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Guerre commerciale, Brexit, Italie... ces facteurs qui menacent le semblant de reprise de l’industrie française
©VINCENT KESSLER / POOL / AFP

Tissu industriel en berne

Les fabricants français sont menacés par un climat international marqué par de profondes crises. L'économie française est-elle en péril si la situation venait à empirer avec le Brexit et les guerres commerciales ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Malgré une légère hausse des indicateurs manufacturiers pour le mois d'août 2018, les prévisions concernant les 12 prochains mois inciteraient à la prudence, selon Markit qui indique "La confiance des fabricants français chute en effet à son plus faible niveau depuis la fin de l’année 2016. Les tensions commerciales mondiales pesant actuellement sur les marchés et la faiblesse de la demande extérieure qui en résulte font craindre aux répondants un ralentissement de la croissance au cours des douze prochains mois". Quelles sont les causes de ces "tensions commerciales", la guerre initiée par Donald Trump en est-elle la principale ? 

Jean-Paul Betbeze : Spectre d’une pénurie de dollars : sans que le mot soit encore dans toutes les bouches, les entrepreneurs européens, notamment français, broient du noir. Ils y pensent, sans le dire. Derrière ce qui inquiète, on trouve la guerre américaine des changes, qui suit celle des droits de douane. Maintenant, elle vise autant la Chine que l’Europe. Les messages, tweets et menaces de Donald Trump pèsent sur les esprits. Sur les esprits, car ici la situation actuelle n’est pas (encore) si négative. Certes, voilà quelques mois que la croissance se couvre ici, après le rebond de fin 2017. Mais, surtout, le moral des entrepreneurs français faiblit, reflétant les tensions mondiales, commerciales et monétaires. Ainsi, après une modeste reprise interne en août, les prévisions à un an se retournent à la baisse en France.  
Leurs psychologies rejoignent celles des patrons européens, toujours selon Markit : « les perspectives de croissance se sont de nouveau repliées au cours du mois (d’août), affaiblies par la plus faible expansion du volume des nouvelles commandes depuis deux ans et par des inquiétudes croissantes quant à l’évolution de la conjoncture économique. » On retrouve les usual suspects : « moindre hausse de la demande sur les marchés étrangers et plus grande aversion pour le risque… le risque de guerres commerciales et les conséquences néfastes de l’imposition de tarifs douaniers, conjugués au Brexit et autres inquiétudes politiques, pesant sur la confiance des entreprises. » 
De fait, ralentissement très net en Italie, avec chute de la confiance des entrepreneurs et montée des taux longs (3,1%, contre 1% en mai), interrogations sur le Brexit (après des chiffres décevants, des oppositions croissantes contre le plan de Theresa May, qui ne serait pas accepté par Michel Barnier) sont les questions européennes majeures. En même temps, les entrepreneurs sont soucieux de ce qui se passe en Turquie, en crise de change sévère (-35% depuis janvier), venant des États-Unis. Cette crise n’est pas isolée : le peso argentin perd plus de la moitié de sa valeur depuis janvier, suivent le real brésilien (-20%), le rand sud-africain (-15%), la roupie indienne (-10%). Ceci sans compter le rial iranien (en chute terrible au marché noir) et le petro vénézuélien.
Et maintenant, le Président américain vient d’obtenir, sous pression, la signature d’un accord avec le Mexique (dont le détail est peu connu) et fait le forcing sur le Canada, pour d’évidentes raisons d’échéances électorales. Il veut désormais agir contre la Chine et l’Europe, enfourchant le thème de la manipulation des devises : Yuan et euro. L’Europe est donc en première ligne, et les entrepreneurs ne savent pas ce qui va se passer. 

Quelles pourraient être les conséquences de cette situation pour l'économie française ? Les bons chiffres -temporaires- du secteur manufacturier sont-ils voués à un tassement de long terme ? 

Risque d’un ralentissement accentué. Déjà, nous avons eu 0,2% de croissance au deuxième trimestre selon l’Insee. Nous n’aurons donc pas 2% en 2018, comme pensé il y a un an, mais 1,7% au mieux (Bercy), puis autant en 2019, puis 1,6% en 2020 (Banque de France). 2017, avec 2,3%, est donc loin. La Banque de France a beau dire que la France est « au-dessus de son potentiel », cette gentillesse technique n’aide pas vraiment, d’autant qu’elle ajoute que ceci finira en 2019. 1,6% de croissance, voici donc notre potage « potentiel », avec un taux de chômage à 8,2%, comme avant la crise ! 
Déjà, le pessimisme devient autoréalisateur, avec une pression sur les embauches futures : « le taux de croissance de l’emploi se replie ainsi à son plus faible niveau depuis mai 2017 » dit Markit. Le freinage des investissements suivrait, avec l’idée de garder le plus possible d’autofinancement : «  les entreprises cherchant à limiter le resserrement de leurs marges opérationnelles » poursuit Markit.

Quelles seraient les réactions européennes nécessaires permettant un réel inversement de tendance d'une situation de contraction du secteur manufacturier ?

Si l’inquiétude est politique, la réponse ne peut être que politique. Politique classique : inutile de penser à une action anti-trumpienne vigoureuse, peut-être des soutiens à la Turquie, pour commencer à exister ? Politique monétaire : la Banque centrale européenne disant qu’elle regarde avec attention la situation, ce qui (en l’état) sans cesser ses achats de bons du trésor en décembre, attendre plus longtemps avant de remonter ses taux. Ceci va faire enrager Trump qui parlera plus fort de manipulation ! Mais on n’a rien sans rien.
Plus profondément, il faut savoir si la zone euro veut avancer plus unie. Les entrepreneurs, en fait, vont commencer à se poser la question. Au-delà des réformes, des simplifications, des règles, des migrants dont on nous parle en permanence, face à la révolution technologique en cours, la zone euro perd pied, sauf l’Allemagne, attaquée (par hasard) par Donald Trump. Les entrepreneurs veulent continuer à avancer, former, mais il leur faut plus de marge bénéficiaire, sachant que, pour 2018, on compte que 38% des nouveaux robots seront installés en Chine, 11% aux USA, 6% en Allemagne, 1% ici. On peut donc s’inquiéter encore, se diviser plus, ou se réunir. 

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