Implosion de la Nupes et explosion des tensions communautaires : et si le temps d’une dissolution était venu ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jusqu'à maintenant, c'est donc plutôt le Rassemblement national qui aurait une capacité d'être en pole position en cas de dissolution.
Jusqu'à maintenant, c'est donc plutôt le Rassemblement national qui aurait une capacité d'être en pole position en cas de dissolution.
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Improbable

S'il y avait des législatives anticipées à la suite d'une dissolution, la NUPES ne pourrait certainement pas renouveler la performance qu'elle avait enregistrée en juin 2022 (plus de 150 députés).

Denis  Jeambar

Denis Jeambar

Denis Jeambar est journaliste et auteur. Il a été rédacteur en chef d'Europe 1 et l'Express. Il collabore aujourd'hui à Public Sénat et Marianne. Il a récemment écrit Ne vous représentez pas ! Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy (Flammarion - 2011)

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Pascal Perrineau

Pascal Perrineau

Pascal Perrineau est professeur des Universités à Sciences Po. Il est notamment l'auteur de Cette France de gauche qui vote FN (Paris, Le Seuil, 2017) et Le vote clivé: Les élections présidentielle et législatives d’avril et juin 2022 (PUG, 2022).

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Atlantico : Suite aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur le conflit entre le Hamas et Israël, la gauche a-t-elle perdu sa boussole ? Socialistes, écolos, LFI : rien ne va plus... peut-on parler d'implosion de la NUPES ?

Pascal Perrineau : Oui. L'implosion avait déjà commencé auparavant, mais le caractère scandaleux des propos et des silences de Jean-Luc Mélenchon l'a rendue inéluctable. Le compagnonnage avec La France insoumise, et surtout avec Jean-Luc Mélenchon, devient presque indécent pour les autres membres de la NUPES. Ils ne peuvent pas donner l'impression, sauf à se renier, qu'ils approuvent en totalité ou en partie les propos de Jean-Luc Mélenchon et consorts. Or, il ne faut pas oublier que la NUPES n'est pas une union de la gauche pluraliste comme une autre ; c'est une stratégie de candidature unique sous influence écrasante de la France insoumise qui contrôlait presque 60% des candidatures aux dernières législatives. Si LFI et son patron se mettent véritablement à dépasser les bornes de ce qui est convenable, c'est l'ensemble du dispositif qui est déstabilisé. La NUPES est défunte : Jean-Luc Mélenchon a rendu impossible ce qu'il avait rendu possible en juin 2022.

S'il y avait des législatives anticipées à la suite d'une dissolution, la NUPES ne pourrait certainement pas renouveler la performance qu'elle avait enregistrée en juin 2022 (plus de 150 députés). Deux raisons à cela : sa division, et la sanction qui serait portée contre le caractère extrémiste des propos de Jean-Luc Mélenchon. Il n'y aurait pas simplement le constat de la division, mais un vrai vote sanction. On le voit dans toutes les enquêtes d'opinion : l'étoile de Mélenchon est en train de décliner. L'image de La France insoumise également. Des scénarios modélisés il y a plusieurs mois, donc avant la dérive de Jean-Luc Mélenchon, donnaient La France insoumise hors-NUPES à 10% environ d’intentions de vote. L'idée de Mélenchon qui, au départ, était d'apparaître comme l'alternative au macronisme est devenue complètement irréaliste.

Denis Jeambar : C’était une construction assez artificielle totalement tournée vers des visées électorales. Dès le départ, ça n’allait pas entre La France Insoumise et le Parti communiste. Depuis plusieurs mois, on voit surgir des tensions également avec les écologistes et ce qui reste du Parti socialiste autour d'Olivier Faure. Tout était donc réuni pour que cet édifice électoral fragile implose un jour ou l'autre. D'une certaine manière, l'heure de vérité est arrivée. Ce moment est provoqué depuis des mois et des mois par le durcissement de Jean-Luc Mélenchon, sur lequel d'ailleurs, il faut bien s'interroger. Il ne s’agit pas seulement de sa personnalité, mais d’un calcul électoral qui vérifie sa volonté de se représenter à l'élection présidentielle. 

Le tempérament présidentialiste, pour ne pas dire autoritaire, de Jean-Luc Mélenchon le conduit à faire un calcul cynique et très précis. Il sait qu'il y a six millions de musulmans en France. C'est cet électorat-là qu'il vise. C'est cet électorat qu'il cherche à séduire par les propos, inadmissibles, qu'il tient. Cet homme, qui sait calculer, pense à 2027 et s'imagine déjà dans une opposition à Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Il se dit que les gens ont la mémoire courte et que, le temps passant, il aura réussi à capter un électorat qui lui constituera une base solide. Une base qu'il pourra élargir avec des gens de centre-gauche qui auront oublié ce qui s'est passé et ce qu'il a pu déclamer.

L’explosion des tensions communautaires à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois renforce-t-elle l'extrême droite ou l'exécutif ? 

Pascal Perrineau : Avant l'été, donc avant l’épisode que nous traversons, les sondages montraient que le bloc majoritaire perdait aux alentours de cinq points par rapport aux législatives de 2022 et qu'il aurait peut-être du mal à retrouver sa capacité à avoir une majorité relative en cas de nouvelles élections. La majorité est contestée, affaiblie, et n'a pas retrouvé tout son lustre dans les prises de position du président. Même si elles sont appréciées par une majorité relative de Français, il ne faut pas croire que le conflit avec Emmanuel Macron et la perception plutôt négative du bloc majoritaire ont disparu. De ce fait, une éventuelle dissolution ressemblerait à un scénario à la 1997, avec un exécutif qui croit qu'il a la possibilité de se renforcer et qui, en fait, fait élire un bloc de l'opposition. Surtout que dans ces sondages d'intentions de vote pour les législatives, on s'apercevait que l'érosion de la majorité ne profitait absolument pas à la NUPES, mais au Rassemblement national qui connaissait une progression d'environ cinq points par rapport à 2022. 

Jusqu'à maintenant, c'est donc plutôt le Rassemblement national qui aurait une capacité d'être en pole position, grâce à sa stratégie de respectabilisation et au fait qu'il apparait comme une force parlementaire qui n'a pas existé par le désordre, comme la NUPES, mais par une certaine forme d’institutionnalisation.

Il faut faire attention, car le Rassemblement national depuis 2022 n'est plus le FN de 2017. Aux législatives de 2017, quand le parti de Marine Le Pen était dans un second tour face à la majorité ou face à la gauche, il avait très rarement la capacité de l'emporter à 50 %. Ça a changé en juin 2022 : sur 100 circonscriptions dans lesquelles il était en duel, il avait la capacité à en remporter presque la moitié. Cela prouve que le RN a désormais, dans le scrutin majoritaire à deux tours, une capacité à dégager une majorité absolue. Et ça, ça change tout. Le RN est un parti qui peut faire au second tour bien mieux qu'au premier tour en rassemblant les déçus de la gauche, une partie des déçus de la majorité et une partie de la droite classique. Ça change complètement la donne pour une éventuelle dissolution.

Denis Jeambar : Si je regarde les derniers sondages, Emmanuel Macron a repris quelques points après son voyage au Proche-Orient. Mais pour l'essentiel, la tendance lourde et longue me semble être un renforcement du Rassemblement national en raison des questions sécuritaires. Marine Le Pen la joue profil bas depuis les élections législatives et la dernière présidentielle de 2022. Elle n'a cessé de progresser depuis par une stratégie que je qualifierais de « low profile » et qui est très étudiée : pas d’excès verbaux afin de gommer ce qu'on a pu lui reprocher à elle ou à son parti dans le passé ainsi qu’un esprit de responsabilité au sein de l'Assemblée nationale qui est d'autant plus souligné que la France insoumise a choisi la stratégie inverse, exister par ses excès. On voit bien aussi que les questions migratoires et les questions sécuritaires (qui poussent d'ailleurs le camp présidentiel à une politique beaucoup plus à droite, beaucoup plus autoritaire) renforcent les positions de Marine Le Pen qui peut aujourd'hui plaider, « nous l'avions toujours dit. Ce qui se passe vérifie ce que nous avions toujours annoncé et redouté ». La situation actuelle me paraît donc assez porteuse pour le Rassemblement national.

Est-ce qu'on est dans un moment politique où tout peut se passer ? Et si le Président exploitait ce moment politique et surprenait tout le monde en provoquant une dissolution de l’Assemblée nationale ?  

Pascal Perrineau : Non. Je mentionnais tout à l'heure le scénario de 1997. Il faut faire attention à cette idée qui consiste à dire : « La majorité a une fenêtre d'opportunité qui s'ouvre pour renforcer sa position. » Je crois que cette analyse est très aventureuse. Au contraire, peut-être, la majorité risquerait de s'affaiblir. Ça rend une dissolution hasardeuse.

De plus, on s'aperçoit que même avec une majorité relative, celle-ci arrive à gouverner en s'attirant la neutralité de la droite, en essayant d'élargir sa base sur certains projets de loi, etc. Les armes du parlementarisme rationalisé retrouvent une seconde jeunesse. Ils arrivent à fonctionner cahin-caha. Nous ne sommes pas dans une situation de blocage que l'on pourrait utiliser pour dire aux Français : "Il faut en sortir et c’est vous qui allez décider !" On n'en est pas encore là.

Certes, les tensions intercommunautaires existent. On le voit de manière évidente dans la hausse vertigineuse des actes antisémites qui montre qu'il y a un problème. Une partie de la population française, il faut l'espérer minoritaire, issue de l'immigration, vient de redonner un second souffle à l'antisémitisme. Plus de 700 actes antisémites et 5000 signalements à la plateforme Pharos ont été recensés en trois semaines, alors qu'il y a très peu d'actes anti-musulmans. Cette résurgence de l'antisémitisme constitue une tache pour la France patrie des droits de l’Homme.

Denis Jeambar : Je ne crois pas beaucoup à ce scénario-là. Il faudrait vraiment un drame national pour que le chef de l'État puisse jouer cette carte-là. C'est-à-dire devenir le garant de l'unité nationale à la suite d'un attentat, ce qu'il ne faut pas exclure d'ailleurs. Il faudrait une quotidienneté des attentats qui rendrait le pays très nerveux ou un attentat de masse pour conduire le chef de l'État à prendre une posture de rassembleur qui l’amènerait à solliciter le soutien de tout le pays. Cependant, je crois que le chef de l'État n'a pas aujourd'hui les moyens de provoquer une élection anticipée. J'ai toujours pensé qu'il lui fallait attendre les élections européennes pour évaluer ses marges de manœuvre et envisager éventuellement une dissolution.

Emmanuel Macron, qui aime faire des coups politiques, pourrait-il ramasser la mise en cas de dissolution et en sortir avec une majorité plus forte ? Cette prise de risque serait-elle payante ? 

Denis Jeambar : Il passe son temps à essayer de faire des coups politiques, mais ce sont des coups d'épée dans l'eau pour le moment. Emmanuel Macron n'a pas réussi à rebondir depuis son demi-échec aux législatives de juin 2022. 

Je ne pense pas que le chef de l'État jouerait un coup gagnant en provoquant une dissolution de l'Assemblée nationale. Il va imposer l'acte majeur de l'année qui vient avec l'adoption, par le 49.3, du budget pour l'année 2024. On oublie toujours un peu que le rendez- vous budgétaire est le rendez-vous politique le plus important pour un gouvernement. C'est ce qui définit ses choix, ses marges de manœuvre. C'est la décision la plus importante d'un gouvernement. Sauf une crise massive qui soulèverait le pays d'indignation et d'inquiétude, je ne pense pas que les circonstances actuelles l'amènent à dissoudre l'Assemblée Nationale. Il a besoin de prendre la mesure réelle de l'état électoral du pays. Voilà pourquoi les élections européennes sont, pour lui, un enjeu considérable. Le Président va pouvoir mesurer l'état réel du rapport de force et son souhait principal serait de voir son parti devancer le Front national aux élections européennes. Ce qui n'est pas le cas dans les sondages aujourd'hui. Emmanuel Macron a un socle assez solide à 20 %. Le Front national est plutôt aux environs de 30. Provoquer une dissolution, c'est extrêmement délicat. Son obsession pour les mois à venir jusqu'à l'élection européenne, c’est de reconquérir une partie de son électorat pour essayer de devancer le Front national. Je pense qu'il se mettrait en danger en provoquant une dissolution. 

Nous n’avons pas du tout parlé des Républicains. Sont-ils complètement hors-jeu ?

Pascal Perrineau : Très souvent, on dit que la vie politique est divisée aujourd'hui en trois blocs : le bloc, qui n'est plus une réalité aujourd'hui, d'une gauche écologiste et sociale ; le bloc macronien et de droite et de gauche ; et le bloc de la droite nationaliste et protectionniste autour du Rassemblement national. Dans cette tripartition, il n'y a pas beaucoup de place pour Les Républicains. Quand on regarde les enquêtes d'opinion, ils semblent être stables, mais sans véritable capacité à remonter vers les 15-18% qui les feraient à nouveau peser. Ils sont coincés entre le Rassemblement national et Reconquête, qui parlent à une partie des anciens électeurs républicains sur le terrain culturel et identitaire, et le bloc macronien qui s'est droitisé et qui parle à l'ancien électorat républicain sur le terrain socio-économique. L’étau qui enserre les Républicains attire ses anciens électeurs républicains vers la droite de la droite pour la thématique identitaire, et vers le centre droit macronien pour la thématique économique du libéralisme social. L’espace de LR est réduit à la portion congrue auquel ce grand parti de gouvernement n’était pas habitué…

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