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Le couple franco-allemand paraît de plus en plus fragilisé sur la scène européenne.
Le couple franco-allemand paraît de plus en plus fragilisé sur la scène européenne.
©HANNIBAL HANSCHKE / POOL / AFP

Diplomatie européenne

Le couple franco-allemand est de plus en plus fragilisé. Existe-t-il une alternative au franco-allemand pour l’Europe ?

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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« Le franco-allemand agonise ; c’est un théâtre d’ombre, de faux-semblants et d’illusions. Il est devenu impuissant et stérile. Il est unilatéral, d’ailleurs seuls les Français l’appelle « couple » ; il ne joue plus qu’au bénéfice d’un seul. Depuis longtemps, plus aucun militaire ni diplomate n’y croit outre-Rhin. Il ne représente que le passé en Europe, dont le centre de gravité s’est déplacé au Nord-Est. Il est discrédité par ses positions sur la Russie. Le franco-allemand tire maintenant l’Union européenne vers le bas. Il ne faut pas seulement en espacer les sommets, il faut l’oublier, l’abolir... » Tels sont les constats et injonctions de nombre d’observateurs européens ces derniers jours.

À la lumière de la crise ukrainienne, des défis énergétiques et d’une transition écologique contrariée, à l’ombre des questions de défense et d’armement, il est vrai que les divergences entre ces deux pays fondateurs semblent se confirmer depuis plusieurs années, voire s’exacerber les semaines passées. Un plan de relance allemand de 200 milliards est décidé sans aucune concertation ni information de l’autre. Des projets de boucliers anti-missiles sont avancés en en excluant la France. Au nom d’une Europe de la Défense tardivement découverte, des fonds allemands sont ouverts pour acheter américain et saper d’anciens projets bilatéraux et européens de coopération militaire. D’acerbes critiques sur l’état de l’industrie nucléaire de l’un et la qualité des centrales à charbon de l’autre sont échangées. Des gazoducs intra-européens sont ressuscités unilatéralement. Dans ce contexte, le besoin pressant de vacances chez des ministres Grüne, besoin reportant à nouveau un Sommet, n’est plus que prétexte.

Les responsabilités du détachement, les causes de cette séparation sont partagées : sur l’Ukraine, l’Allemagne, à l’époque Merkel-Hollande, a pu entraîner la France dans une passivité relative sur le processus de Minsk ; sur l’énergie, la France aurait pu avertir davantage l’Allemagne des effets d’une trop grande dépendance à la Russie, mieux chercher à assouplir un marché européen de l’énergie injuste, et mieux promouvoir son nucléaire. Les pouvoirs politiques auraient pu enfin s’investir davantage dans l’armement et la défense et contraindre leurs industries, parfois concurrentielles, à se rapprocher davantage et à se restructurer.

Peut-on pour autant sous-estimer, voir rayer d’un trait de plume des acquis franco-allemands non négligeables pour l’Union européenne ? Y compris récemment, lors de la crise du Covid et l’acceptation des dettes communes souveraines ! Peut-on oublier l’acceptation allemande récente du projet français de Communauté européenne politique (CEP) ? Peut-on occulter l’accord sur le nucléaire dans la taxinomie européenne ? Doit-on reléguer le ralliement allemand, même tardif, aux idées d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne, y compris en matière de défense ? Doit-on par avance faire son deuil d’approches davantage communes, même si difficiles, sur la souveraineté énergétique?

Existe-t-il en outre une alternative au franco-allemand pour l’Europe ? Le dynamisme des pays du Nord et des Etats de la Baltique, leur sagesse et, pour certains, leurs valeurs morales, leur sagacité sur la Russie sont incontestable.  Mais quel est leur ciment, si ce n’est une aversion commune et légitime de la Russie ? Au delà d’unions conjoncturelles, quels sont les intérêts et valeurs partagés entre des pays comme la Finlande et la Pologne? Et, dans la situation actuelle -et même si en valeur relative leur aide à l’Ukraine est impressionnante- « combien de divisions » peuvent-ils aligner?

Au Sud, au-delà d’une image caricaturale de pays du Club Med dépensiers et endettés, l’Espagne, l’Italie et la France ont-elles suffisamment de points communs et de complémentarité pour impulser une Europe dont le centre de gravité s’est déplacé plus haut ? Resterait alors le splendide isolement,un retrait sur l’Aventin de la France ou de l’Allemagne, se protégeant contre ses voisins européens trop dynamiques, comme l’Albanie d’Hoxha ; ou les illusions britanniques, entretenues par Londres aussi bien à Paris qu’à Berlin, alors que le couple franco britannique n’a historiquement conduit qu’à Suez et aux démêlés sur un porte-avions commun vite coulé.

Le couple franco-allemand ne mérite ni excès d’indignité, ni excès d’honneur. Tout commande de le renouveler, au cas par cas sur la base de l’intérêt mutuel, et de l’ancrer ainsi à nouveau dans l’Union européenne, de façon non exclusive mais pour le bénéfice de tous. L’hallali actuel peut avoir valeur d’avertissement, voire d’appel au secours pour reconstituer un tandem au bénéfice des Européens. Mais il pourrait traduire aussi, de façon plus inquiétante, un désarroi destructeur, un peu nihiliste sur l’Europe. Au moment où nous en avons le plus besoin.

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