« IA », « CHAT GPT », «TIKTOK » et cie : Toutes ces technologies de rupture, qui nous promettent «des lendemains qui chantent » (ou pas...) en 2024, doivent-elles nous inquiéter ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le réseau social TikTok, photo d'illustration AFP
Le réseau social TikTok, photo d'illustration AFP
©DENIS CHARLET / AFP

Perspective

ATLANTICO a demandé à ses plus fidèles contributeurs de projeter leur réflexion sur des éléments saillants pour l'année 2024 qui s'annonce. A travers quelques augures glanés ça et là, Franck DeCloquement aborde dans ce billet, l'irruption soudaine des technologies de rupture qui nous projette dans l’abysse vertigineux des nouveaux risques.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Les enjeux géopolitiques pour 2024 confinent d'ores et déjà à un vertigineux rebattage des cartes à l'échelle mondiale, en matière de pouvoir, mais aussi d’ubiquité technologique. A l'image de la régulation de l'Internet lui-même et de sa gouvernance mondiale, qui seront de toute évidence au cœur même des nombreux soubresauts géopolitiques en gestation. A l'heure ou l'intelligence artificielle s'invite également en politique, grâce à son irruption tonitruante dans les nouvelles méthodes électorales d'affrontements qu'elle offre aux différentes écuries en lice, pour la conquête du pouvoir. A l'occasion des prochaines élections européennes en juin 2024 ? n'en doutons pas une seconde...   

NOS DÉMOCRATIES EN PÉRIL DISPOSENT D'UN TEMPS TRÉS LIMITÉ POUR S’ADAPTER A DES MENACES TOUJOURS PLUS SOPHISTIQUÉES.

C'est acté, la nouvelle année s’ouvre donc sous le signe noir des risques majeurs et émergents. Des périls jugés sans précédent depuis les années 1930 par les meilleurs spécialistes. Les défis qui se profilent sont gigantesques. La guerre à nos portes est omniprésente. Et la paix semble désormais presque impossible à rétablir, pour éteindre les très nombreux conflits majeurs en cours, tant la contagion de la violence réciproque et des haines recuites étend son ombre portée et son empire mimétique funeste sur tous les continents que compte la planète. L'académicien défunt René Girard qui aurait eu 100 ans cette année ne s'en serait pas étonné outre mesure. En l'état, nos démocraties occidentales se retrouvent indéniablement dos au mur, et à l'heure des choix les plus cruciaux pour espérer un jour réinvestir les affaires du monde. Pour cela, elles disposent pourtant de très nombreux atouts et de toutes les ressources nécessaires afin de surmonter leurs difficultés internes, et défaire leurs ennemis. Mais il leur manque hélas l’essentiel : la détermination, la force de conviction d'un leadership incontestable porté par des êtres d'exceptions, une ligne stratégique claire, et l’engagement de tous leurs concitoyens autour d'un projet mobilisateur et d'une vision directrice inspirante. Pourtant, et comme lu au détour d'un post sur la toile : « Le redressement de la France, la refondation de l’Europe autour de la souveraineté et de la sécurité, l’unité de nos démocraties pour résister aux ambitions hégémoniques des empires autoritaires, c’est maintenant ! ». Souhaitons-le. 

DE L'INFLUENCE DE LA GÉOPOLITIQUE SUR L'ÉVOLUTION DE L'INTERNET ET DE L'IA, ET SUR NOS LIBERTÉS, EN UNE RAPIDE RÉTROSPECTIVE.  

Puisque les IA deviennent continuellement meilleures pour générer du code (d'ores et déjà même sans coder), elles vont être naturellement mise à profit par les attaquants de tous poils pour mener des cyberattaques extrêmement sophistiquées, à échéances immédiates. Les risques notables vont être - de ce fait - augmentés, puisque « dopés à l’IA ». Écoutons très attentivement les augures de l'excellent Cédric Thevenet, Vice Président et Group Chief information Security Officer chez Capgemini : « L’année 2023 est sur le point de marquer le début de l’ère de l’IA. Avec le vaste éventail d’opportunités qui émergent de l’IA et des LLM [Les grands modèles de langage], il est en train de remodeler le paysage de la cybersécurité, principalement en raison de l’intégration de l’IA dans les outils des attaquants. Dans ce contexte, l’adoption des principes Zero Trust devient plus essentielle que jamais : la mise en œuvre de mesures telles que la micro-segmentation, les vérifications explicites, l’hypothèse de violations et l’octroi d’un accès au moindre privilège sont des nécessités absolues. À titre d’exemple, l'article [The age of weaponized LLMs is here, paru sur venturebeat.com] détaille l’exploration d’un chercheur utilisant de grands modèles de langage (LLM) comme ChatGPT pour créer des e-mails de spear-phishing personnalisés ciblant les membres du Parlement britannique. Leurs recherches révèlent que les LLM peuvent générer de nombreuses variantes trompeuses d’e-mails, leurrant habilement les cibles à un coût par message exceptionnellement bas... Ces révélations signifient l’avènement d’une nouvelle phase, où les LLM militarisées posent des cyber-menaces redoutables et inquiétantes. » Autrement dit, un risque inéluctable d’extension et de massification des techniques d'attaques les plus pointues qui soient, qui seront bientôt toutes opérées par des cybercriminels (étatiques ou para-étatiques) parfaitement déterminés à performer. Avec la perspective inéluctable d'une utilisation de ces IA pour déstabiliser nos sociétés ordo-libérales, à travers un usage totalement décomplexé, mâtiné de guerres de l’information et d'encerclements cognitifs infiniment mieux conçues, déployés et monitorisés qu'hier. 

Derrière cette mise en œuvre massive, et la diffusion accéléré et souvent chaotique de ces dispositifs d'informatique avancée dans nos écosystèmes sociaux, il faut aussi prendre très au sérieux le risque induit de destruction massive et systémique d'emplois dans toutes les strates de nos collectifs humains. Avec son corollaire de casse sociale que cela suppose d'ores et déjà. Il existe parallèlement un risque de concentration des fournisseurs oligopolistiques en IA, avec à la clef, l’inéluctable transfert de tout un ensemble de compétences et de données aujourd'hui traitées en interne, mais déléguées à des entreprises tierces étrangères. Américaines pour l'essentiel. 

Dans un autre registre, l'IA va notablement bouleverser nos efforts en matière de cyberdéfense. Et notamment grâce à des capacités augmentées d'audit de profondeur, encore jamais atteinte à ce jour, dans l’analyse des vulnérabilités. Face à la massification prévisible et corrélative des attaques cybercriminelles en miroir, la cybersécurité concerne plus que jamais tous les secteurs, et tous les types de structures entrepreneuriales. Des très grands groupes à la plus petite ETI. Et nous n’avons plus beaucoup de temps à perdre pour le comprendre. 

Au risque de remettre profondément en question nos certitudes, écoutons très attentivement ce qu'un spécialiste tel que Tariq Krim a à nous dire, quand il prophétise sur les bouleversements en cours. Et comment l’IA est en train de changer drastiquement la dynamique de nos anticipations passées. « 2024 sera une année charnière sur les questions numériques. Toutes les règles que l’on a connues ont changé ». Vertigineux petit florilège pris à la volée de notre camarade toujours pertinent, à l'occasion de sa dernière et brillante conférence donnée à la Sorbonne : 

« [...] La plupart des gouvernements, des entrepreneurs et des sociétés de capital-risque font la même erreur. Ils croient que nous reviendrons au monde que nous avions il y a cinq ans. Mais ce n’est pas le cas. La géopolitique, la culture, la démographie, la démondialisation et la guerre feront obstacle à un déploiement facile de l’IA […] Splinternet 2.0 émerge lentement, séparant l’Internet démocratique mondial des pays autocratiques (dictatornet) [...] Plus de 30 pays se sont déjà partiellement ou totalement déconnectés de l’Internet mondial. Les nouveaux centres de décision sont aux États-Unis pour l’Occident et en Chine pour le reste. Cela signifie que tous les autres sont technologiquement et économiquement dépendants de l’un ou l’autre, parfois des deux [...] La cyberguerre est en train de prendre en otage l’Internet commercial, et nous ne sommes pas prêts à faire ce qu’il faut. Ce qui s’est passé en Ukraine sera la nouvelle norme [...] Dans ce monde, les satellites sont la nouvelle sauvegarde d’Internet, et la plupart des pays ne sont pas prêts à déployer leur propre plate-forme souveraine. L’espace pourrait également devenir la nouvelle enclave sécurisée du centre de données [...] Nous n’avons pas réglementé l’intimité computationnelle. Les médias sociaux et les logiciels d’IA ont-ils le droit de jouer avec notre intimité et nos émotions sans contestation ? La majeure partie de notre vie est gérée par des algorithmes qui sont maintenant utilisés comme des armes. Le DMA/DSA et le RGPD n’ont pas résolu ce problème. Sommes-nous prêts pour l’essor des logiciels d’IA non déterministes de la génération dans tous les aspects de notre vie ? [...] La géopolitique est essentielle pour comprendre l’avenir de l’IA. La géopolitique de la construction de l’IA, des puces aux talents en passant par l’énergie (il se dit qu’il faudrait 2 centrales nucléaires supplémentaires juste pour maintenir la demande en France !) [...] La géopolitique du déploiement de l’IA sur le marché. Un enjeu géopolitique majeur. Le Moyen-Orient dépense déjà plus d’argent que l’Europe pour devenir la Suisse des GPU entre les deux grandes superpuissances de l’IA [...] La géopolitique de l’usage non-déterministe : L’IA ne vise pas à remplacer des emplois, mais à lutter contre le risque d’exploitation d’un pays dont la démographie s’effondre. La génération Z est déjà la plus petite génération à entrer sur le marché d’un monde conçu pour les baby-boomers [...] L’automatisation intelligente ou obscure (infrastructures, armée, approvisionnement alimentaire, santé, créativité culturelle) fera la différence entre un pays en faillite et un pays prospère dans 10 ans. C’est le temps dont nous disposons pour créer des enclaves culturelles et industrielles autonomes qui fonctionnent selon nos valeurs. Ou l’Europe pourrait devoir les louer aux États-Unis (et à la Chine). » 

On frissonne tout naturellement devant ces vérités, assénées pourtant avec verve et bonhomie. 

LES IA, ENVISAGÉES PAR NOS CONCITOYENS TOUT A LA FOIS COMME SOURCE DE DANGER ET FACTEURS DE PROGRES.  

A nos yeux, Tariq s'inquiète à fort juste titre des dangers réels en déploiement rapide, et de la cécité commune que cela provoque chez de très nombreux « observateurs-prescripteurs », jugés pourtant cortiqués, dans le Landerneau du Cyber : « Ceux qui, comme moi, ont vécu la création de l’Internet, sa commercialisation, son expansion fulgurante et ses nombreuses mutations, de l’ordinateur familial au mobile, sont déjà les témoins impuissants de sa probable implosion ». Et pour qui souhaite apprendre à naviguer dans ce futur incertain, et lire autre chose que le prêt-à-penser de rigueur dans les cocktails d'avisés de la Tech, son portail et tout à la fois think tank « Cybernetica », est une ressource précieuse pour quérir et s'y forger une vision réaliste et fondée du numérique.  

La plupart des Français ont déjà entendu parler du chatbot ChatGPT de la société d’OpenAI. Elle susciterait des sentiments plutôt positifs chez nos concitoyens, à en croire le dernier sondage d’Ipsos pour Sopra Steria, de mai 2023. 67% de nos concitoyens avaient en effet déjà entendu parler à date de ChatGPT. Une hausse très significative par rapport à février de la même année, où ce chiffre ne dépassait pas les 50%. Concernant l’intelligence artificielle au sens large, la majorité des Français sondés (56%) perçoivent en elle un risque, estimant qu’elle pourrait poser de nouveaux problèmes émergents. 44% des sondés voient cependant ces outils comme un facteur de progrès, pouvant ouvrir de nouvelles perspectives positives. 59% des Français estiment que ces outils pourraient améliorer leurs conditions de travail dans les emplois qui consistent essentiellement en des tâches répétitives. En définitive, et face aux risques perçus comme inhérents à l’implémentation de cette technologie de rupture, 71% des personnes interrogées souhaiteraient que les entreprises qui les développent soient davantage régulées. À l’inverse, 29% considèrent qu’il faudrait limiter la régulation de ces mêmes sociétés pour permettre l’émergence de grands groupes français et européens. 

On se souviendra avec amusement du « Future of Life Institute » qui avait lancé une pétition mondiale appelant à un moratoire technologique de six mois sur le développement des IA génératives. Cette pause aurait permis, selon le FHI, de « réfléchir plus sereinement à l’arrivée de l’AGI dans un monde qui n’est pas prêt à la recevoir ». Le goupil Elon Musk à dessein, et quelques centaines de scientifiques avec lui, se sont laissé séduire (faussement pour Musk) puis associés à cette missive, en raison des risques liés à l'impact sur l'emploi, l'usage de la désinformation augmentée tous azimuts, voire même le risque de perte corrélative de contrôle sur notre destinée. Initiative vaine s'il en est, car la course à l’AGI (Artificial General Intelligence) est lancée et personne ne l’arrêtera de sitôt. À l’image des précédents moratoires initiés en 2018 par cette même FHI, à l’encontre cette fois de la recherche sur des robots armés et les systèmes d’armes autonomes. Une démarche stérile, car « 5 ans plus tard, ces systèmes armés semi-autonomes sont développés partout. Ils transforment l’art de la guerre » comme nous le rappel à raison le grand spécialiste des drones et de l'IA, notre ami Thierry Berthier. Et l'enseignant-chercheur de conclure avec humour, et l’œil en coin : « les doctrines militaires évoluent en fonction de ces nouvelles armes, sans pause ni moratoire ». 

Tel le Maître Renard croqué par Prévert, Musk en profite dans l'interstice devant cette aubaine des idiots utiles en colère, pour développer de son côté et en secret, sa propre IA générative. Fin 2023, le milliardaire fantasque lance en effet « Grok » (au nom très inspiré d'un roman de science-fiction), sa concurrente de ChatGPT, tout juste sept mois après avoir demandé une pause dans la course aux intelligences artificielles génératives. Particularités de celle-ci : elle se connecte au réseau social X en temps réel et partage le goût pour le sarcasme de son créateur. 

CE JOUR OU LA FRANCE ET L’UE SE SONT RÉSOLUMENT MOBILISÉES CONTRE « LA MENACE FANTOME » TIKTOK. 

Le 24 mars 2023, le gouvernement français était allé bien au-delà d’une simple interdiction de TikTok, avec son bannissement de tout un ensemble d’applications dites « récréatives »  des appareils professionnels des fonctionnaires d’État (soit 2,5 millions d’employés au total). Comprenant en outre les applications américaines Instagram, Twitter, Netflix ou encore Candy Crush. Car selon le ministre Stanislas Guerini, celles-ci « ne présentent pas les niveaux de cybersécurité et de protection des données suffisants pour être déployées sur les équipements d’administrations ». Les fonctionnaires concernés pouvant toutefois conserver ces applications sur leurs mobiles personnels.

En Belgique, le Premier ministre Alexandre de Croo avait quant à lui annoncé le 10 mars 2023 l’interdiction de TikTok aux employés de l’état fédéral, pour un minimum de six mois avant qu’une possible réévaluation n’intervienne. Les appareils mobiles personnels n’étaient pas visés par la mesure prise alors. Au Danemark, après un avis émis fin février 2023 par le Centre pour la cybersécurité rattaché en ligne directe au service du renseignement extérieur, le ministère de la Défense avait pris la décision d’interdire à ses employés d’utiliser TikTok sur leurs mobiles professionnels. Une semaine, auparavant, les députés et le personnel du Parlement danois avaient fait l’objet d’une très forte injonction, leur recommandant explicitement – en raison d’un fort « risque d’espionnage » – de supprimer l’application chinoise de leurs mobiles de travail. Aux Pays-Bas, si TikTok n’a pas été explicitement interdit, le ministère de l’Intérieur avait cependant très fortement déconseillé son usage aux fonctionnaires d’État sur leurs mobiles professionnels, ainsi que toutes autres applications émanant de pays tiers, « ayant un programme cybernétique agressif visant les Pays-Bas ou les intérêts néerlandais ». Le 16 mars dernier au Royaume-Uni, le gouvernement britannique a banni TikTok « avec effet immédiat » sur tous les mobiles professionnels de ses collaborateurs. Le Parlement a adopté une mesure similaire le 23 mars, comme le gouvernement écossais. La Norvège, également, dont le Parlement a tôt fait d'interdire à son personnel, l’utilisation de l’application sur les téléphones professionnels, et les appareils ayant un accès au système informatique de l’institution. 

Hors UE, les États-Unis avaient fort logiquement annoncé le 28 février 2023,  donner 30 jours à l’ensemble des agences fédérales pour supprimer TikTok des mobiles professionnels de leurs employés. La mesure a conjointement été adoptée par le Congrès, le Parlement américain, et l’armée. Sur les 50 États que compte le pays, plus de la moitié ont banni à l'époque l’application chinoise des appareils mobiles de leurs collaborateurs. La Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada ont eux aussi globalement prohibé l’usage de l’application chinoise pour l’ensemble des collaborateurs de leurs institutions. A Taïwan, l’application a été interdite pour raisons de sécurité en décembre dernier. En Inde, c’est chose faite depuis janvier 2021, aux côtés d’une cinquantaine d’autres applications, toutes chinoises, à l’image du service de messagerie instantanée WeChat. Des interdictions strictes qui ont été instaurées sur fond de tensions frontalières récurrentes avec la Chine dans l’Himalaya. 

En conclusion, et selon notre ami et expert du domaine Thierry Berthier « L’intégration de l’AGI (Artificial General Intelligence) au cœur de nos systèmes démocratiques occidentaux est en passe d’impacter très en profondeur l’ensemble de nos activités humaines, de la production, aux services, de l’expertise à l’industrie, et de l’éducation jusqu’à la politique elle-même ». Il en va ainsi quand se referme la vague inexorable d’un changement de paradigme majeur. En 2024, nous y sommes très concrètement !

TIK TOK, CE LOUP GRIMÉ EN AGNEAU ? 

Le 5 mai 2023, la BBC révélait que TikTok avait espionné les déplacements de la journaliste Christina Criddle, durant plusieurs semaines à l’été 2022, en traquant le compte de son chat. Le réseau social chinois souhaitait par ce biais comparer son adresse IP avec celles de ses employés « lanceurs d’alertes », sans doute suspectés par la firme chinoise d'avoir parlé à la presse. TikTok de son côté a avoué être parfaitement consciente d'avoir « abusé de son autorité » dans le cadre de cette enquête interne. Un tel niveau de traçage n'est pas accidentel selon les nombreux experts consultés. De son côté, Bytedance, la maison-mère de TikTok, a déclaré qu'elle « regrettait profondément » ce qui constituait une « violation importante » de son code de conduite, et qu'elle était « déterminée à faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais ». Pour mémoire, des employés de TikTok avaient déjà espionné des journalistes américains en décembre 2022, avec l’objectif identique d'identifier des sources internes. 

Si l'on considère la menace « TikTok », on se rappellera aussi que l'État américain de l'Indiana avait déposé en décembre 2022 deux procédures contre la plate-forme sociale Chinoise. L'une d’elles portait sur la capacité présumée de la Chine à utiliser les données issues de TikTok pour espionner, faire chanter ou contraindre certains utilisateurs pour servir les visées de Pékin. Notons qu’il avait été déclaré par TikTok qu’il n’avait jamais été donné au gouvernement chinois un droit accès subreptice aux données des consommateurs américains. Soulignons aussi avec un peu de dérision qu'en réalité, en tant que firme soumise au droit sécuritaire chinois, le géant de la Tech se doit nécessairement de coopérer dans les faits avec les autorités de Pékin. Plus récemment encore, et selon the Euro AsianTimes, dans le cadre de bourses accordées par le China Scholarship Council (CSC), environ 5 000 étudiants chinois de premier et deuxième cycles ont été envoyés en Allemagne. Parmi les conditions à remplir, les participants « doivent déclarer par écrit leur allégeance à la Chine et au parti communiste, rester en contact régulier avec l'ambassade et suivre toutes les instructions qu'ils reçoivent ». Car l'affaire ne date pas d'hier : « En 2017, la Chine a mis en place un statut sur les services secrets qui exige que « toute organisation ou citoyen soutienne, assiste et coopère avec le travail de renseignement de l’État, conformément à la loi. En d’autres termes, il a donné au gouvernement chinois le pouvoir de mandater tout ressortissant chinois ou toute entreprise chinoise pour assister les agences de renseignement. Il s’agit essentiellement d’un permis d’espionnage sans restriction. Le réseau d’espionnage chinois s’accroît grâce à des milliers d’expatriés chinois, de chercheurs invités, d’étudiants et d’hommes d’affaires qui envoient des informations dans leur pays d’origine. » Les espions chinois travailleraient donc sans relâche, afin d'accéder aux technologies de pointe. Notamment en biotechnologie, en intelligence artificielle, en technologie quantique et en technologie hypersonique, selon les services de sécurité allemands. Ce sont des technologies duales - à double usage - et qui peuvent donc être utilisées à des fins aussi civiles que militaires. Selon la centrale allemande, les rachats d'entreprises font partie d'un plan stratégique plus vaste, visant pour l'essentiel à donner à la Chine un avantage décisif dans la lutte mondiale pour l'expertise. En octobre 2023, le MI5 britannique avait déjà averti que plus de 20 000 personnes au Royaume-Uni avaient été approchées très secrètement en ligne, par des agents de renseignement chinois. La célèbre centrale de sécurité britannique avait en outre averti sur le risque pour des dizaines de milliers d'entreprises du royaume de se voir voler leur innovation. « Même les États-Unis ne sont pas à l’abri des cyberattaques chinoises. Les autorités américaines s’inquiètent du fait que l'armée chinoise renforce sa capacité à perturber les infrastructures américaines critiques, notamment les systèmes d’électricité, d’eau, de communication et de transport, en piratant son système de réseau informatique ».

Avec en miroir, ce parallèle qu’un esprit naturellement malicieux pourrait également faire en tant qu’Européen, avec les contraintes légales de divulgations auxquelles sont elles-mêmes soumises toutes les grandes plateformes américaines, en vertu cette fois de la législation spéciale des États-Unis sur leur sécurité nationale, opérées par leurs différentes centrales du renseignement. « La poutre et la paille » ! Les derniers rebondissements en date ne font que le confirmer. Le partenaire américain n'est souvent pas cet ami loyal qu'il déclare être. Ses visées sont bien plus pragmatiques et anglées sur la poursuite unique de ses intérêts bien compris, le plus souvent au détriment des nôtres. Les États n'ayant pas d'amis, nul ne devrait encore s'en étonner en 2024.  

Deux procédures, dont la deuxième pointait en outre une inquiétude majeure quant à l’influence que la plate-forme chinoise TiKTok exerçait sur la psyché des enfants américains. Une première contre une application populaire étrangère, avec des injonctions explicites de changements de pratiques, ainsi que des sanctions civiles pour chaque violation présumée : « Une fois sur la plate-forme, de nombreux enfants sont exposés à des offres incessantes de contenu inapproprié que l'algorithme de TikTok leur soumet de force. Le préjudice qui en a résulté pour les jeunes et la société dans son ensemble a été dévastateur », notent les attendus de l’une des actions en justice engagées. Ajoutant que : « TikTok est un cheval de Troie chinois, qui se déchaîne sur des consommateurs américains sans méfiance ».

Rappelons pour mémoire que l'annonce faite de ces différentes actions diligentées contre TikTok survient après que plusieurs États américains aient rédigé une législation spéciale visant à interdire l’application sur leur territoire. A l’image des états du Texas, du Dakota du Sud et de la Caroline du Sud qui ont été les premiers à interdire l'utilisation de l'application sur les appareils gouvernementaux. Le procureur général de l'Indiana, Todd Rokita, avait en outre accusé la société mère ByteDance, basée à Pékin, d'avoir violé les lois de protection des consommateurs de l'État. Le stratège militaire chinois Sun Tzu n'avait-il pas souligné l’importance des actions d'espionnage à travers son célèbre aphorisme : « Si vous connaissez l’ennemi et vous connaissez vous-même, vous n’avez pas à craindre le résultat d’une centaine de batailles. » On le comprends, la peur-panique d'un piratage massif des systèmes vitaux américains au cas où un conflit entre les États-Unis et la Chine éclaterait dans le Pacifique, demeure fort logiquement très prégnant dans les têtes aux États-Unis. Le bon sens en action, parce que nos grands cousins d'Amérique savent de toute évidence de quoi ils parlent car, « les États-Unis ne sont pas à l’abri des cyberattaques chinoises. Les autorités américaines s’inquiètent du fait que l'armée chinoise renforce sa capacité à perturber les infrastructures américaines critiques, notamment les systèmes d’électricité, d’eau, de communication et de transport, en piratant son système de réseau informatique ». Classant les cyberpirates chinois au même niveau que les Russes, « les agences de renseignement allemandes affirment que les Chinois emploient moins la force brute, de peur d'attirer une attention injustifiée. Au lieu de mesures spectaculaires, les cyber-espions chinois pénétreraient furtivement dans les systèmes et resteraient sur place pendant plusieurs années, glanant des informations sensibles. Selon le  Spiegel, de nombreuses sociétés cotées à l'indice boursier allemand de premier ordre, le DAX, ont été la cible de cyberattaques chinoises, comme BASF et Daimler ». On le voit, les risques encourus très concrètement ne sont pas mince. 

TIKTOK, CETTE MACHINERIE D’INFLUENCE ET D'INGÉNIERIE SOCIALE CHINOISE PARTICULIÉREMENT BIEN HUILÉE.

En novembre 2022, déjà, le directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), Christopher A. Wray, avait déclaré sans ambages devant les législateurs américains, que Pékin utilisait vraisemblablement TikTok pour contrôler les données et pister les appareils de ses utilisateurs. Selon Wray, la Chine aurait déjà volé plus de données américaines que toutes les autres nations réunies. L'application est particulièrement populaire auprès des jeunes publics, qui ont du mal à détecter les opérations de désinformation. Un Américain sur 10 utilise régulièrement TikTok comme source d'information, selon une récente enquête de Pew Research. « Nous avons des préoccupations en matière de sécurité nationale, du moins du côté du FBI à propos de TikTok », a indiqué son directeur au « House Homeland Security Committee »,  lors de son audience à l’annuel sur les menaces mondiales. Pékin pourrait également utiliser TikTok « pour contrôler l'algorithme de recommandation, qui pourrait être utilisé pour des opérations d'influence s'il le souhaite », selon Wray. Le directeur FBI, Christopher A. Wray a en outre témoigné au Congrès, aux côtés de la directrice du « Centre national de lutte contre le terrorisme », Christine Abizaid, et du secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas. Ce dernier de conclure : « La Chine utilise sa technologie pour incliner le terrain de jeu mondial à son avantage ». Fermez le ban ! Taïwan a depuis interdit TikTok, sur les appareils de communication du secteur public (téléphones portables, tablettes et ordinateurs de bureau), car répertoriés comme mettant potentiellement en danger la sécurité nationale du pays. Une démarche également suivie en Europe ou l’application chinoise est frappée d’interdiction par plusieurs gouvernements. Déjà interdit pour le personnel de la Commission européenne, TikTok l'est aussi pour les fonctionnaires du Parlement européen à Bruxelles depuis le lundi 20 mars 2023. Ceci nous rappelant à quel point Bruxelles est une cible de choix pour les états illibéraux adverses. Russie et Chine en tête. 

Cette prohibition ferme de TikTok a rapidement été étendue à d’autres institutions de l’UE : le Conseil et le Parlement européen, le Conseil de l’UE, mais aussi la Cour des comptes européennes. De même pour le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le service diplomatique du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Bis repetita concernant cette fois les deux organes consultatifs de l’UE : le Comité européen des régions (CdR) et le Comité économique et social européen (CESE). Cette politique restrictive stricte de l’UE au sujet de TikTok intervient alors que le Digital Services Act (la nouvelle législation visant à encadrer l’économie numérique), entrera en vigueur cet été pour toutes les grandes plateformes. Ce règlement européen doit notamment renforcer leur responsabilité à l’égard de leurs utilisateurs, et introduire des obligations légales de transparence. En janvier dernier, le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton avait pressé Shou Zi Chew, le PDG de TikTok, d’appliquer l’ensemble des règles issues du DSA. En cas de non-respect à venir, les sanctions pourraient s’élever à 6 % du revenu ou du chiffre d’affaires annuel de la firme, voire même à son éviction du marché européen.

POUR NE PAS CONCLURE FACE A CE MAELSTROM QUE NOUS PROMET DÉJA 2024. 

Selon Tariq Krim, « avec la pandémie de Covid puis la guerre en Ukraine, la dé-globalisation du numérique initiée par Donald Trump et Joe Biden a trouvé son point d’orgue avec les restrictions sur l’IA ». Dés lors : 

  • « Les évolutions démographiques déplacent les chaînes de production (la Chine vieillissante a déjà la main-d’œuvre la plus chère d’Asie). L'Europe est pour l’instant prise de court, n'ayant pas de solutions simples de nearshoring (Le « nearshoring », par différence à « l'offshoring », est le fait de délocaliser une activité économique, mais dans une autre région du même pays ou dans un pays proche) ».

  • « Le sourcing de matières premières pour fabriquer des puces est devenu extrêmement complexe. Le paradoxe, c’est que de nombreuses technologies clés restent EU ou US ».

  • « Nous passons d’une mondialisation heureuse à celle des circuits préférentiels. Enfin, pour ceux qui ont le luxe de choisir ! »

  • « Les conflits numériques ne sont plus des actes isolés qu’ils soient externes (Cyberwar) ou internes (désinformation, PsyOps). Ils ont pris l’internet commercial en otage. Téléphones, hôpitaux, réseaux sociaux, etc. se sont retrouvés sans trop comprendre sur un nouveau champ de bataille. »

  • « Chaque pays espère qu’il ne sera pas la prochaine cible. »

  • « Le choix de l’Union Européenne de bureaucratiser la Cyber devrait tous nous effrayer ».

  • « Face à une situation géopolitique complexe, s’ajoute un « Vibe shift » (autrement dit, un « changement d’esprit du temps »), qui définit un changement significatif dans une tendance culturelle dominante qui a pris tout le monde de court ».

  • « L’IA générative a ringardisé les startups et leurs milliards d’investissements injectés depuis 10 ans ».

  • « La Silicon Valley s’en sortira, car elle dispose de plateformes et d’acteurs fondationnels solides qui basculent d’une technologie à une autre (mobile > Cloud > IA) » 

  • « En France, hélas, nous bâtissons sur les fondations des autres. Et l'on en devient beaucoup plus sensible aux aléas économiques. (La vision souveraine que Tariq défendait dans sa mission de préfiguration de la French Tech n’a hélas pas été suivie). 10 ans après, il serait intéressant de connaître la valeur et la résilience de cette « French no Tech » financée à coup de milliards d’argent public au pic de la bulle ».  

Pour ma part, je ferai miennes ces quelques phrases sans fioriture, glanées sur la toile, au hasard de mes pérégrinations improbables dans ce dédale digital. Elles synthétisent finalement mieux que je ne saurais le faire moi-même, en la circonstance, l'esprit du temps. Que leur auteur, dont je n'ai su retenir le nom en soit vivement remercié : 

« Les défis devant nous sont gigantesques. Contenir militairement la Chine dans le Pacifique et la Russie en Ukraine, tout en imaginant et en mettant en œuvre des stratégies de sortie de la guerre en Ukraine et à Gaza. Retisser des liens avec le « Sud global » en modifiant la gouvernance mondiale et en traitant les problèmes d’accès à l’alimentation et à la santé, de désendettement, de réponse au réchauffement climatique. Rompre avec l’économie de bulles et de surendettement pour concilier réindustrialisation, révolution de l’IA, transition climatique et stabilisation de la classe moyenne. Reconstituer les nations éclatées, polarisées et radicalisées pour refonder des communautés de citoyens. Remobiliser autour de la défense de la liberté contre les empires autoritaires, les djihadistes et les fanatiques de l’identité. L’Occident doit sortir de son repli narcissique et de sa léthargie pour réinvestir les affaires du monde.»

Recevez tous mes vœux pour 2024.

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