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Homeland, Made in Ukraine : l’histoire de l’héroïne déchue qui en dit long sur l’état du pays
©GENYA SAVILOV / AFP

Rise and Fall

​L'histoire de Nadiya Savchenko, pilote d'hélicoptère ukrainienne actuellement accusée par le procureur général de fomenter un coup d'Etat dans le pays​ défraie la chronique dans le pays.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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  1. L'histoire de Nadiya Savchenko, pilote d'hélicoptère ukrainienne actuellement accusée par le procureur général de fomenter un coup d'Etat dans le pays​ défraie la chronique dans le pays. Quels sont les ressorts de cette histoire parfois considérée comme le "Homeland" ukrainien, en référence à la série télévisée ?

En effet, Nadiya Savchenko se trouve aujourd’hui au cœur d’une polémique centrale dans la vie politique ukrainienne. Cette personnalité est une héroïne de guerre issue du bataillon paramilitaire Aidar, incarnation de la résistance à la Russie et emprisonnée par ce pays pour un double meurtre de journalistes russes. Elle est ensuite élue députée le 26 octobre 2014 pour le parti de Ioulia Timochenko (elle s’en éloigne par la suite), alors qu’elle se trouve en prison depuis juin 2014. Condamnée à une peine de 22 ans de prison par la Russie en mars 2016, elle est libérée le 25 mai 2016 en échange de deux prisonniers russes. Des polémiques apparaissent ensuite à son retour, dans des prises de position antisémites, son acceptation de l’idée de lâcher la Crimée en échange de la paix à l’Est, et elle admet également avoir rencontré à Minsk les représentants des régions séparatistes ukrainiennes. De « Jeanne d’Arc ukrainienne » au sommet de sa popularité, elle perd progressivement pied dans l’opinion.

Et pourtant, deux ans après avoir été condamnée par la Russie, elle a été arrêtée dans les locaux du Parlement ukrainien, et les députés ont voté en faveur de la levée de son immunité parlementaire. Son crime, aux yeux de la justice ukrainienne : avoir commis des actes visant à un renversement violent de l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire un coup d’Etat, et à la préparation d’un acte terroriste.

Le 8 mars dernier, le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) a arrêté un célèbre volontaire ukrainien, Volodymyr Rouban, engagé comme N. Savchenko en faveur de la libération des prisonniers. Or, celui-ci allait introduire un important stock d’armes en Ukraine, et les soupçons se sont tournés vers N. Savchenko, interrogée rapidement. Le Bureau du procureur a ensuite diffusé une vidéo au Parlement où l’on voit Nadia Savchenko et Volodymyr Rouban s’entretenir de leurs projets de coup d’Etat, incluant la destruction du Parlement et l’assassinat de députés ukrainiens. N. Savchenko a prétendu que cette prise ne correspond qu’à un jeu.

Enfermée jusqu’au 20 mai (pour un total de 59 jours de détention), elle annonce dès les premiers jours de sa détention sa volonté de commencer une grève de la faim.

  1. Que révèle ce cas de la situation actuelle du pays, 4 ans après l'intervention de Moscou ? 

L’arrestation de N. Savchenko et les charges retenues témoignent de la volatilité de la vie politique ukrainienne, sujette à de nombreux rebondissements ; sur les quinze dernières années, Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko se sont violemment opposés après leur victoire de 2004, Viktor Ianoukovitch avait pu devenir Président après sa défaite de 2004, Viktor Saakashvili, ancien Président géorgien, a pu prendre la citoyenneté ukrainienne pour ensuite se la voir retirée du fait de son opposition à Petro Porochenko, etc.

Cette volatilité des dirigeants contraste avec la stabilisation d’un système bureaucratico-oligarchique, accaparant les ressources par divers systèmes de corruption et prévenant toute émergence de l’Etat de droit, comme je l’ai montré dans mon ouvrage Les chemins de l’Etat de droit (Paris, Presses de Sciences Po, 2014). Aussi, la guerre continue de mobiliser l’attention du débat politique en Ukraine : malgré une acceptation non-avouée pour la perte de la Crimée, tout recul sur le Donbass paraît inacceptable.

Le tableau est donc celui d’un pays difficile à gouverner, et dont l’attention est tournée vers les prochaines élections présidentielles, qui feront apparaître des luttes féroces pour l’obtention du pouvoir.

  1. Comment anticiper l'avenir du pays, quels sont les scénarios envisageables au regard du contexte actuel ? 

Anticiper l’avenir de l’Ukraine revient à étudier les facteurs déterminants de son évolution : le conflit avec la Russie sur le Donbass, la transformation de son système politique, et son insertion dans son environnement international.

En fonction de la combinaison de ces différents facteurs, plusieurs scénarios se dessinent : celui d’une Ukraine s’enfonçant dans une forme d’instabilité politique ; celui d’une « grande Bosnie », c’est-à-dire d’un Etat réintégré (fin du séparatisme dans le Donbass), mais dysfonctionnel (répartition peu claire des pouvoirs et négociation constante des règles du jeu) ; l’affirmation d’un « intermarium illibéral », l’Ukraine se rapprochant de la Pologne et de la Hongrie pour former une alliance en marge d’une Union européenne qui ne peut s’élargir... Une chose est sûre : les hostilités des élections présidentielles de 2019 sont déjà lancées.

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