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GPA : pourquoi la Cour de Cassation ne doit pas céder à la pression de la CEDH.
GPA : pourquoi la Cour de Cassation ne doit pas céder à la pression de la CEDH.
©Reuters

Décision cruciale ce vendredi

La Cour de cassation, à plusieurs reprises, a clairement affirmé l’impossibilité de transcrire sur les registres français d’état civil des actes de naissance d’enfants nés de gestation pour autrui réalisées à l’étranger au profit de ressortissants français.

Aude  Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est Maître de conférences en droit privé, et auteur de PMA-GPA, La controverse juridique aux éditions Téqui (2014).

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La Haute juridiction est invitée à se prononcer à nouveau sur cette question, et une audience importante est prévue en Assemblée plénière vendredi 19 juin. Certains veulent croire que la Cour de cassation devrait opérer un revirement de jurisprudence, imposé par la cour européenne des droits de l’homme après la condamnation de la France en raison précisément de l’absence de transcription, dans deux arrêts célèbres du 26 juin 2014 (CEDH, 26 juin 2014, requête n° 65192/11 (Mennesson), requête n° 65941/11 (Labassée). Se référant à ces décisions, le tribunal de grande instance de Nantes a d’ailleurs, le 13 mai dernier, ordonné au procureur la transcription des actes. Ce dernier a fait appel, avec raison, car une telle portée donnée aux décisions européennes est fallacieus.

>> Lire également : Pourquoi il ne faut pas sous-estimer le sentiment d’abandon que la GPA générerait chez les enfants : le témoignage d’une enfant adoptée

En effet, les incertitudes résultant de l’absence de transcription sur la situation des enfants, reprochées à la France par la Cour européenne, ont été clarifiées, avec pour conséquence que les décisions européennes n’emportent plus aujourd’hui aucune exigence de transcription des actes (I). Les raisons qui ont justifié l’absence de transcription sont elles, au contraire, toujours en vigueur et font toujours obstacle à la transcription (II), que celle-ci soit totale ou même partielle (II).

1- Aucune obligation de transcrire les actes ne découle plus aujourd’hui des arrêts de la CEDH

A la date où la cour européenne a statué, le 26 juin 2014, elle a pu relever des incertitudes découlant de l’absence de transcription sur la situation des enfants : effectivement, à l’époque, la transmission de la nationalité française leur était contestée et leur qualité d’héritier était discutée.

Or, entre temps, les deux points ont été précisés et la filiation découlant des actes étrangers suffit désormais, y compris en l’absence de transcription :

  • à transmettre la nationalité française aux enfants, puisque la circulaire du 25 janvier 2013 qui le préconise, contestée à l’époque, a été validée par le Conseil d’Etat le 12 décembre 2014 (n° 365779, Juristes pour l’enfance et autres).
  • à instituer les enfants comme héritiers à l’égard des parents figurant sur ces actes, dès lors qu’une note du ministère de la justice du 13 avril 2015 (n° C1/499-2013/1.8.7/ML/MGD) a précisé à l’intention des notaires que les enfants doivent être considérés comme héritiers à l’égard des parents figurant sur les actes de naissance étrangers, même non transcrits.

Ces deux précisions ont porté remède aux reproches faits à la France.

Par ailleurs, la cour européenne, dans une formule maladroite et reprise par le tribunal de Nantes, avait cru pouvoir constater "l’impossibilité pour les requérants de voir reconnaître en droit français le lien de filiation" (§83). Elle assimile ainsi l’absence de transcription à la non reconnaissance de la filiation, ce qui est faux. L’absence de transcription ne signifie pas que la filiation étrangère n’est pas reconnue mais, seulement, qu’elle n’est pas transcrite.

La filiation établie dans le pays de naissance de l’enfant a toujours été reconnue en droit français : à défaut, à quel titre les enfants pourraient-ils être élevés par les personnes désignées comme parents par les actes étrangers ? L’autorité parentale exercée par ces parents n’a jamais été remise en cause, ce qui manifeste que la filiation étrangère produit ses effets en France. La cour de cassation l’a d’ailleurs clairement affirmé dès sa première décision en la matière, précisant que l’absence de transcription "ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France" (Cass. Civ. 1ère, 6 avril 2011, n° 10-19053).

La filiation étrangère est si bien reconnue qu’elle suffit désormais, comme il vient d’être précisé, à transmettre la nationalité française aux enfants et à les instituer comme héritiers à l’égard des parents figurant sur ces actes, y compris en l’absence de transcription.

D’ailleurs, l’absence de transcription n’est pas une situation exceptionnelle, et de nombreux Français d’origine étrangère, bien qu’ayant la nationalité française, ont conservé un état civil étranger, la transcription n’ayant rien d’obligatoire et ne leur portant aucun préjudice.

Le fait pour des parents français de produire des actes de naissance étrangers est sans doute de nature à susciter des interrogations, peut-être même des suspicions, dans les démarches administratives, en plus de la contrainte que suppose de s’adresser aux autorités étrangères pour obtenir des extraits d’actes de naissance. Mais ces contraintes ne concernent pas les enfants et ne pèsent que sur les parents, responsables de la situation qui résulte d’une fraude à la loi française. La Cour européenne a d’ailleurs estimé que ces contraintes, qui n’ont rien d’insurmontable, n’emportent pas de violation du droit au respect de la vie familiale des intéressés.

Ordonner la transcription, comme vient de le faire le tribunal de grande instance de Nantes, irait donc au-delà des exigences de la cour européenne et, ce faisant, réaliserait une violation de la loi française dont l’interprétation et la portée ont été clairement précisées, à plusieurs reprises,  par  la cour de cassation.

2- Le droit français fait obstacle à la transcription des actes

Les incertitudes portant sur la nationalité française et la vocation successorale des enfants ayant été levées et corrigées, les raisons qui fondent en droit français le refus de transcription sont toujours valables et doivent être appliquées.

Lorsque l’acte de naissance étranger désigne comme parents l’homme et la femme français ayant recouru à la GPA, la contrariété à l’ordre public international français et, notamment, au principe d’indisponibilité de l’état des personnes, fait obstacle à la transcription dès lors que l’acte désigne comme mère une femme qui n’a pas accouché de l’enfant (Cass. Civ. 1ère, 6 avril 2011, n° 10-19053).

Lorsque l’acte de naissance étranger indique comme parents l’homme français et la mère porteuse étrangère, il n’y a plus cette fois d’atteinte à l’état de l’enfant puisque la femme désignée comme mère est bien celle qui l’a mis au monde, mais le caractère frauduleux de la situation découlant du recours à la gestation pour autrui fait encore obstacle à la transcription (Cass. Civ. 1ère, 19 mars 2014, n° 13-50005 et 13 sept. 2013 ; n° 12-18315).  

Par ailleurs, faire produire effet à une convention de GPA en transcrivant les actes de naissance établis en exécution de cette convention, contreviendrait au principe de dignité humaine, car la gestation pour autrui réalise une forme moderne d’esclavage.

L’article 224-1 A du code pénal définit la réduction en esclavage comme le fait d'exercer à l'encontre d'une personne l'un des attributs du droit de propriété (Article 224-1 C). Cela réalise sans conteste une atteinte à sa dignité car cela revient à traiter la personne comme un objet, le droit de propriété ne pouvant jamais s’exercer sur une personne.

En ce qui concerne la femme, la GPA comporte son utilisation comme machine pour porter et parfois concevoir aussi un enfant. Ainsi que l’explique le professeur Muriel Fabre-Magnan, "si l'esclavage gréco-romain et la traite négrière avaient fait des esclaves des objets de propriété et des monnaies d'échange, les nouvelles formes d'exploitation des êtres humains ne nécessitent pas d'aller jusque-là, et en particulier de s'approprier la personne dans son entier. Il suffit de s'en approprier l'usage (usage du corps de la mère porteuse, par ex.) ou les fruits (organes, gamètes, et même les enfants dans la gestation pour autrui)" (Recueil Dalloz 2014 p. 491).

Le consentement réel ou contraint de la femme importe peu dès lors qu’il s’agit de la protéger d’être ainsi traitée car l’esclavage volontaire est sans doute le plus perfide, et le consentement de la victime ne fait pas disparaître l’infraction. En témoignent les infractions qui sanctionnent les nouvelles formes de traite des êtres humains, définies à l’article 225-4-1 du code pénal et qui incluent les conditions de travail ou d'hébergement contraires à la dignité, alors même que les personnes ainsi exploitées peuvent être consentantes voire même satisfaites de leur sort.

Pour l’enfant, la GPA signifie d’être commandé, conçu, porté puis livré. Les bonnes intentions ne changent pas le contenu du contrat de GPA, lequel consiste à commander l’enfant pour les uns, le fabriquer pour l’autre et le remettre aux premiers contre la remise de la somme convenue. Autrement dit, l’enfant est traité sinon voulu comme un bien, une marchandise commandée pour satisfaire un désir.

Peu importe ensuite que l’enfant soit donné ou vendu, car donner ou vendre l’enfant, c’est se comporter à son égard comme un propriétaire. L’enfant est ainsi dans la situation de l’esclave, individu sur lequel s’exerce l’un des attributs du droit de propriété.

La transcription des actes de naissance se heurterait donc gravement au droit français, et ce  qu’elle soit totale ou même seulement partielle.

3- Le droit français s’oppose également à une transcription partielle

Le procureur général a annoncé qu’il pourrait demander à la cour la transcription partielle des actes en ce qui concerne la seule mention de la filiation paternelle, après vérification de l’exactitude biologique de la paternité en question.

Il résulterait d’une telle mesure que, si le père biologique venait à décéder, l’enfant se trouverait relié uniquement par la filiation étrangère à son second parent survivant. Si cette situation peut être envisagée, c’est parce qu’elle n’aurait rien de préjudiciable pour lui. Ainsi, le fait qu’une transcription partielle puisse être envisagée révèle bien que, en réalité, l’absence de transcription ne prive les enfants de rien puisqu’ils pourraient se contenter d’une transcription partielle.

Par ailleurs, conditionner la transcription partielle à la vérification de la réalité biologique de la paternité ne convainc pas car ce n’est pas l’incertitude sur la véracité de la paternité qui fonde l’absence de transcription, mais le recours à la gestation pour autrui qui réalise une fraude à la loi française et emporte une violation, grave, des droits des enfants.

Une transcription partielle ne serait donc ni cohérente ni conforme au droit français qui interdit de valider le recours à la une gestation pour autrui, que ce soit partiellement ou intégralement.

Conclusion. L’absence de transcription ne prive les enfants d’aucun droit mais revêt au contraire à leur égard une importance majeure. En effet, elle constitue la seule mesure par laquelle la justice française, sans préjudicier à l’enfant, peut et doit exprimer son refus de cautionner la violation de ses droits réalisée par la gestation pour autrui.

Si la loi française interdit la GPA c’est, notamment, en raison des atteintes graves aux  droits des enfants comme des femmes que cette pratique emporte, en elle-même et quelques bonnes que puissent être par ailleurs les intentions. Transcrire les actes en faisant fi du recours à la GPA s’apparenterait à un déni des violations de leurs droits perpétrées par cette pratique, autrement dit à un déni de justice.

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