environnement de plus en plus complexe, et en grande partie s’engagent dans la mission, parfois au péril de leur vie. L’actualité souvent tragique en témoigne.

L’on peut comprendre leurs interrogations, voire parfois leur démobilisation. Leur désarroi est grand devant la perte de sens, l’absurdité d’un système qui s’est si longtemps complu dans des réunions rituelles stériles, l’obsession de répondre à la sollicitation politique de l’instant, l’addition des injonctions paradoxales, le confort de carrières de hauts fonctionnaires…Il faut écouter ceux qui vivent le terrain au quotidien, comprendre que leur désarroi est grand devant une réalité qu’ils vivent tous les jours :provocations, violences, refus d’obtempérer banalisés, arrogance des délinquants et menaces même contre leurs familles, abattement des victimes devant l’absence de réponse pénale lisible et dissuasive, porosité des frontières et flux massifs d’irréguliers, lourdeur procédurale, non expulsion de criminels de nationalité étrangère dont il faut rappeler qu’ils sont sur-représentés dans le trafic de stupéfiants, communautés coutumières du rapport de force et mettant en coupe réglée des territoires…. 

Madame Laure Beccuau a raison de nous alarmer sur la menace grave que constitue le crime organisé. Mais cette menace a pris cette ampleur de par notre propre faiblesse, de par notre rejet des gêneurs qui osaient alerter, de par la passivité ou l’illusion de l’action si commune chez nombre de chefs. 

Nous pouvons encore réagir. Mais hâtons-nous avant que ce soit le rôle d’un comité de salut public. Il faut d’urgence sortir de l’aveuglement collectif et revenir à tous les niveaux à une saine lucidité dans l’action.

L’histoire montre que dans toutes les périodes difficiles, l’oeuvre des chefs de tous les niveaux était salvatrice. L’invariant de tous ces chefs est la vision associée au caractère. Ce qui permet de tracer des caps, d’inspirer et de guider.



[1] Laure Beccuau, procureure de Paris : « L’infiltration de nos sociétés par les réseaux criminels dépasse toutes les fictions » Propos recueillis par Simon Piel et Thomas Saintourens Le Monde 18/11/2022

[2] Déclaration de Lionel Jospin, Premier ministre et candidat à l’élection présidentielle, sur ses propositions pour une politique globale de sécurité. Tours, le 26/03/2002

[3] Y a-t-il 10 000 policiers et gendarmes de plus sur le terrain depuis cinq ans, comme le dit Emmanuel Macron? Libération par Elsa de La Roche Saint-André20/04/2022

[4] Les enjeux structurels pour la France Cour des Comptes Novembre 2021

[5] Insécurité : ce à quoi devra vraiment s'atteler Emmanuel Macron (ou un éventuel successeur) pour rattraper la trajectoire française Par Bertrand Cavallier Atlantico

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