Immobilier : la baisse continue sauf pour…<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme consulte des annonces dans une agence immobilière.
Un homme consulte des annonces dans une agence immobilière.
©PASCAL PAVANI / AFP

Nuages sombres à l’horizon

Les prix de l’immobilier sont en recul et certains craignent une amplification délétère du mouvement.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Quelle est actuellement la situation du marché du logement en France ?

Philippe Crevel : Le marché de l'immobilier en France, avec l'augmentation des taux d'intérêt, observe évidemment une diminution des transactions immobilières et, dans certaines régions, une baisse des prix.  Il y a aussi un phénomène de diminution de la construction de logements neufs. Cependant, il ne faut pas mettre uniquement la faute sur les taux d'intérêt. En réalité, le marché immobilier rencontre des problèmes plus complexes. Bien que les taux aient effectivement augmenté beaucoup, ils sont autour de 3%, soit un niveau comparable à celui de 2015. Avant cela, ils étaient nettement plus élevés. La différence majeure réside dans le niveau d'inflation, qui avoisine aujourd'hui les 4%, rendant les taux d'intérêt réels négatifs. 

Ainsi, il est essentiel de prendre en compte d'autres facteurs qui ont contribué à cette situation. Premièrement, entre 2021 et 2022, le marché a atteint son pic en termes de nombre de transactions, avec plus d'un million d'opérations immobilières, et les prix ont considérablement augmenté ces dernières années. Il y a eu une période d'euphorie post-COVID a accentué la demande et les prix, et il n’est pas illogique que la situation se normalise. 

A point est-ce que la capacité d'emprunt et les crédits accordés ont reculé ?

Avant d’aborder la question de la capacité d'emprunt, il faut aborder celle des prix. Aujourd'hui, s’il existe une forte demande d'emprunts, c’est notamment en raison de l'augmentation significative des prix dans les agglomérations ou sur le littoral. Cette hausse des prix contraint les Français à s’endetter fortement. Cela explique l'accroissement de l'endettement des ménages pour le logement, qui dépasse désormais les 1000 milliards d'euros.

Il est important de souligner qu'actuellement, selon la Banque de France, les nouveaux prêts accordés aux ménages représentent environ 11 milliards d'euros en juin 2023, dépassant ainsi leur niveau d’avant crise. Cela montre que malgré des taux d'intérêt élevés qui posent problème, les Français continuent à emprunter pour satisfaire leurs besoins immobiliers. 

Les banques ont dû répondre aux demandes des autorités monétaires en augmentant les apports personnels nécessaires pour les prêts. De plus, elles examinent attentivement la capacité de remboursement des ménages. Il est vrai que des taux d'intérêt à 3% réduisent considérablement les capacités d'emprunt pour la plupart des ménages. Mais cette situation était déjà vraie avant 2015. La situation des taux d'intérêt nuls était une situation extraordinaire. 

Aujourd’hui, il faut un apport qui correspondrait à 35% du prix moyen d’achat pour une maison. Comment expliquer ces chiffres ?

Le prix de l'immobilier a doublé, donc la demande d’apport a suivi. Cela représente un véritable obstacle pour les primo-accédants, ceux qui n'ont pas encore de bien immobilier à revendre et qui se retrouvent face à un mur, le mur des prix. Bien sûr, les taux d'intérêt ont un certain impact négatif, mais le principal problème réside dans le niveau très élevé des prix immobiliers, tandis que les salaires n'ont pas suivi la même trajectoire. Cette divergence entre l'évolution des prix immobiliers et les revenus des ménages au cours des dernières années a considérablement réduit leur pouvoir d'achat. Un taux d’intérêt élevé n’est pas grave, si les salaires suivent.

Il est essentiel de rappeler que dans les années 70 et 80, on a connu une période marquée par une forte progression du taux de possession de résidences principales (passant de 40% à 55%), malgré des taux d'intérêt élevés. Cela était rendu possible grâce à la croissance significative des salaires à l'époque. 

Terra Nova a même estimé que les prix de l'immobilier pourraient dégringoler de 20% au cours de l'année 2023. Est-ce vraiment l’ampleur du phénomène ?

Pour l'instant, les statistiques de l'Insee ne montrent pas de baisse significative dans le marché immobilier synonyme de krach. On observe plutôt des ajustements, avec des variations autour de 5 à 6%, comme c'est le cas à Paris, par exemple. Le dernier grand krach immobilier a eu lieu au  début des années 90, où les prix avaient baissé de plus 40% après une forte augmentation et une période de hausse des taux. Cependant, la situation actuelle est loin d'être comparable, et il n'y a pas de correction aussi marquée pour le moment dans le marché immobilier français. 

Par ailleurs, les baisses constatées en France sont inférieures à celles observées dans certains autres pays, comme aux États-Unis où les prix avaient chuté de 10 à 12%. D'ailleurs, cette baisse aux États-Unis est en train de se terminer. Les signaux ne permettent pas de conclure à un krach immobilier en préparation. Une des raisons en est que le marché immobilier français fonctionne différemment, avec une offre qui demeure stable, ce qui crée un équilibre entre l'offre et la demande. 

Par ailleurs, la majorité des acteurs du marché ne sont pas des primo-accédants, mais des ménages qui ont déjà un logement, vendent et rachètent. Cela crée un circuit relativement fermé et contribue à la stabilité du marché. De plus, nous arrivons progressivement au terme du processus de hausse des taux, avec encore deux à trois hausses de taux directeur à prévoir. Le gros du mouvement de hausse est déjà derrière nous.

Certains estiment qu’il y a une chance que la baisse des prix immobiliers se poursuive, notamment parce qu’allait arriver la saison hivernale, parce que la production de crédits s'était effondrée, parce que les taux pour l'instant continuent d'augmenter. Est-ce ce qui s’annonce ?

La bonne saison pour le marché immobilier, c’est effectivement plutôt au printemps ou à l'automne. Pendant l'hiver, les choses sont généralement un peu plus calmes. Lais pour l'instant, je ne perçois pas de signes indiquant une chute massive dans les prochains mois. La demande reste forte, en particulier dans les régions déjà tendues, les grandes agglomérations et les zones côtières. 

La demande est particulièrement soutenue pour les appartements de deux pièces, surtout en région parisienne et à Paris. Cependant, le marché peut être plus compliqué pour les grands appartements. Malgré tout, je ne prévois pas un effondrement du marché immobilier à court terme. Je ne partage pas le pessimisme de certains à ce sujet. Cependant, une correction modérée pourrait être bénéfique pour permettre un meilleur accès au marché pour les primo-accédants, notamment les jeunes.

Actuellement, ces catégories rencontrent des difficultés pour accéder au marché immobilier, et il serait important de trouver des solutions pour améliorer leur situation. Une correction modérée pourrait éventuellement contribuer à rendre le marché plus accessible pour ces personnes. 

A quel point la réalité est-elle contrastée d’une région à l’autre ?  Où les prix continuent-ils d’augmenter ?

Selon les dernières statistiques de l'Insee, la baisse des prix immobiliers est plus prononcé à Paris qu'ailleurs. Cette tendance s'explique principalement par l'augmentation significative des valeurs immobilières à Paris ces dernières années. Les ajustements se font principalement via les taux d'intérêt.

Certaines agglomérations, comme Bordeaux ou Anger, qui avaient également connu une forte hausse des prix, subissent maintenant des fluctuations. En revanche, des villes qui ont rejoint plus tardivement le processus de valorisation des biens immobiliers continuent à enregistrer une augmentation des prix. C'est notamment le cas à Marseille, en particulier. Sur le littoral, où la demande reste forte, à la fois en raison de la présence de retraités cherchant à s'installer et des aspirations globales de la population à accéder à des villes dynamiques, la baisse n’a pas encore eu lieu. 

Cependant, il est essentiel de noter que les variations des prix immobiliers peuvent varier considérablement au sein d'une même agglomération. Certaines villes en périphérie, offrant des espaces verts et des services complets, continuent à connaître une hausse des prix en raison de la demande persistante pour des logements dans ces zones prisées.

L’évolution des prix immobiliers en France dépend davantage des bassins de population que des régions dans leur globalité. Prenons l'exemple de la région Rhône-Alpes Auvergne, qui présente des différences marquées entre les zones rurales et urbaines. Les variations sont significatives entre villes telles que Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et Lyon. Même au sein de la région parisienne, on observe des différences notables entre Paris et d'autres villes où les prix immobiliers ont amorcé une baisse, tandis que certaines localités des Hauts-de-Seine continuent de voir leurs prix augmenter. 

Qu’est-ce qui pourrait causer un krach ? Ou à l’inverse une amélioration ?

Un krach du marché immobilier pourrait éventuellement être provoqué par une hausse rapide et continue des taux d’intérêt, donc une inflation qui forcerait les banques centrales et la BCE à poursuivre et intensifier leur hausse. Cependant, nous n'en sommes pas encore là. 

La deuxième possibilité qui pourrait entraîner une crise immobilière serait une crise économique majeure en Europe, notamment en France. Des facteurs extérieurs, tels qu'un durcissement de la guerre en Ukraine ou une crise des dettes souveraines, pourraient également contribuer à une forte hausse des taux, comme cela s'est déjà produit en Grèce par le passé. Toutefois, pour l'instant, il n'y a pas d'indices majeurs permettant de dire que nous nous dirigeons dans cette direction.

L'évolution future des taux d'intérêt sera un facteur déterminant pour le marché immobilier dans les prochains mois. Si les taux se stabilisent d'ici la fin de l'année, il est probable que certaines villes, qui avaient pris du retard en matière de hausse des prix, continueront à augmenter leurs tarifs. Cependant, cela ne signifie pas une harmonisation globale des prix, car chaque ville évolue en fonction de son offre et de sa demande spécifique. 

Il est fort probable que d'ici la fin de 2023 et en 2024, nous observerons une situation hétérogène sur le marché immobilier. Certaines agglomérations continueront à voir leurs prix augmenter, tandis que d'autres connaîtront des périodes de stagnation ou même de baisse des prix. Cette diversité de situations est liée aux différences d'offre et de demande dans chaque région. 

Y-a-t-il à l’inverse des signes qui pourraient laisser entrevoir que les choses pourraient se normaliser ?

Aux États-Unis, après avoir diminué de 12%, les prix immobiliers se stabilisent, voire repartent à la hausse. Cela suscite des inquiétudes au sein de l'autorité monétaire américaine, car cela pourrait indiquer une reprise de l'inflation aux États-Unis. 

En France et en Europe, malgré des taux d'intérêt plus élevés, l'équilibre entre l'offre et la demande contribue à maintenir une stabilité relative du marché immobilier. Cependant, en France, la faiblesse de la construction et la rareté de l'offre sont liées aux lois encadrant l'urbanisme, ce qui réduit les capacités de construction de logements. Cette situation créé en fait une pénurie de logements, alors que la population continue à augmenter et ou, notamment en raison de la multiplication des divorces, la demande en immobilier s’accroît. 

Plusieurs facteurs sont aujourd'hui favorables à la hausse des prix du logement en France. Certains disent qu’avec le vieillissement de la population une disponibilité accrue de logements pourrait voir le jour d’ici 20 ans. D’ici là, la situation est fortement tendue.

En France, il y a un consensus pour dire que nous avons besoin de construire environ 500 000 logements par an pour répondre à la demande, mais nous sommes loin de ce chiffre, avec seulement environ 150 000 logements construits chaque année. 

Quelles sont les conséquences économiques mais surtout sociales de la situation actuelle sur le marché immobilier ?

Le premier obstacle pour les jeunes actifs, en particulier, est le poids des remboursements immobiliers sur leur budget. Plus les taux d'intérêt sont élevés, plus les remboursements le sont aussi. Le coût élevé des biens immobiliers combiné à cela entraîne souvent une situation où 30 à 40% du budget des ménages est consacré au logement. Cette situation s'applique tant pour les propriétaires que pour les locataires du secteur privé, qui doivent dédier une part importante de leur budget à leur logement. 

Cet enjeu a des répercussions sociales significatives. D'une part, cela crée un problème social car les prix élevés de l'immobilier rendent l'accès à la propriété difficile pour de nombreux jeunes actifs. En comparaison avec il y a 30 ou 40 ans, il semble y avoir moins de possibilités d'ascension sociale via l'acquisition d'une résidence principale de nos jours. Cela peut être vecteur de frustration. 

Comment quantifier la crise que nous vivons actuellement ?

En France, l'immobilier suscite un attachement profond, et la majorité des Français aspirent à devenir propriétaires de leur résidence principale, bien plus qu'on ne le constate dans d'autres pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni où l'appétence pour l'immobilier est moindre. Par conséquent, le fait de ne pas pouvoir accéder à la propriété en France est davantage ressenti comme une difficulté par rapport à d'autres pays européens. 

D'autre part, la France a adopté une politique relativement restrictive en matière de construction, avec des normes environnementales et techniques importantes qui freinent le développement du secteur. Contrairement à certains pays étrangers, la France a un modèle de construction plus artisanal que fortement automatisé, ce qui entraîne des coûts de construction plus élevés en comparaison. Cela a un impact sur la crise du logement en France et se répercute sur les prix et la disponibilité des logements. 

Un autre phénomène important est la forte concentration de la population autour des grandes agglomérations en France depuis les 30 dernières années. Les grandes métropoles régionales ont vu leur population croître de manière significative, provoquant des exodes des populations vers les banlieues périphériques. Cette concentration démographique a entraîné une densification de la population, une dégradation des conditions de vie et des tensions sociales liées à l'immobilier.

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