Genou à terre : ce que l’équipe de France semble ignorer sur la nature idéologique profonde du mouvement Black Lives Matter<!-- --> | Atlantico.fr
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Les joueurs de l'équipe de France posent pour la photo officielle au début du match de l'UEFA EURO 2020 entre la France et l'Allemagne à l'Allianz Arena de Munich le 15 juin 2021.
Les joueurs de l'équipe de France posent pour la photo officielle au début du match de l'UEFA EURO 2020 entre la France et l'Allemagne à l'Allianz Arena de Munich le 15 juin 2021.
©ALEXANDER HASSENSTEIN / POOL / AFP

BLM

Les joueurs de l’équipe de France ont paru retenir l’hypothèse que le geste est une simple protestation contre le racisme et un soutien à ses victimes. Si on ne peut que partager cet objectif, il y a pourtant bien d’autres motivations dans l’idéologie du mouvement américain. Contrairement à ce qu’ils avaient prévu, les joueurs de l’équipe de France n’ont finalement pas posé un genou à terre avant le coup d’envoi de leur première rencontre de l’Euro face à l’Allemagne.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : La volonté initiale des joueurs de l’équipe de France de mettre un genou à terre en soutien au mouvement Black Lives Matter (BLM) avant son premier match de l’euro 2020 a provoqué une tempête politique. Les joueurs semblent y voir simplement une marque de leur attachement à combattre le racisme et les discriminations. L’idéologie BLM est-elle aussi simple et limpide que ce qu’ils en retiennent ? 

Guylain Chevrier : Il serait question qu’ils ne l’aient pas posé, ce genou, avançant l’argument d’un manque de cohérence dans la solidarité des équipes au regard du mouvement BLM. Ce qui ne change rien sur le fond, puisque cela continue d’être défendu. « Le slogan Black Lives Matter » est pour beaucoup perçu « comme un plaidoyer pour garantir le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur pour tous les Américains, en particulier les Afro-Américains historiquement lésés », comme cela est souligné dans un article critique sur le progressisme « L’hashtag BLM est mis un peu partout aux profils de réseaux sociaux de ceux qui portent des pancartes BLM lors des manifestations et font des dons financiers. » Pour autant, ces gens qui s’affichent avec ce slogan, qui s’agenouillent le cas échéant comme l’avaient prévu les bleus, savent-ils réellement ce qui se joue derrière ? Pas si sûr.

On découvre ainsi que des personnes qui font aux Etats-Unis un don, sont susceptibles de financer des organisations radicales, fondées par des militants se réclamant d’être de drôles de « marxistes engagés », dont les objectifs n’ont rien à voir avec le rêve américain pour chacun, ou une société d’égaux où la justice serait la même pour tous. Par exemple, une organisation partenaire, le Movement for Black Lives, ou M4BL, très influente, appelle à « l'abolition de toutes les polices et de toutes les prisons. » Est-ce bien vouloir protéger les noirs, sachant qu’ils ont infiniment plus de risques d’être tués par un noir que par un policier, quelle que soit sa couleur ? Ce qui est statistiquement imparable.De quelle justice parle-t-on ? Une autre demande de ce mouvement est « la dépénalisation rétroactive, la libération immédiate et la radiation de toutes les infractions liées à la drogue et à la prostitution et des réparations pour l'impact dévastateur de la « guerre contre la drogue » et la criminalisation de la prostitution ». Quel modèle politique est-il donc visé derrière ce genre de revendications, conduisant au chaos en servant les intérêts des gangs et du crime ?

Mieux, sur le site Web de Black Lives Matter, dans la liste des revendications, on trouve le refus de « l'exigence de la famille nucléaire comme structure familiale prescrite par l'Occident en nous soutenant mutuellement en tant que familles élargies et « villages » qui prennent collectivement soin les uns des autres. » Les minorités prenant soin les unes des autres et rejetant tout modèle commun d’organisation jusqu’à la famille, cela promet.

Le président du Grand New York Black Lives Matter, Hawk Newsome, a déclaré lors d’une interview à Fox News en juin 2020 :« Si ce pays ne nous donne pas ce que nous voulons, alors nous brûlerons ce système et le remplacerons ». Les manifestations de BLM sont parfois devenues violentes, avec des pillages et des incendies criminels.

La fondation BLM embarque des cadres supérieurs comme Monifa Bandele, organisatrice et fondatrice du Malcolm X Grassroots Movement à New York.  Malcom X, figure mythique de la lutte des noirs dans le contexte des années 50/60 en Amérique, dont on oublie qu’il a défendu l’idée d’un Etat noir séparé aux Etats-Unis, et islamique ? Conformément à l'idéologie de Nation of Islam dont il est prêcheur et un dirigeant influent, il prône le repli identitaire et le séparatisme noir. Il s'oppose au mouvement afro-américain des droits civiques parce que non-violent, rejette tout universalisme au nom de la différenciation des races. Il appelle à la haine des Blancs, se réjouissant lorsqu'un avion d’Air France s’écrase « plein de Blancs ». Est-ce cela qui serait souhaitable aux noirs américains ? Est-ce à cela auquel se réfère le président du Grand New York Black Lives Matter, Hawk Newsome, lorsqu’à la fin de l’interview citée plus haut, il ajoute : « Je veux juste la libération des Noirs et la souveraineté des Noirs. Par tous les moyens nécessaires." ?

Pour finir ce tableau peu reluisant en termes de perspective, la fondation BLM a révélé à l'Associated Presse qu'elle avait encaissé un peu plus de 90 millions de dollars l'année dernière, à la suite du meurtre en mai 2020 de George Floyd, et terminé l’année avec un solde de plus de 60 millions de dollars, après avoir dépensé près d'un quart de ses actifs en dépenses d'exploitation, des subventions aux organisations dirigées par des Noirs et d'autres dons de bienfaisance. Les critiques de la fondation soutiennent qu'une plus grande partie de cet argent aurait dû aller aux familles des victimes noires de brutalités policières qui n'ont pas pu accéder aux ressources nécessaires pour faire face à leur traumatisme et à leur perte. "C'est l'aspect le plus tragique", a déclaré le révérend T Sheri Dickerson, président d'une section BLM d'Oklahoma City et représentant du #BLM10, un groupe national d'organisateurs qui a publiquement critiqué la fondation sur le financement et la transparence. "Je sais que certaines [des familles] se sentent exploitées, leur douleur exploitée, et ce n'est pas quelque chose avec lequel je veux être affilié", a déclaré Dickerson.

Comment échapper au redoutable piège tendu par les activistes anti-racistes qui entretiennent la confusion entre l’existence de racisme et de discriminations et celle d’un racisme systémique, consubstantiel aux institutions et à l’identité française ?

On doit surtout avoir dans notre pays à l’esprit de ne pas céder, au nom d’on ne sait quel racisme dit systémique fantasmé, manipulé, à des revendications à caractère communautaire, ce qui nous entrainerait dans le multiculturalisme juridique et sa discrimination positive. Evitons ces impasses d’une l’Amérique du séparatisme, dont elle n’arrive pas à se dépêtrer.

Quelques chiffres objectifs montrent que l’amalgame entre l’affaire Georges Floyd et la France n’a en aucun cas lieu d’être. D’une part, les décès de personnes dans les interactions avec la police et la gendarmerie sont de l’ordre d’une vingtaine en France pour 67 millions d’habitants, contre un millier aux Etats-Unis pour 320 millions d’habitants. On sait aussi qu’en rapportant ces chiffres à la population de chaque pays, la police américaine tue 13 fois plus que les forces de police françaises. Aux Etats-Unis, circulent 300 millions d’armes à feu. Le taux d’homicide est 4 fois supérieur au nôtre

Dans son dernier rapport, l’ancien Défenseur des droits, Monsieur Jacques Toubon, a cru bon d’évoquer une "dimension systémique" des discriminations en France, mettant en cause les "droits fondamentaux" de "millions" de personnes et la "cohésion sociale", cédant au contexte d’amalgame dans ce domaine. Il se trouve qu’en regardant ses propres chiffres, on s’aperçoit qu’ils contredisent eux-mêmes ses propos, pour dévoiler l’exact reflet du problème. Dans son dernier rapport annuel (2019), les réclamations pour discrimination s’élèvent à 5.448 (moins qu'en 2018, où elles étaient 5 631) et 14,5% d’entre elles seulement étaient relatives à l’origine (21,3 % en 2016), 2,6 % étant dues aux convictions religieuses (3,7 % en 2016). La première des discriminations est le handicap avec 22,7%. Toute discrimination est une discrimination de trop, et aucune ne doit rester sans réponse. Mais, sur une population de 67 millions d’habitants, crier au loup dans ces conditions relève de la gageure. Ce sont 6100 affaires qui arrivent devant les tribunaux à ce titre avec environ 10% de condamnations. Là encore, la proportion ne saurait refléter même en doublant la mise, un pays gangréné par le racisme. En France, l’essentiel des individus, des familles, bénéficient de l’égalité de traitement devant la loi, et en matière sociale, ceux issus de l’immigration souvent plus qu’à leur tour en raison de la condition sociale de départ qui est la leur et pèse sur leur devenir, sur celui de leurs descendants. Il faut avoir à l’esprit qu’un quart des parents des immigrés n’ont jamais été scolarisés, selon une étude du ministère de l’Intérieur. Il n’y a donc dans le fait qu’il existe des différences sociales les concernant, rien qui relève d’abord de discriminations, mais d’une intégration à vouloir et à construire, à partir de difficultés d’abord antérieures à leur accueil.

Lors du procès de Taha Bouhafs ce 9 juin pour avoir traité la syndicaliste policière Linda Kebbab d’« arabe de service », on a eu l’exposé exact des confusions entretenues pour justifier cet unilatéralisme de la pensée qui conduit à faire du blanc l’ennemi, et justifier l’idée d’un racisme systémique, par un tour de passe-passe. En s’appuyant sur plusieurs interprétations de la loi et de la définition du racisme, le conseil de Taha Bouhafs a estimé qu’il fallait qu’il y ait un « rapport de domination » pour que l'on puisse parler de racisme. Maître Thibault de Montbrial qui défend Linda Kebbab a assuré qu’il « serait extrêmement dangereux de modifier la façon dont la loi est prononcée » et s’est inquiété du risque d’engendrer dans ces conditions des « brevets d’immunité en fonction de son origine »

Ici comme ailleurs, le problème est que l’’offensive des affirmations identitaires et du communautarisme, le retour de « la race » dans le débat public avec ses manifestations dites décoloniales aux réunions non-mixtes et dérives intersectionnelles, bénéficient de larges complicités médiatiques et d’un soutien d’une partie de nos élites, du personnel politique. Ceci, dans un contexte où toute absence de soutien là, a pour effet immédiat l’assimilation à l’extrême droite et donc, une diabolisation qui coupe court à toute approche raisonnée, véritablement argumentée, en utilisant justement l’aspect émotionnel qui permet de l’évacuer pour tout poser en termes d’empathie, sinon, on est raciste. On voit bien ce qu’il est question de déjouer. Mais quel travail d’éducation armée de raisonnement cela suppose, dont les conditions sont loin d’être réunies, et que seul un grand débat véritablement démocratique pourrait permettre.

Le niveau de racisme en France ou aux Etats-Unis est-il correctement apprécié dans les débats publics ?

On sait combien, tout de même, la France n’est pas l’Amérique et aussi que, l’Amérique d’aujourd’hui n’est pas non plus celle du refus des droits civiques des années 50. Mais dans cette époque où le relativisme culturel domine l’esprit des sociétés développées, où les minorités apparaissent  « reine» à l’aune d’une « diversité des cultures » sacralisée, derrière quoi bien des dénis de droit s’opèrent par des traditions archaïques rétrogrades qui sont de l’ordre du tabou, et se justifient même parfois contre un système démocratique protecteur dénoncé comme le mal, il devient bien difficile de distinguer les enjeux rationnels de toute intégration économique, sociale et culturelle.

Cela commence par cette ignorance dans laquelle on maintient les Français sur ce sujet. Pour revenir sur ce que je disais sur Malcolm X. Combien de centres socio-culturels ou autres portent son nom, en toute ignorance de ce qu’il a défendu. On essentialise la réalité pour la réduire à l’idée de lutte pour la libération des noirs pour mythifier des idées en forme de grande cause dont on corrompt le contenu, comme on l’a fait avec le mouvement Black Lives Matter. S’il y a un fond de cause juste au mouvement de réprobation auquel nous avons assisté, car l’assassinat de Georges Floyd n’est pas discutable et sans concession condamnable, cela a néanmoins été détourné par le mouvement BLM qui existait depuis plusieurs années et s’est servi de cet événement pour généraliser et porter des revendications qui n’arrangent rien à la condition moyenne des familles noires de ce pays. Même si on est loin d’avoir tout réglé aux Etats-Unis en matière d’égalité concernant les noirs, dont l’organisation en communautés séparées n’est pas la meilleure des options pour cela, la caricature habituellement diffusée à ce propos en France mérite d’importants correctifs.

Rappelons que dans une enquête récente, « quatre-vingt-un pour cent des Noirs américains disent qu'ils veulent plus ou le même nombre de policiers dans leur quartier. » Concernant la situation des Noirs américains, en 2013, on expliquait que « 72 pour cent des adultes blancs et 66 pour cent des adultes noirs ont déclaré que les relations raciales étaient très ou plutôt bonnes. » En 2020, après la mort de Georges Floyd, « ces chiffres étaient respectivement tombés à 46% et 36%. » On voit comment l’effet de contexte dont l’influence des réseaux sociaux fonctionnant à plein, change la perception des choses et ramènent les mentalités en arrière. « De 2001 à 2017, le taux d'incarcération des Noirs américains a chuté de 34 %, l'espérance de vie des Noirs a augmenté d'environ trois ans et le pourcentage de Noirs titulaires d'un baccalauréat a augmenté de 82 pour cent. » Sur cette période, on note aussi qu’a augmenté de façon substantielle le nombre de politiciens noirs et de lauréats des Oscars (Black Lives Matter et la psychologie du fatalisme progressif par Samuel Kronen, Quillette). Tout cela montre le mérite de s’attarder à regarder les choses de plus près, pour objectiver une situation en la diagnostiquant de telle façon à pouvoir voir ce qui progresse aussi, au lieu par victimisation généralisée de pousser au repli communautaire qui est la pire des solutions.

On a le sentiment qu’au lieu de générer le désir de mieux s’intégrer, le BLM encourage à la séparation et au repli identitaire, alors que l’Amérique doit progresser par l’amélioration du sort des noirs américains, dans le sens d’un progrès, par plus d’intégration et de changements sociaux communs, au lieu de prôner la rupture, voire le recours à la violence.

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