Grand Hôtel : ces riches qu’on adore détester sur TF1 <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Grand Hôtel TF1 série télévisée
Grand Hôtel TF1 série télévisée
©DR / TF1

Série télévisée

TF1 a adapté la série Grand Hôtel à partir du concept original espagnol. La série de 8 épisodes bénéficie d’un casting impressionnant (Carole Bouquet, Alain-Fabien Delon, Anny Duperey, Hippolyte Girardot, Bruno Solo). Julie Graziani décrypte les stéréotypes sociaux et les enjeux au coeur de ce programme.

Les grandes consciences de notre époque sont si promptes à dénoncer les stéréotypes sociaux. Surtout ceux qui n’ont plus cours et dont l’inanité est évidente. Leur lucidité quant au passé n’a d’égal que leur aveuglement pour les lieux communs au goût du jour. La stigmatisation fait le fond des sociétés humaines : seul change à travers les âges l’objet de la répulsion collective. Mais chaque époque est convaincue du bien-fondé de la détestation qu’elle nourrit, tout en condamnant celle des âges écoulés, sans réaliser que le même schéma narratif se répète de siècle en siècle.

Depuis que la pensée socialiste a saisi les manettes du pouvoir culturel, la figure du riche est celle qu’il est possible de désigner à la vindicte populaire en toute bonne conscience. C’est le ressort de nombre de films et séries destinées au grand public. La série Grand Hôtel, actuellement diffusée sur TF1, en donne un exemple à ce point caricatural qu’il en devient cocasse. L’histoire a pour décor un palace dans lequel interagissent la famille des propriétaires, leurs employés et les clients, sur fonds de luttes de pouvoirs et d’enquêtes policières. En adaptant la série, les producteurs ont pris le parti de transposer l’intrigue à notre époque alors qu’elle se déroulait au début du 20ème siècle dans la version espagnole originale. Il en résulte un anachronisme absurde, sauf à être aveuglé par l’idéologie : les salariés de l’hôtel sont soumis à l’arbitraire des patrons qui les exploitent sans vergogne et en toute impunité. Car en France en 2020, comme dans l’Espagne proto franquiste, il n’y a ni juges aux prud’hommes, ni inspection, ni médecine du travail.

Les personnages, unidimensionnels, sont le décalque de cette pétition de principe. Parmi les clients fortunés, l’une réclame des roses de Damas pour parfumer son bain, l’autre veut ses œufs cuits à 83 degrés Farhenheit (forcément un anglo-saxon, paradis des infâmes financiers comme chacun sait), la troisième demande au personnel de cirer ses bottes après son cours d’équitation. Les riches sont donc des gens capricieux qui s’ingénient à accabler le petit personnel d’exigences farfelues. Les propriétaires de l’hôtel sont tous des méchants, sauf l’héroïne qui n’a aucune notion du commerce et qui, pour cette raison et parce qu’on la voit manger des kebabs avec les employés, échappe à l’opprobre qui frappe le reste de sa famille. La mère se croit au-dessus des lois comme tous les riches : « ici, la loi, c’est moi » déclare-t-elle aux enquêteurs venus perquisitionner (c’est la déclaration la plus intelligente à faire quand un flic vient fouiller votre intérieur, tous les avocats vous le confirmeront). D’ailleurs elle n’hésite pas à faire assassiner les salariés quand ils se mettent en travers de ses intérêts. Le fils drague une jolie fille en lui proposant de venir boire du champagne sur son yacht, à condition qu’elle « oublie » son maillot de bain. Car c’est ainsi que les riches courtisent les femmes, puisque ce sont des mufles. D’ailleurs, c’est un minable qui pleurniche dans les bras de sa mère quand les choses tournent mal, c’est-à-dire dès qu’il a bu un verre de trop. En plus, quand il a pris de la coke, il tue ses conquêtes d’un soir en les étranglant (si, si, ça arrive souvent, tous les addictologues vous le diront). L’homme d’affaires qui veut racheter l’hôtel est qualifié de « charognard » : il n’est manifestement pas venu à l’idée des scénaristes qu’on puisse vouloir acheter une entreprise dans un autre but que de la dépecer.

Heureusement, les employés relèvent le niveau en se rebiffant. La femme de chambre qui se plaint des cadences infernales trouve quand même le temps de fumer des clopes tranquillou dans la chambre d’un client qu’elle est censée aérer. Le héros qui s’est fait engager comme serveur arbore une mine outrée quand son collègue lui demande de ramasser une serviette. Il n’y a que deux salariés consciencieux : le premier est une publicité vivante pour le syndrome de Stockholm, la seconde est une détestable arriviste.

Bref, à l’instar de quantités d’autres fictions, la nouvelle série de TF1 enfile les perles de la lutte des classes. Les Gilets Jaunes n’ont fait que porter sur la place publique l’indignation que nos élites culturelles façonnent soigneusement à coup de clichés et de caricatures. On ne va quand même pas le leur reprocher.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !