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Hyperadministration : la lenteur et la lourdeur de l’appareil d’Etat face à la crise du Covid-19
©Thomas SAMSON / AFP

Le Professeur Philippe Juvin publie « Je ne tromperai jamais leur confiance » aux éditions Gallimard. En 2020, alors que le monde bascule dans une crise sanitaire sans précédent et que la France paie au prix fort son impréparation, le professeur Juvin, qui est aussi maire, entame le journal du tsunami Covid. Extrait 2/2

Philippe Juvin

Philippe Juvin

Philippe Juvin est professeur de Médecine, chef du service des urgences, HEGP, Paris. Il est également député des Hauts-de-Seine et conseiller municipal de La Garenne-Colombes.

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Une autre des leçons à tirer concerne l’appareil d’État. Dans la crise du Covid, il a toujours eu un train de retard sur les événements ou sur les initiatives des collectivités et des acteurs économiques. L’administration centrale peut être la meilleure et la pire des choses. La meilleure quand elle assure la stabilité des politiques publiques, la pérennité de l’État et l’égalité de tous ses usagers. La pire quand elle se transforme en monstre d’inertie, gavé de procédures, se souciant de ses règles de fonctionnement plus que du service à rendre. Nous en sommes là : l’administration qui devrait être au service du public est devenue un mammouth ankylosé. L’hyperadministration empêche et éteint tout. Combien d’immobilismes, de chefs et de sous-chefs, d’ordres et de contrordres aura-t-on dû vaincre pour rendre le masque obligatoire dans les lieux publics clos, pour faire rouler certains trains sanitaires, ou empêcher l’État de réquisitionner les masques que les régions et communes avaient commandés ? L’hyperadministration est le grand mal d’une démocratie à bout de souffle. Comment rendre l’État plus agile ? La question est complexe. Une des réponses pourrait être de varier le profil très monochrome des hauts fonctionnaires, dont certains ont été complètement dépassés par le caractère inédit des questions qui se posaient et la nécessité de réfléchir en dehors des cadres habituels.

Notre administration était une administration de paix, là où il nous aurait fallu une administration de guerre. Le millefeuille administratif a aggravé les choses en complexifiant les circuits là où il aurait fallu les simplifier. En multipliant les échelons, il a dilué les responsabilités. On a trop décidé d’en haut et sans concertation avec le terrain.

Vertu des circuits courts de décision

Cette crise du Covid-19 aura eu le mérite (mais à quel prix !) de nous faire redécouvrir la vertu des circuits courts de décision. Les hôpitaux s’en sont sortis pendant la première vague, non grâce aux directives imaginées dans des soupentes ministérielles lointaines où vivent quelques plumitifs ignorants des réalités, mais parce qu’ils se sont pris en charge. À l’échelle locale, ils ont déterminé leurs besoins et inventé leurs solutions. Donner des responsabilités à des hommes, c’est leur offrir la possibilité de donner le meilleur d’eux-mêmes.

À l’hôpital comme dans les autres aspects de la vie publique. C’est pour les mêmes raisons que j’ai toujours été un fervent défenseur de la décentralisation : je le suis plus encore depuis la crise du Covid-19. Bien sûr il faut une politique de santé au niveau national, pour s’assurer des stocks stratégiques et des grandes orientations. Mais sinon, il faut décentraliser et faire confiance. À l’hôpital, nous nous sommes appuyés sur les praticiens pour définir les priorités et l’organisation. Mais il faut aller plus loin, en confiant maintenant aux régions l’organisation de la santé. Celle-ci gagnerait en efficacité et sans doute en moyens. Depuis que les régions les gèrent, les lycées ne sont-ils pas mieux entretenus que lorsque l’État les administrait ? Plus proches des besoins et des spécificités des territoires, plus rapides dans la décision et l’exécution, les régions ont fait la preuve de leur savoir-faire en matière d’éducation et de transports : confions-leur la santé ! Cela demandera des adaptations, naturellement. En particulier, il conviendra que chaque année des Objectifs régionaux d’assurance-maladie soient votés par l’Assemblée nationale en lieu et place de l’actuel Objectif national d’assurance-maladie. Comme il le fait dans tous les domaines de l’action publique décentralisée, l’État veillera à assurer l’équité entre les régions riches et les régions pauvres par le biais des péréquations. Faire confiance aux échelons locaux, voilà une piste qui marche. On l’a vu durant la crise ; on l’a vu aussi en période normale avec l’expérience de l’hôpital de Valenciennes  : en faillite il y a dix ans, cet établissement a été redressé en donnant une vraie autonomie de gestion aux chefs de service. Débarrassés d’une administration paralysante, ils ont développé leurs projets bien au-delà de ce qui se fait ailleurs. Cet hôpital est aujourd’hui un outil de santé performant, qui offre des prestations médicales haut de gamme, dans un territoire appauvri comme il en existe bien d’autres.

A lire aussi : Crise du Covid-19 : nos libertés sont notre bien le plus précieux et le plus fragile

Extrait du livre du Professeur Philippe Juvin, "Je ne tromperai jamais leur confiance", publié chez Gallimard

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