Guérilla juridique autour du Brexit : l’empêcher ou le concrétiser… Dans quel cas la facture sera-t-elle la plus salée ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Brexit sera un choix politique de la part des gouvernants. En revanche, si le Parlement votait pour le maintien, cela provoquerait une crise institutionnelle majeure.
Le Brexit sera un choix politique de la part des gouvernants. En revanche, si le Parlement votait pour le maintien, cela provoquerait une crise institutionnelle majeure.
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Dilemme

Alors qu'une décision de justice a estimé que le gouvernement britannique de Theresa May ne pouvait lancer la procédure du Brexit sans l'accord des parlementaires, le scénario d'un maintien du Royaume-Uni dans l'Union semble de plus en plus crédible. Reste à savoir si le soulagement économique d'une telle décision compenserait le coup porté à la démocratie et à la volonté populaire britanniques.

Sophie Pedder

Sophie Pedder

Sophie Pedder est Chef du bureau de The Economist à Paris depuis 2003.

 

Elle est l'auteur de Le déni français aux éditions JC Lattès.
 

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est haut fonctionnaire en charge d’affaires européennes. 

Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le droit de l’Union et le droit de la Convention Edh, parmi lesquels récemment Les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (en collaboration avec Maître Aude Chartier, éditions Gualino-Lextenso, mai 2014) ; Comprendre l’Union européenne (coordination et participation à l’ouvrage, collection "Fac" à la Documentation française, 2ème édition, mai 2016); Procédures devant les juridictions de l’Union européenne et devant la CEDH (éditions Gualino-Lextenso, 4ème édition, mai 2016) ; Gouverner la zone euro après la crise : une exigence d’intégration (co-auteurs Frédéric Allemand et Mathieu Bion, préface du commissaire Pierre Moscovici, éditions Gualino-Lextenso, mai 2016).

Il publiera le 25 octobre 2016 un essai Faites l’Europe, pas la guerre (éditions Lextenso).

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Atlantico : Ce jeudi matin, les trois magistrats de la Haute Cour de justice d'Angleterre et du Pays de Galles ont estimé que le gouvernement britannique ne pouvait pas lancer la procédure du Brexit sans l'accord des parlementaires. Theresa May a indiqué qu'elle ferait appel de ce jugement qui lui impose un vote du Parlement. Dans quelle mesure cette décision de justice laisse-t-elle entrevoir un espoir pour les partisans du "Remain" ?

Christophe Bouillaud :  Le Royaume-Uni n'ayant pas de constitution écrite, tout dépend de l'interprétation du gouvernement britannique actuel. Il me semble que l'aspect judiciaire de la question est secondaire par rapport à la capacité politique de Theresa May de faire accepter à sa majorité la poursuite du processus de Brexit. Cela souligne surtout que le Brexit sera un choix politique de la part des gouvernants. 

En revanche, si le Parlement votait pour le maintien, cela provoquerait une crise institutionnelle majeure.  

Jean-Luc Sauron : Je ne crois pas aux "chances" des partisans du Remain. Certes, le référendum du 23 juin dernier n'est pas juridiquement contraignant et le Premier ministre David Cameron aurait pu insister là-dessus. Au contraire, il a clairement indiqué qu'il se sentirait lié par le résultat du référendum. Cette proclamation a renforcé la portée politique du résultat final et explique en grande partie l'intérêt donné par les Britanniques à la campagne référendaire. Bien sûr, il existerait au Parlement britannique une majorité en faveur du Remain. Mais de quoi parlons-nous? Les "représentants" représenteraient qui dans ces conditions : les battus du 23 juin ? Mais ces derniers n'avaient qu'à mieux se mobiliser et faire campagne contre les mensonges des Brexiter ! Si certains veulent définitivement associer l'Union européenne à la manipulation et à l'absence de démocratie, que les parlementaires britanniques reviennent sur le vote du 23 juin. Mais que les mêmes s'ils critiquent le régime de Victor Orban ou d'Erdogan ne viennent plus leur faire des leçons.

Sophie Pedder : C'est la première fois qu'un obstacle réel se présente devant le Premier ministre et sa volonté de sortir le Royaume-Uni de l'Union européenne. Cela donne effectivement un espoir à ceux qui ont voté en faveur du maintien dans l'Union européenne.

Logiquement, on pourrait espérer que le Parlement britannique vote contre la décision d'activer l'article 50. Dans la mesure où la majorité des députés sont pro-européens, il semble naturel que le Parlement se prononce contre la procédure de lancement du Brexit. Mais on ne sait pas si ça sera réellement le cas. En effet, compte-tenu de la culture politique britannique, le fait que le Parlement vote contre la volonté du peuple exprimée lors d'un référendum n'a rien d'évident. 

Nous verrons donc s'il y a vraiment matière à espérer pour les partisans du remain, ou si l'espoir réside plutôt dans l'éventualité d'un Brexit "soft" au lieu d'un Brexit "hard". 

Le Conseil des sages allemands a exhorté à Angela Merkel (et à ses partenaires européens) à tout faire pour empêcher la sortie du Royaume-Uni. Qui sont aujourd'hui les acteurs qui peuvent influencer le cours des événements ? De quels moyens disposent-ils pour stopper le Brexit ?

Christophe Bouillaud : Les sages allemands pensent probablement à une renégociation des conditions spéciales faites au Royaume-Uni. Il a été dit que David Cameron, lorsqu'il a commencé à négocier au début de l'année 2016 avec les partenaires européens, n'avait pas obtenu assez et que c'est à cause de cette offre limitée qu'il n'avait pas été capable de gagner le référendum. L'idée des sages allemands est donc d'offrir beaucoup plus au Royaume-Uni, notamment en ce qui concerne la spécificité de son statut au sein de l'Union européenne, de façon à permettre au gouvernement britannique de reproposer un second référendum sur ces termes nouveaux. Cela ressemblerait beaucoup à ce qui s'est passé lorsqu'il y a eu des référendums négatifs, aussi bien au Danemark au moment du traité de Maastricht qu'en Irlande au moment du traité de Nice : des avantages supplémentaires ont été offerts aux pays récalcitrants afin qu'ils signent les traités en question. 

Cependant, cette option envisagée par les sages allemands ne tient pas du tout compte du fait que l'opinion publique britannique est très majoritairement et réellement eurosceptique voire europhobe, et que pour les partisans d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, cela constituerait un déni de démocratie inimaginable. 

Jean-Luc Sauron : Le seul acteur qui puisse décider de revenir sur le vote référendaire du 23 juin, ce ne sont ni les dirigeants des milieux économiques européens, ni les parlementaires britanniques actuels. La seule façon de sortir d'une façon démocratique de cette impasse, c'est de dissoudre la Chambre des Communes et que chaque candidat dans chacune des circonscription se présente en mentionnant clairement ce qu'il serait amené à voter en cas de consultation sur le lancement du Brexit : favorable ou défavorable. Mais cette démarche est comparable aux plusieurs référenda de la "seconde chance" que l'Union européenne a imposé aux États qui avaient émis un vote négatif sur la poursuite de la construction communautaire (Danemark, Irlande) ou à la menace d'expulsion d'un État de la zone euro en cas de vote négatif (la Grèce). Le Brexit souligne le déphasage entre les dirigeants économiques et les classes politiques d'une part, et les électeurs de l'autre. Nous sommes dans une société duale. Nous commençons la véritable sortie de l'après-guerre et il devient fondamental de remettre à plat les mécanismes d'expression de la souveraineté populaire en Europe. C'est peut-être là la mission civilisatrice de l'Union en ce début de XXIème siècle : réfléchir et définir les modalités de fonctionnement  d'une démocratie de masse, en faisant rempart aux manipulations et aux démagogues.

Sophie Pedder : Le fait que Theresa May souhaite reprendre le contrôle de l'immigration va directement à l'encontre d'un des principes fondamentaux du marché unique et donc de l'Union européenne, ce qui n'est pas acceptable pour les partenaires européens du Royaume-Uni. 

C'est une situation très complexe : les Britanniques ont voté pour sortir de l'Union européenne et Theresa May souhaite respecter la voix du peuple. Le Royaume-Uni est confronté à une crise constitutionnelle et politique. Je ne vois pas comment les partenaires européens peuvent influencer ni empêcher cette décision britannique à moins qu'ils décident d'accorder au Royaume-Uni un droit de contrôle sur l'immigration, mais ça me semble très peu probable.

Alors que le scénario d'un maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne semble de plus en plus possible, est-il préférable pour le Royaume-Uni de subir le coût économique d'une sortie de l'Union ou d'affronter les conséquences politiques liées au maintien et à la trahison de l'expression de la volonté du peuple ?

Christophe Bouillaud : En tant que politiste, je privilégierai toujours l'expression de la volonté populaire. Il est indéniable que la volonté populaire britannique s'est exprimée de manière hostile à l'Union européenne telle qu'elle est actuellement. 

L'argument mettant en avant le fait que le Royaume-Uni est une démocratie parlementaire cède de loin devant l'argument référendaire, surtout sur des sujets comme l'avenir du pays dans l'Union européenne. L'indépendance, l'appartenance ou non à un ensemble, sont des questions qui relèvent de la souveraineté directe du peuple.

Forcer les choses en refusant cette volonté ne fera que détruire la démocratie britannique et introduira au sein même de cette démocratie une plaie qu'il sera très difficile ensuite de recoudre. 

Il vaut mieux éviter ce genre de jeu avec la démocratie car, comme je l'ai dit précédemment, les Britanniques, dans leur majorité, ne se sentent pas très européens. Forcer  le maintien du pays dans l'Union serait, me semble-t-il, à peu près aussi risqué que d'imposer aux Suisses l'adhésion à l'Union européenne. Dans les deux cas ce sont des nations dans  lesquelles la majorité ne se sent pas le devoir d'être membre de l'Union européenne. Il serait beaucoup plus raisonnable de tenir compte de cette réalité. 

Si le choix du maintien était fait, une partie de la droite britannique se détacherait probablement du parti conservateur et finirait par s'enkyster comme les résistants face à l'Union européenne. Il s'agirait certes d'une minorité, mais d'une minorité très remuante. 

Il vaut donc mieux respecter la volonté du peuple, même si elle peut sembler manquer de raison.

Jean-Luc Sauron : Votre question est étonnante. L'alternative qu'elle présente paraît ne concerner que la Grande-Bretagne! Ce n'est pas vrai. Le mépris démocratique que constituerait un Remain en dehors de la proposition de dissolution de la Chambre des Communes serait le point final de l'adhésion des peuples à la construction européenne. Le peuple n'est pas intelligent uniquement lorsque vous êtes d'accord avec le vote exprimé. Le Brexit est une occasion unique de repenser les démocraties des 28 États membres dans ce qu'ils sont les 28 pièces d'un tout (l'Union européenne). C'est ce que je développe dans l'essai que je viens de publier ("Faites l'Europe, pas la guerre", octobre 2016, Gualino-Lextenso éditions) avec des propositions de mesures à prendre d'urgence pour restituer au peuple français la maîtrise des décisions prises en son nom et "à son profit" par les institutions de l'Union. Il y a pour chaque décision communautaire, un responsable politique français à identifier, à interroger et à sanctionner si les électeurs ne sont pas d'accord. L'absence de propositions sur l'Europe, en dehors de propositions ineptes (le Frexit) ou de grandes envolées lyriques sur la souveraineté ou des listes de projets tant de fois annoncées et tant de fois non réalisées, etc., est affligeant. Les participants à la campagne présidentielle se refusent à aborder les questions européennes. C'est normal, les électeurs s'apercevraient que tout ne se décide pas à Bruxelles et qu'ils pourraient, si la démocratie française était reconstruite pour cela, peser sur les décisions communautaires. Il est grand temps de nationaliser les questions européennes.

Sophie Pedder : Je suis pour le maintien, mais le Premier ministre va essayer de poursuivre la sortie malgré la décision de la justice. Pour l'instant, cette question ne se pose donc pas. Il me semble qu'il est préférable que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. Sortir serait une erreur historique majeure. Les conséquences d'une sortie seraient très dommageables pour le Royaume-Uni, notamment sur les plans économique et politique, mais aussi pour l'Europe. 

Il serait également très regrettable pour la société britannique de ne plus participer au projet européen et de se réfugier sur son île. Le Royaume-Uni serait ainsi à contre-courant du monde mondialisé et ouvert d'aujourd'hui et les jeunes générations seraient les plus pénalisées.

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