Gilles de Robien : "L’Education nationale ne s’est jamais remise des choix faits après mai 1968"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Une classe d'école, en France
Une classe d'école, en France
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Retour aux fondamentaux

Pour l’ancien ministre de l’Education nationale de Jacques Chirac, Emmanuel Macron et son gouvernement multiplient les mots mais peinent toujours à les concrétiser.

Gilles de Robien

Gilles de Robien

Gilles de Robien est un homme politique français.

Gilles de Robien a été ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement de Dominique de Villepin (de 2005 à 2007) et ministre de l'Équipement et des Transports dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin (de 2002 à 2005). 

Il a également été député de la Somme, de 1986 à 2002 et maire d'Amiens, de 1989 à 2002 et de 2007 à 2008.

 

Voir la bio »

Atlantico : Baisse du niveau, baisse de l'autorité, moyens mal utilisés, on a le sentiment que l'École ressemble de plus en plus à un champ de ruines. Mais au-delà de l’impression et du ressenti que tout un chacun peut avoir, quel est véritablement le diagnostic que l’on peut dresser sur l’état de l’Education nationale ? Que nous disent les données disponibles sur ces enjeux (que ce soit les classements PISA ou autre sources) ?

Gilles de Robien : Les études PISA, qui sont une comparaison internationale, montrent que l’école française est en perdition. Et il faut prendre au sérieux ces éléments. L’alarme sonne depuis des décennies.  Le premier problème, c’est l’absence de continuité dans les politiques de l'Éducation nationale, les ministres durent en moyenne deux ans. Ce serait une grande force que d’avoir une continuité sur plusieurs décennies, toutes sensibilités confondues. Il y a en pour une génération à reconstruire l’éducation nationale. Même d’un même bord, les ministres n’ont pas de continuité. Trois de mes décrets ont été supprimés sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ensuite, le second problème de l’école de la République, c’est la disparité effrayante des savoirs entre les élèves. A ce titre, il faudrait envisager de supprimer la limite d’âge (16 ans) pour avoir, à la place, une quantité minimale de savoir. Ce serait révolutionnaire. Remplacer une question d’âge par une question d’objectifs semble louable et démocratique.Les choses ont commencé à déraper avec 1968 et le pédagogisme. Nous avons remis en cause les fondamentaux. De l’élève apprenant devant acquérir les fondamentaux de l’école de la République on est passé aux petits chéris qu’il faut se laisser se développer comme ils l’entendent. Le pédagogisme a été une tentation dans de nombreux pays, mais la plupart d’entre eux en sont revenus. La méthode globale qui a été à la mode a été abandonnée au profit d’une semi-globale, mais pas en France pendant très longtemps.

>>> A lire aussi :L’école, ce quasi champ de ruine sur lequel ni le gouvernement ni les syndicats ne veulent poser un diagnostic lucide

Que faire face à cette situation ?

Au pouvoir, j’ai essayé malgré la contestation des syndicats de réinstaurer le triptyque lire, écrire, compter et utiliser la méthode syllabique, au moins au début. Mais le chantier qu’il faut mener, c’est celui de la formation des maîtres. En visite dans une IUFR, j’avais échangé avec une jeune femme qui m’expliquait qu’elle n’appliquerait pas mes circulaires au nom de la liberté pédagogique. C’est un signal typique des errements de la formation. Car le texte qui prévoit la liberté pédagogique précise bien « qu’elle s’exerce dans le cadre du respect des textes ministériels ».

Il faut aussi revoir les manuels scolaires, pour que les éditeurs cessent de faire des livres qui plaisent aux maîtres, pédagogistes. Les éditeurs le font car ils ne veulent pas perdre de parts de marché. Un élève, même le premier de la classe ne peut pas s’en sortir si ses maîtres ne sont pas bons, s’ils ne savent pas transmettre, qu’ils manquent d’autorité ou qu’ils n’ont pas les bonnes méthodes.

Il faut aussi s’inspirer de ce qui marche ailleurs. En tant que ministre, j’ai emmené les syndicats dans cinq pays de l’Union européenne pour leur montrer que les problèmes rencontrés n’étaient pas spécifiques à la France, mais qu’ils avaient été surmontés dans certains pays, ce que les syndicats locaux ne manquaient pas d’expliquer. On a beaucoup à apprendre des autres, ces derniers s’en sortent et nous pas. Une belle initiative a été la loi Fillon, avec le socle commun de connaissances et de compétences que j’ai eu à mettre en application. Ce sont les fondamentaux. On ne devrait pas pouvoir quitter l’école sans savoir cela à minima.

Est-ce d’avoir trop fait de l’égalité l’objectif plutôt que le résultat découlant de l’acquisition des savoirs ?

L’Education nationale n’a pas réussi son objectif d’égalité. Si on sort de l’école aujourd’hui moins instruit qu’hier, c’est que les objectifs n’ont pas été atteints. Si l’école avait mis l’accent sur l’égalité des chances, nous n’aurions pas ces si mauvais résultats aux études PISA. Les tentatives, dans les Zones d’éducation prioritaires ou les réseaux ambition réussite, de mettre plus de moyens, financiers et humains, avaient de l’intérêt, mais étaient insuffisantes.

Il faut aussi regarder en face que les enfants réussissent mieux dans les écoles privées sous contrat. L’explication de mauvaise foi est que c’est la barrière à l’entrée qui fait qu’il n’y a que des bons élèves qui rentrent. Mais ce n’est pas le cas, il y a de la mixité sociale. Sauf qu’il y a de meilleures méthodes, une meilleure discipline et peut-être, parfois, une attention plus soutenue aux élèves.

Que pensez-vous des récentes annonces de Pap Ndiaye en matière de mixité sociale ou Emmanuel Macron sur l’augmentation des professeurs ?

Ça fait plusieurs années que l’on vit dans le monde des déclarations. Si augmentation il y a ce sera très bien pour les professeurs, mais il ne faut pas trop faire de démagogie. Si on liste les déclarations d’Emmanuel Macron, il a tout dit et son contraire. Je ne tiens pas compte des déclarations de ce gouvernement, il n’y a que les actes qui comptent.

L’Education nationale est-elle face à un problème politique, idéologique, financier ?

C’est un problème de volonté politique. On ne peut pas gouverner sans accepter, le cas échéant, d’être moins populaire. Et à l’Education nationale, il y a beaucoup de coups à prendre pour peu de gloire. Mais il y a des choses à faire. Il faut agir concrètement sans forcément chercher à faire du bruit. Les choses sont suffisamment dégradées pour qu’on puisse ouvrir un débat national et mettre sur les rails une loi, ou plusieurs, pour redresser la barre.

A quel point le gouvernement, mais aussi une grande partie de la classe politique et des syndicats ne dressent pas le bon diagnostic de la situation de l'Éducation nationale ?

Il n’y a pas un bon diagnostic, chacun voit midi à sa porte. Un enseignant se sent maltraité et mal payé, et il l’est. Mais c’est vrai qu’à l’étranger, ils font plus d’heures et ont moins de congés en échange d’un salaire plus important. Les situations sont très disparates d’une matière à l’autre. Il pourrait être bon de faire une étude spécifique sur chaque type d’enseignement et de les comparer aux meilleurs exemples étrangers. Les professeurs ont du mérite, ils font le métier le plus important du monde pour relever un pays, mais dans des conditions extrêmement dégradées. Il faudrait augmenter les salaires et le temps de travail.

On pourrait aussi réfléchir à des syndicats qui représentent aussi plus les élèves et pas seulement, d’un côté, les parents et de l’autre les enseignants. Il faut une force qui défende les enfants.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !