Corinne Lepage : "Ce que je viens de voir à Fukushima"<!-- --> | Atlantico.fr
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Corinne Lepage s'est rendue trois jours à Fukushima...
Corinne Lepage s'est rendue trois jours à Fukushima...
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Témoignage

Six mois après Fukushima, rien n’est résolu... Mais l’expérience japonaise est riche d’enseignements. Corinne Lepage s'est rendue trois jours sur place. Elle en fait le récit pour Atlantico...

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Rien n’est résolu au niveau de la centrale. Trois cœurs ont fondu et nul ne sait l’étendue des dégâts au niveau de leurs enveloppes. Les cœurs sont refroidis par une eau qui devient hautement contaminée et se répand ensuite. Mais arrêter de refroidir est infiniment dangereux, d’où le piège infernal. Plus de 100 000 m3 d’eau hautement contaminée, utilisée dans les piscines pour le refroidissement, doivent être retraitées mais la difficulté parait extrême. Si la radioactivité a baissé, semble t-il, les conditions de travail restent très difficiles et il est, bien entendu, impossible de pénétrer dans les réacteurs.

La première leçon à tirer est donc celle de l’improvisation de réponse à laquelle conduit une catastrophe nucléaire, totalement incompatible avec la dangerosité de ces installations et avec les propos lénifiants des autorités de sûreté.

Rien n’est résolu au niveau de la contamination des zones voisines de la centrale. Si la population a été évacuée dans la zone de 20km - l’ancien Premier ministre ayant avoué récemment que beaucoup ne pourraient revenir car les zones étaient perdues de manière irréversible - il reste 2 millions de personnes, 300 000 enfants de moins de 18 ans et 20 000 femmes enceintes dans la préfecture de Fukushima. Ces personnes sont soumises à une contamination de l’ordre de la dose annuelle maximale admissible pour les travailleurs du nucléaire : 20 Msv/an. Et aucune réponse n’est apportée aux mères de famille que j’ai rencontrées, qui veulent désespérément partir et n’en n’ont pas les moyens. Ni décontamination possible, ni allocation d’une indemnisation qui permettrait de refaire une vie. De plus, l’omerta qui règne sur la contamination locale (qui varie en fonction des « taches de léopard », les pressions qui s’exercent sur les médecins) ne permet pas aux populations de connaître leur réelle exposition.

La seconde leçon est donc celle du caractère tragique pour les populations d’une catastrophe nucléaire. Il n’y a pas de solution, et cette situation induit nécessairement le secret et le silence pour couvrir cette incapacité d’agir.

La question du coût reste entière. Seul est aujourd’hui évalué le coût approximatif du nettoyage du site. 90 milliards de dollars, soit 75 milliards d’euro, environ soit 5 fois ce que la France a provisionné pour le démantèlement de 58 réacteurs et 15 fois la valeur de TEPCO. Et bien sûr, l’impossibilité de payer la décontamination techniquement très difficile, voire impossible à une telle échelle, ni d’indemniser les victimes économiques (pêcheurs, agriculteurs dont les produits restent largement commercialisés avec des limites de contamination multipliées par 10). Mais il y a surtout  le coût physique, celui de ceux qui veulent partir, en particulier pour protéger leurs enfants. Les coûts sont incommensurables. L’impact sur le  PIB, difficile à évaluer en raison du cumul des catastrophes, devrait être de l’ordre de 50% de la croissance attendue au Japon.

La troisième leçon est donc celle du coût humain, économique, et surtout financier d’une catastrophe nucléaire, pour laquelle il n’existe en réalité aucune assurance. Le plafond des conventions internationales est de 1,5 milliards d’euros et en France, EDF est assuré à hauteur de… 80 millions par accident.

Soyons clairs. Rien ne dit qu’un autre pays aurait fait mieux que le Japon, confronté à une  telle série de tragédies simultanées. Il est  très peu probable qu’un autre pays aurait eu une capacité d’adaptation sur le plan énergétique aussi remarquable. Selon les informations que m’a fournies le vice ministre de l’Environnement, la baisse de la consommation électrique serait de l’ordre de 28%. Essentiellement dans la région de Tokyo et je puis assurer, parce que je m’y suis rendue, que Tokyo vit très bien. 11 réacteurs sur 57 sont en fonctionnement et il m’a été confirmé qu’il ne serait pas construit de nouveaux réacteurs, 84% de la population japonaise étant désormais opposée au nucléaire.

La quatrième leçon à méditer est que la sobriété énergétique est possible, et que ceux qui affectent de croire qu’elle serait synonyme de décroissance sont d’un autre siècle. Tout comme ceux qui croient que, sans le nucléaire, on s’éclairerait à la bougie. Les Japonais font aujourd’hui un effort sans précédent d’investissements dans les centrales solaires et les énergies renouvelables, dont le coût de production ne cesse de baisser. Il est probable que le Japon fasse de la tragédie qu’il vit, un formidable levier de transformation énergétique et industriel, et devienne à terme un modèle en la matière.

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