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Jean-Luc Mélenchon était hier jeudi l'invité de l'émission de David Pujadas "Des paroles et des actes".
Jean-Luc Mélenchon était hier jeudi l'invité de l'émission de David Pujadas "Des paroles et des actes".
©Capture d'écran

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Jean-Luc Mélenchon était ce jeudi l'invité de l'émission de David Pujadas "Des paroles et des actes". L'occasion pour le leader du Front de gauche de se livrer à de nouvelles passes d'armes avec les journalistes. Analyse d'une stratégie de communication efficace mais controversée.

Romain Ducoulombier et André Sénik

Romain Ducoulombier et André Sénik

Romain Ducoulombier est agrégé et docteur en histoire associé à Sciences Po. Il est l’auteur de Camarades ! La naissance du Parti communiste en France (Perrin, 2010) et Vive les Soviets ! (Les Echappés, 2012)

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lorraine,  Metz, responsable de l’Observatoire du webjournalisme (http://obsweb.net) au sein du CREM et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique (LCP) du CNRS.

 

André Sénik est agrégé de philosophie et avoue un passé communiste, version italienne, dans les années 1960.

 

Son dernier livre : Marx, les Juifs et les droits de l’homme, à l’origine de la catastrophe communiste (Denoël / 2011).

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

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Atlantico : Jean-Luc Mélenchon avait été accusé dans l’émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, de mettre en scène son "mélenshow". Sur le plateau de "Des Paroles et des actes", ce jeudi, le leader du Front de gauche s'est livré à de nouvelles passes d'arme avec les journalistes. Quelles sont les caractéristiques de sa stratégie de communication ? Quelles en sont les principales ficelles ?

Arnaud Mercier : Il y a tout d’abord un ancrage dans l’histoire très marqué chez lui. Il cherche à réveiller la mythologie révolutionnaire, il utilise des références comme Jaurès. Il renvoie aux grandes heures mythifiées de la révolution française. Il fait revivre une nostalgie de ce que devrait être ou aurait dû rester la gauche. Il joue avec une idéalisation du passé du peuple de gauche (la Commune, la Révolution) et de ses lieux de mémoire (l’usine, la mine, la place de la Bastille…). Beaucoup d’hommes politiques mobilisent l’histoire pour ancrer leur action du moment dans une filiation idéalisée et s’associer à des connotations positives pour leur camp.

Il est iconoclaste, il cultive le verbe fort, « parler dru et cru » dit-il. Il émet des propos blessants, des phrases cassantes qui renvoie à l’idée qu’il refuse le politiquement correct et l’aseptisé. Dans une conférence à Londres devant des étudiants, en décembre 2012, il affirmait que "la vie est un rapport de force ; la démocratie, ce n’est pas le consensus". Il dénonce de manière récurrente ce qu’est devenue la Gauche qui n’oserait plus, qui se serait boboïsée (alors même que, paradoxe, une partie de son propre électorat est bobo : 36% de son électorat au 1er tour de la présidentielle sont des CSP+, 10% des cadres et professions libérales, et seulement 22% des ouvriers ndlr). Il a un usage des mots qui heurte, qui se rapproche de celui qu’en faisait Jean-Marie Le Pen. Il s’agit d’occuper l’espace médiatique, de faire en sorte d’être remarqué, qu’on parle de lui. Il veut, par le choix de mots qui détonnent, affirmer une forme de radicalité, de singularité et de spécificité. Il affiche ainsi qu’il est en dehors du schéma habituel. Il le prouve par son verbe méticuleusement choisi : il n’hésite pas à désigner l’ennemi en le nommant "un salopard", ce qui n’est pas sans rappeler les années 30. Cela retourne en effet le stigmate, puisque à l’époque du Front populaire, c’est la droite qui vilipendait les ouvriers qui allaient profiter des congés payés en les appelant « les salopards en casquette ». C'est ce qu’on retrouve dans ce dessin célèbre de Pol Ferjac paru dans le Canard enchaîné, le 12 août 1936



De plus, Jean-Luc Mélenchon joue une carte très personnelle, dans un rapport de tribun à la foule. Il se pose en porte-parole du peuple. Il est seul à la tribune et la mise en scène est très caractéristique, avec un goût prononcé pour les meetings, lui sur l’estrade face à la foule. On peut observer un coté boulangiste dans le sens ou il se pose en défenseur des intérêts du peuple et de la nation en danger (face à l’Europe, face à la finance transnationale) dans une posture de héros et héraut. Il décide ainsi d’aller combattre lui-même le Front national à Hénin-Beaumont dans un combat héroïque contre l’hydre Le Pen. Il affiche une posture, un panache personnel, n’aimant rien d’autre que la joute verbale, pour laquelle il est manifestement doué.

Enfin Mélenchon accuse les médias. Il passe une partie de son temps sur les antennes à dénoncer  le jeu des journalistes. Il joue la carte, qui se confond une fois de plus avec celle de Jean-Marie Le Pen, de la victimisation : "Je suis incompris, vous ne me donnez pas la parole, vous faites de la langue de bois, vous êtes capitalistes, vous ne comprenez pas le peuple". Il veut donner l’idée que les médias font partie intégrante des élites face au peuple à qui on ne donne jamais la parole. Notons que Nicolas Sarkozy ou Jean-François Copé utilisent aussi cette posture de dénonciation des élites journalistiques bobos, aisées, qui seraient coupées des réalités du peuple, d’où leurs questionnements qui seraient à côté de la plaque, inutilement critiques, déphasés par rapport aux réalités du pays.


Jean-Luc Mélenchon utilise certaines formules choc. L'expression "salopard" pour désigner Pierre Moscovici où l'expression "coup de balai" dont se servaient les socialistes des années 30. Où puise-t-il ces expressions ? Sont-elles vraiment choisies au hasard ?

Arnaud Mercier : Sa posture principale est d’incarner une différence et une radicalité. Il est donc là pour faire de la politique autrement, pour apparaître hors du commun et non récupérable politiquement par ses concurrents à gauche. Ses déclarations sont donc une façon de se distinguer très clairement du reste de la classe politique. Puisqu’il se veut dans la radicalité permanente, il ne peut pas avoir la plume aseptisée.

Son image du "coup de balai" est bien sûr en phase avec une tradition qu’on retrouve dans l’histoire de la gauche, mais pas uniquement. Sur le site du Parti de gauche, Alexis Corbiere, le 6 avril 2013, revendique haut et fort cet héritage. "Le coup de balai ! L’expression illustre notre volonté et notre colère. Le vocabulaire rude qui est le nôtre ne doit pas surprendre. Il est parfaitement conforme à la longue histoire du mouvement ouvrier. Pas de faux débats ni d’amnésie".

Et de fait, le graphiste russe Victor Deni a représenté Lénine en balayeur des ennemis du peuple russe : clergé, capitalistes et monarques. Puis à la fin de la Seconde guerre mondiale, le balai de l’armée de l’armée a débarrassé le monde du fascisme.

Et en 1932, la SFIO s’inspirait de cette métaphore du coup de balai.

Cette rhétorique trouve sa force argumentative auprès du peuple dans son assimilation à une activité ménagère connue de tous, à l’assimilation des ennemis ainsi balayés, à de la saleté, de la vermine, des détritus, des corrompus (en fonction de la virulence du propos qui accompagne la métaphore). Elle offre en plus un programme simple : sortir les sortants, faire table rase du passé. C’est ainsi que l’acteur Arnold Schwarzenegger se présenta au poste de gouverneur de Californie en 2003 avec pour ambition principale de sortir le gouverneur démocrate, Gray Davis, jugé incompétent et corrompu :

Et le coup de balai, est une façon d’afficher une radicalité, comme ici par le dessinateur Ben, dans l’Action française de décembre 1940, saluant la façon dont le régime du maréchal Pétain va pouvoir faire disparaître un certain nombre d’attributs inutiles de la IIIe « ripoublique » : les élections municipales et le jeu partisan.

Sur un plan graphique, le coup de balai est associable - dans une version édulcorée mais qui marque quand même la force, l’énergie - à la figure de la lance dans l’iconographie de Saint Georges terrassant le dragon. Un long manche au bout duquel l’ennemi est renversé, expulsé, anéanti, comme dans cette carte postale de propagande de la guerre 14-18.

Derrière des déclarations extravagantes se cache un réel travail sur les mots et le langage. En quoi cela peut-il faire la différence ?

André Senik : Jean-Luc Mélenchon est un tribun qui recourt au parler cru et déboutonné parce que le langage forcément respectable des partis de gouvernement devient parfois insipide et inaudible, alors  que les formulations borderline font le buzz. C’est un peu le bénéfice de sa situation extra parlementaire que de pouvoir se permettre de dire à voix haute et en public l’équivalent politique de pipi caca.

Pour autant, il ne se veut pas hors système, si on entend par là les institutions de la démocratie représentative. Il n’est pas un vrai révolutionnaire, pas plus d’ailleurs que Marine Le Pen. C'est un tribun qui ne flatte pas les pires instincts, et c'est d'ailleurs pourquoi il ne touche pas les couches non cultivées qu'il vise. C’est un voyou pour bac + 4.

Il ne dérive vers l'extrémisme bolchévik des années 30 qu'au regard de la rhétorique que s’impose le PS quand il est au pouvoir. La limite des dérives langagières de J.L Mélenchon vient de ce qu'il ne prône pas le grand soir. Même son "coup de balai" n'évoque pas une mise en question des institutions. Il appelle seulement à un virage politique. Bref, je le vois plutôt comme une grande gueule flattant les nostalgiques d'une radicalité qu’ils savent sans avenir.

Romain Ducoulombier : Derrière le vocabulaire, il y a toujours une « tactique » dont Jean-Luc Mélenchon reconnaît lui-même le caractère calculé. Il me semble qu’une part de sa trajectoire politique s’explique par la répugnance pour le discours socialiste qui s’est selon lui neutralisé, émasculé. Incapable de « cliver », ce discours perd de sa performativité politique parce qu’il est gangréné par la coupure technocratique et perverti par la pesanteur du parti d’élus sclérosés, du combinat compliqué de tendances qu’est devenu selon lui le PS. L’enjeu essentiel de sa présence médiatique, c’est de rester le leader du Front de Gauche. D’en rester le seul, le véritable candidat, d’être l’homme de la tête du cortège du 5 mai. Ce qui réclame un langage vigoureux pour rester légitime devant les militants et empêcher toute satellisation du PC par le PS au gouvernement (dont les débats de la loi sur la sécurisation montrent que ce risque n’est peut-être pas si fort qu’on croit). Il y a sans doute, depuis le dernier congrès du PG, un durcissement calculé de la rhétorique de Mélenchon, qui reflète celui de ses positions vis-à-vis des socialistes et du caractère délicat des équilibres du Front de Gauche.

N’oublions pas enfin qu’on juge dans les urnes de l’efficacité d’une stratégie. Le succès électoral n’est pas nécessairement proportionnel au temps de présence médiatique. Tout cela doit encore être sanctifié par le vote. Le choix d’un bulletin n’est pas l’effet mécanique de l’adhésion superficielle à une révolte verbale, même brillante. Mélenchon le tribun laboure donc un terrain mais il doit encore en récolter les fruits : élargir sa base électorale aux ouvriers, aux jeunes, aux petits vieux, construire un appareil politique capable de fidéliser, de structurer un vote sur la durée, de bâtir des fiefs électoraux. Ce sont les vrais enjeux de l’avenir de Mélenchon et sur ces terrains-là, ses adversaires (pour des raisons différentes, le PS et le FN) ont des longueurs d’avance.

De manière générale, quelle est l'influence du vocabulaire sur le combat d'idées. Peut-on parler de guerre culturelle ?

Arnaud Mercier :Dès lors qu’il y a combat politique électoral, qu’il faut convaincre des électeurs d’aller voter et en plus de voter pour vous, la joute électorale est forcément essentiellement verbale. Donc la rhétorique exerce un poids décisif dans le combat d’idées. Il faut savoir trouver les mots qui touchent les gens, qui leur parlent, qui suscitent des émotions. D’où l’importance des figures de styles classiques de l’art oratoire qui permettent à  la fois de désigner et dévaloriser un ou des adversaires, d’apporter des figures d’identification positive, de générer des émotions fortes de rejet et d’adhésion, etc. Je ne crois pas qu’il faille pour autant parler de guerre culturelle en tout lieu et en toute circonstance. Il existe des phases historiques où les tensions sociales et idéologiques sont si fortes dans un pays, pour qu’on puisse parler de division de la société, de fracture, et donc de guerre culturelle, au sens d’oppositions entre des visions du monde et des intérêts irréconciliables. Ce fut le cas aux Etats-Unis autour de l’abolition de l’esclavage et donc de tout le système économique qui était bâti dessus. Cela a conduit à la guerre civile que l’on sait. Fort heureusement pour nous tous, la France n’en est pas là. Derrière le discours de surenchère de plusieurs acteurs politiques, il reste encore un socle commun, même si des éléments du pacte social sont sans doute à refonder.

Même si tout le monde n’habite pas les idéaux de la même manière, ne connote pas les termes de la même façon, même si la foi en certains vertus n’est plus de même intensité pour tous,  il reste en France une croyance partagée dans l’idéal de démocratie, d’élection au suffrage universel, de justice, de protection sociale minimale. Il est donc de la responsabilité des hommes politiques de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin dans le choix des mots qui blessent et entretiennent la division, afin de ne pas accréditer un climat et une phraséologie de guerre civile.

Au contraire cette stratégie peut-elle lui jouer des tours ? Quelles en sont les principales limites ? (attitude agaçante voire méprisante ?) Son parlé dru et cru peut-il être dangereux et attiser les passions ?

Arnaud Mercier : Sa stratégie consiste à fédérer autour de lui une frange très protestataire. Son espoir avec cette rhétorique c’est de rassembler au maximum l’électorat protestataire. Mais le prix à payer d’une telle posture est d’être condamné à rester minoritaire. Car ce qu’il gagne du côté de la radicalité, il le perd automatiquement du côté de la crédibilité à gouverner, car il est jugé comme allant trop loin par une large partie de l’électorat. Il n’adopte donc pas une stratégie de rassemblement majoritaire, ce qui rejoint là aussi ce que fut la stratégie de Jean-Marie le Pen de l’autre côté de l’échiquier politique. Les effets de sa posture sont ambivalents. D’un côté, son discours radical peut ramener au vote des gens qui n’y croyaient plus et exercer ainsi ce que le politologue Georges Lavau appelait « la fonction tribunitienne du parti communiste ». A savoir : faire rentrer dans le jeu électoral une frange de la population issue des milieux populaires qui tendaient à se retirer du jeu électoral, ne se sentant ni légitime à participer à ce jeu de dupes, ni compris par les élites politiques.  

Mais d’un autre côté, son discours peut-être perçu comme dangereux, dans le sens où il souffle sur les braises de la protestation. S’il pense être un pompier en apportant des solutions radicales, il joue plutôt au pyromane, car il promet à ses troupes une grand soir qui est hors de portée. Il faut noter que le fait d’apparaître dans les commentaires de ses adversaires comme dangereux agit pour Jean-Luc Mélenchon comme une confirmation bu bien fondé de ses thèses : la bourgeoisie a peur, c’est donc que nous sommes dans le vrai. Si elle me condamne c’est qu’elle s’effraie, donc allons plus loin encore, dans la surenchère verbale. Démentir une rumeur c’est aussi hélas l’alimenter chez certains qui ont envie d’y croire. De même accuser le parti de gauche de tenir des propos dangereux ou irresponsables, ce n’est pas l’inciter à modérer ses jugements, mais plutôt l’entretenir dans ses schémas accusatoires.

On se rappelle des petites phrases, éléments de langage propre à JML reprise par toute la classe politique, certains l’ont imité. La com’ de Mélenchon fait-elle école ?

Arnaud Mercier : Non je ne crois. On n’a pas attendu Jean-Luc Mélenchon pour tenir des propos à l’emporte pièce, véritables électrochocs verbaux, comme récemment son refus des politiques « austéritaires », mot-valise associant l’austérité à une application dénoncée comme autoritaire. Nicolas Sarkozy a usé de cette technique également, avant qu’il soit président. Rappelons-nous la « racaille » et le « karcher ». L’ex-président a revendiqué son franc parler, son refus du discours policé, et donc l’utilisation du même vocabulaire que celui du peuple. Jean-Marie Le Pen avait également expérimenté cette posture en son temps, dénonçant par exemple « l’Europe  des fédérastes », mot-valise iconoclaste qui dénonce pêle-mêle l’idéal fédéraliste et l’homosexualité. Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, il incarne avec brio cette posture qui correspond très bien à sa personnalité frondeuse (il était un trublion au sein du PS) qui n’est pas sans rappeler George Marchais.


Le leader du Front de Gauche s’inscrit-il dans la tradition des tribuns français du XXème siècle ? A qui pourrait-on le comparer ? Est-ce que sa rhétorique rappelle celle des leader totalitaire ?

Romain Ducoulombier: Qu’est-ce qu’un tribun ? Quelqu’un qui remporte des succès de tribune, rien de plus. C’est la même chose que le charisme : un pouvoir que les autres vous prêtent. Le succès de Jean-Luc Mélenchon de ce point de vue est incontestable : tout le monde lui prête cette capacité, et les médias en premier lieu, qui contribuent à façonner sa notoriété. La question de ses inspirations supposées est donc oiseuse : le succès d’un style politique dépend des circonstances, même s’il peut survivre au temps pour incarner dans la mémoire collective une situation historique. Et il est vrai qu’être un bon orateur est très souvent associé au fait d’être un bon politique. Il n’est pas un novice, il n’est pas « né d’un œuf » comme il aime à le dire. Le tribun d’aujourd’hui, c’est le tribun d’hier, formé par le trotskisme et plus encore par sa longue appartenance à la gauche du Parti socialiste. Ses références politiques sont claires et avouées : Robespierre, Chavez, Mitterrand. Et son robespierrisme est une forme bien française de patriotisme jacobin.

Arnaud Mercier : C’est un homme du XXIème siècle qui épouse son siècle dans un certains nombre d’usages, en particulier avec les techniques de communication numérique (comme s web série racontant sa campagne électorale présidentielle). Dans le même temps, il emprunte plutôt sa rhétorique à celle des socialistes de la deuxième partie du XIXe siècle, façon Jules Guesde. Si on reprend des extraits de son programme présidentiel, on retrouve des figures de style et un imaginaire politique très bien analysé par le grand historien canadien Marc Angenot, notamment dans son ouvrage La propagande socialiste. Son discours sur la « ruine », la « chute », la « catastrophe » (« L’humanité a déjà surmonté de nombreuses catastrophes » ; « la catastrophe écologique, l’explosion des inégalités »), « l’effondrement du monde », la « pourriture », était au fondement du discours socialiste des commencements.

La caricature de l’ennemi, maléfique (« C’est leur tyrannie qui jette le monde entier dans la tourmente »), despotique (« les diktats adressés par la Banque centrale européenne »), internationaliste (« la domination sans partage du capital financier sur le monde ») est aussi une façon de construire l’adversaire qui avait cours à cette époque. A Londres, en décembre 2012, lors d’une conférence d’étudiants, il parlait des méfaits du capitalisme financier et de la City, en se disant « au cœur de la pieuvre, du réseau de l’oligarchie mondiale ».

Et comme c’est une idéologie de combat, il faut quand même bien, paradoxalement, ouvrir la voie à un changement possible, en présentant cet ennemi surpuissant comme pourtant fragile, empli de failles, afin de pouvoir agir (« Derrière la crise du système capitaliste qui se déroule sous nos yeux, il y a la possibilité d’un monde meilleur. Nous devons la saisir. Elle est à notre portée » ; « Or cette domination en apparence inébranlable est en réalité d’une grande fragilité. Car elle dépend tout entière de choix politiques que les peuples peuvent inverser »). C’est là que la grille de lecture marxiste est rhétoriquement très utile, car l’idée de « contradictions du capitalisme » sert toujours. Vous pouvez ainsi dénoncer un adversaire comme un monstre surpuissant et faire quand même naître l’espoir de le mettre à bas, par la révolte populaire et le scrutin (« En 2005, nous avons mis en échec l’arrogance des puissants qui voulaient graver dans une Constitution européenne la suprématie des marchés »)  ou la révolution si cela ne suffit pas...

Il n’y a pas lieu de l’assimiler à un leader totalitaire soviétique. Mais il existe des personnalités politiques avec qui des comparaisons sont possibles, notamment chez les héros révolutionnaires d’Amérique latine auxquels il fait souvent allusion. Dans le vie politique française de la Ve République, on peut voir des rapprochements avec la figure de Georges Marchais. Ils ont un côté trublion du jeu politique, un parler qui se veut popu, qui ne respecte pas les codes et les conventions de la bienséance. Tous deux aussi se valorisent en dénonçant sur les plateaux les propos et commentaires des journalistes. Mais l’analogie s’arrête là car il est davantage électron libre, que ne l’était l’ancien leader communiste qui rendait des comptes au parti et à l’URSS. Ce côté personnelle t incontrôlable agace d’ailleurs de plus en plus certains adhérents et dirigeants du PCF. Son comportement et ses propos insultants ne favorisent pas le rapprochement électoral avec le PS au niveau municipal.  Or les communistes détiennent encore quelques villes et ont 

impérativement besoin d’un accord avec le PS pour les conserver. De ce point de vue, il semble adopter une posture identique à celle de Besancenot et de la LCR : pas d’alliance avec les socialistes traîtres à la cause de la gauche, « qui font la politique de la droite ».  Si on veut chercher des analogies internationales, c’est peut-être aussi du côté de l’italien Beppe Grillo qu’il faudrait aller chercher. Leurs discours de dénonciation des élites, de la classe politique et dirigeante dans son ensemble, l’idée du coup de balai, la sortie de l’Euro, la dénonciation des ukases de Bruxelles, sont autant de parallèles possibles.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Nicolas Hanin

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