Georges Fenech : « Les politiques n’ont pas eu le courage de s’opposer à l’emprise idéologique du Syndicat de la magistrature sur la Justice et nous en payons le prix aujourd’hui »<!-- --> | Atlantico.fr
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Éric Dupond-Moretti a récemment fustigé la présence à la Fête de l’Huma du Syndicat de la magistrature.
Éric Dupond-Moretti a récemment fustigé la présence à la Fête de l’Huma du Syndicat de la magistrature.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Impuissance

Dans son dernier ouvrage, « L’ensauvagement de la France: La responsabilité des juges et des politiques », Georges Fenech décrit le hold-up sur la justice par un clan idéologisé.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Dans votre dernier ouvrage, « L’ensauvagement de la France: La responsabilité des juges et des politiques », vous décrivez le hold-up sur la justice par un clan idéologisé. Quel est le constat que vous dressez ?

Georges Fenech : Le constat que l’on peut dresser - et que je dresse à titre personnel comme un témoignage, ayant été à la fois magistrat et député - c’est celui d’une magistrature conquérante, qui a pris ses quartiers partout où elle pouvait le faire. Elle était alors en proie à l’influence grandissante d’une idéologie, portée très habilement par le Syndicat de la magistrature, dans une sorte de confrontation avec le politique. En tant que député, en 2002, j’ai pu constater à quel point les politiques étaient tétanisés face à cette marche conquérante menée par un syndicat très politisé, très idéologisé. Cela a, sans aucun doute, freiné les réformes qui auraient dû être entreprises en plus de mener à une situation incontrôlable ces quatre dernières décennies, tant sur le plan de la criminalité que sur celui des flux migratoires. Le juge intervient de manière décisive sur ces deux questions, en matière de lutte contre la délinquance et de lutte contre l’immigration.

Récemment, le Syndicat de la magistrature a annoncé tenir un stand commun avec le syndicat des avocats à la Fête de l’Huma. Que vous évoque cette annonce, au regard des responsabilités de ce syndicat ?

Une fois de plus, nous assistons à la démonstration au grand jour que le Syndicat de la magistrature n’est pas un syndicat de justice, comme le dit le garde des Sceaux. C’est un syndicat politique, qui mène un combat politique. Il s’est octroyé une liberté totale de parole et d’action, sous couvert de protection syndicale, au détriment du pouvoir politique. Cette participation à la fête de l’Huma, avec des tables rondes très orientées sur les violences policières notamment, affiche bien le prisme et le parti pris de ce syndicat qui se montre sans aucune crainte. Et pour cause ! Ils ne craignent rien, en réalité. Le garde des Sceaux a dit, lui-même, qu’il était impuissant. Ce n’est pas quelque chose que je crois : le ministre de la Justice, me semble-t-il, dispose de tous les leviers nécessaires pour faire cesser cette atteinte à la séparation des pouvoirs, à la démocratie et au suffrage universel. C’est une atteinte à l’idée même d’une justice impartiale que chaque citoyen est en droit d’attendre.

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Eric Dupond-Moretti est en mesure de le faire, mais il ne le fait pas. Et je ne lui jette pas la pierre : aucun de ses prédécesseurs ne l’a fait avant lui, soit parce qu’ils rejoignaient la ligne idéologique du Syndicat de la magistrature comme cela a pu être le cas de madame Taubira par exemple, soit parce qu’ils n’ont pas eu la volonté politique d’affronter cette magistrature, qui est en quelque sorte révolutionnaire. On parle, en l'occurrence, d’une révolution en robe particulièrement impressionnante parce que les juges d’instruction sont devenus les fers de lance d’une instruction qui n’hésite plus à aller chercher jusque dans les plus petits recoins des affaires concernant les hommes et les femmes politiques. Aussi, parce qu’il faut bien prendre en compte la puissance de la dénonciation, de l’action et de la mobilisation syndicale, qui peut compter sur l’appui d’un grand nombre de médias acquis également à la cause. D’où un constat d’impuissance, par la crainte et parfois même par effet de contamination.

La droite, c’est vrai, a parfois été séduite par certains de ces discours. Par la représentation du criminel, victime d’une société discriminante, d’étrangers victimes de crimes coloniaux… C’est très clair quand on consulte certaines des circulaires, que je cite dans mon livre, émanant de garde des Sceaux de gouvernements de droite et qui n’ont parfois rien à envier à celles qu’aurait pu éditer un gouvernement de gauche.

C’est pour cela que j’ai voulu lancer ce « Je nous accuse », prenant évidemment ma propre part (ayant été membre de la majorité à une époque), pour évoquer la conséquence sur nos concitoyens qui subissent cette société ensauvagée - c’est un mot qu’il est désormais permis d’utiliser, que l’on se refusait pourtant il y a quelques mois. Notre société est victime d’une violence barbare inédite, gratuite souvent, venue pour la plupart d’une culture en provenance d’autres rives. A la lecture d’un récent rapport public, j’ai découvert avec stupéfaction que, pour la première fois, nous avons réalisé des statistiques ethniques (ce qui était jusqu’à lors interdit). Ce rapport de la DGA dit que la plupart des émeutiers étaient d’origine subsaharienne ou maghrébine. C’est une grande nouveauté… mais je me réjouis de la potentielle prise de conscience sur la nature de ce syndicat, pour qui juger est un acte politique et qui revendique la nécessité pour la politique de rentrer dans le prétoire. Inutile de vous dire que ce discours est contraire au statut de la magistrature et aux principes constitutionnels. La justice n’est pas un pouvoir, c’est une autorité. Les juges doivent appliquer la loi en toute impartialité - ce qui constitue déjà une énorme mission - dans l’esprit de celle-ci. Le gouvernement, pour sa part, doit rendre des comptes devant le pays de sa politique pénale. Or, désormais, ce sont les juges qui décident de la politique pénale, qui adressent des contre-circulaires contre celles publiées par le garde des Sceaux, ce qui là aussi constitue une sédition jamais vue auparavant.

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Au vu de la situation actuelle, que faudrait-il faire ? Changer la législation, les processus de nomination ? Faut-il une responsabilité des magistrats ?

Je pense qu’il faudra qu’un pouvoir fort décide, et prenne les initiatives de ruptures qui doivent s’imposer dans la situation actuelle. Cela suppose une volonté politique inébranlable pour briser ce corporatisme et cette idéologie. Cela passe, d’abord, par la suppression de l'École nationale de la magistrature, où le ferment de cette doctrine de défense sociale nouvelle inspirée depuis les années 1970 commence à se propager. Elle touche des jeunes étudiants encore malléables qui rêvent, à leur façon, de changer la société. Le président Macron a eu l’audace de supprimer l’ENA, mais il s’est refusé à supprimer l’école nationale de la magistrature qui a laissé prospérer, depuis 1958, ces billevesées idéologiques.

Il nous faut revenir à ce qui existait auparavant, avant 1958. Il s’agissait alors d’un centre d’études judiciaire et juridique, qui constituerait le tronc commun pour les futurs avocats, les futurs magistrats, les futurs commissaires. Ce serait une façon de mettre un terme à ce corporatisme, aujourd’hui particulièrement exacerbé, en témoignent les réactions à la nomination d’un avocat à la direction de l’Ecole nationale de la magistrature. Il faut ouvrir, évidemment, la justice à la société civile et recruter dans l’ensemble des corps de la société comme peuvent le faire nos voisins anglo-saxons. En cas d’envolées lyriques et politiques, il faut évidemment sanctionner. Des instances disciplinaires existent, elles sont là pour faire respecter l’obligation de réserve comme l’obligation statutaire.

Ce serait déjà très audacieux. Mais je suggère aussi une commission d’enquête parlementaire pour analyser ces phénomènes d’entrisme et de politisation de la justice ; puis d’en tirer toutes les conséquences. Il va falloir remettre à plat la place du juge dans la société.

Il faut bien comprendre que la harangue du syndicat de la magistrature n’a rien de nouveau. Elle est répétée depuis des années. La seule nouveauté aujourd’hui, c’est qu’un ministre de la Justice de gauche - Eric Dupond-Moretti - le dénonce. Je ne sais pas comment Robert Badinter, Christiane Taubira ou Elisabeth Guigou ont pu ressentir ce réquisitoire.

Dans quelle mesure les nominations faites par Emmanuel Macron s’inscrivent dans un certain fil idéologique ?

Les juges, à force de plusieurs réformes successives, ont fini par déposséder peu ou prou les pouvoirs politiques du pouvoir de nomination. C’est vrai en ce qui concerne les magistrats du siège, qui sont désignés par les instances du conseil supérieur de la magistrature. Pour ce qui concerne les parquets, c’est toujours le garde des Sceaux qui propose un nom pour un poste, puis le président de la République qui signe le décret de nomination… après avoir pris l’avis du conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire des magistrats. Depuis une dizaine d'années, il y a une « jurisprudence » qui consiste à ne jamais nommer contre l’avis du conseil supérieur de la magistrature. Les tractations se font en avance.

Il y a, dans les tiroirs, une réforme constitutionnelle qui prévoit d’ailleurs l’avis conforme du CSM. Ne nous figurons pas que le pouvoir politique a la mainmise sur la nomination des magistrats comme cela peut-être le cas pour les préfets. Nicolas Sarkozy, quand il était président de la République, a fait voter une réforme constitutionnelle prévoyant que le président du Conseil Supérieur de la Magistrature ne soit plus de plein droit le président de la République. Avant lui, c’était les présidents de la République qui dirigeaient le CSM. Christiane Taubira, pour sa part, a supprimé les instructions individuelles adressées par le garde des Sceaux au procureur, ce qui signifie que celui-ci ne reçoit plus d’instructions du ministre de la Justice.

Si, désormais, les magistrats balaient d’un revers de la main les circulaires de politique pénale du garde des Sceaux, ce dernier devient un ministre fantoche, sans aucun pouvoir. Son pouvoir est désormais celui de la justice. Là où le bât blesse, c’est bien que cette dernière n’a pas de comptes à rendre au pays. Les magistrats ne sont pas élus, pas responsables, ne souffrent d’aucun contre-pouvoir réel et dessinent des politiques pénales au gré de leurs propres convictions.

Les faits divers sordides s'enchaînent dans l’actualité. Récemment, une jeune femme de 24 ans a perdu la vie après avoir été touchée par une balle perdue dans son appartement de Marseille. En quoi y a une responsabilité des juges et des politiques ?

Cette responsabilité est directe. Il y a un lien de cause à effet entre l’idéologie au sein de la justice, la tétanisation du pouvoir politique face à cette idéologie conquérante et la diffusion d’un sentiment d’impunité dans tous les quartiers du pays. La plupart des trafiquants de drogue sont des mineurs, qui se comportent en hors-la-loi maniant la kalachnikov parce qu’ils savent bien qu’ils ne risquent rien sinon quelques heures de garde-à-vue. Ce qui ne les empêche pas, au passage, de faire des victimes collatérales.

On voit bien, aujourd’hui, que la loi ne fait plus peur. La police, la justice ne font plus peur. On entend, d’ailleurs, le cri du cœur de la police quand elle désigne la justice comme étant son principal problème. Si par malheur, un policier fait usage de son arme dans des conditions contestables, il sait qu’il ira en prison. C’est pour cela qu’un malaise profond s’est installé dans la police nationale.

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