Front républicain : mais quelle serait la nature exacte d'un danger engendré par un FN municipal ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault a appelé jeudi les électeurs à constituer un front républicain pour faire barrage au Front national.
Jean-Marc Ayrault a appelé jeudi les électeurs à constituer un front républicain pour faire barrage au Front national.
©Reuters

Menace fantôme

Jean-Marc Ayrault a appelé jeudi les électeurs à "tout faire pour qu'il n'y ait aucune possibilité qu'il y ait un maire Front national dans une commune de France".

Atlantico : Jean-Marc Ayrault a appelé sur Radio J les citoyens à "tout faire pour qu'il n'y ait aucune possibilité qu'il y ait un maire Front national dans une commune de France", invitant les citoyens à se regrouper le cas échéant derrière un "front républicain". Les villes concernées compromettraient-elles concrètement leur avenir si elles devaient compter des élus frontistes au sein de leur exécutif ?

Sylvain Crépon Il s'est référé aux expériences des mairies FN dans les années 90, qui avaient été un désastre au niveau de la gestion. Ces villes avaient été conçues comme des laboratoires de diffusion et d'application des idées du Front national. Les époux Mégret avaient par exemple octroyé une prime pour tout enfant européen né sur le sol de leur commune, ce qui avait été retoqué par le Tribunal administratif, car déclaré anti constitutionnel. La ville  d'Orange, avec Jacques Bompard, a tiré son épingle du jeu. Les dirigeants du FN ont tiré les conséquences de ces erreurs, de sorte que les candidats frontistes ayant une chance d'être élus ne font absolument pas campagne sur les idées du FN, mais sur des thématiques strictement municipales. Car ces élections sont sans doute les moins idéologiques en France. Le FN l'a parfaitement compris, et cherche ainsi à se donner une légitimité gestionnaire qui lui fait tant défaut. 

Les propos de Jean-Marc Ayrault ne sont pas nouveaux, on se rappelle de la stratégie de la "main droite de Mitterrand". C'est un moyen de diviser la droite entre la tendance centriste favorable à un front républicain, et une autre, davantage droitière, plus ouverte à une alliance, notamment dans le sud-est. Ce peut donc être un moyen d'espérer créer la zizanie à droite. N'oublions pas que la ville qui va certainement basculer du PS vers le FN, c'est Hénin-Beaumont. La droite y est inexistante, ce qui laisse présager un duel entre le PS, miné par les affaires de corruption, et le Front national. Donc si la ville tombe, ce serait le symbole de l'échec socialiste au niveau local face au FN, et ce alors que l'opposition au FN a sans doute constitué un des principaux ressorts des mobilisations de la gauche ces vingt dernières années. Jean-Marc Ayrault est peut-être mû par la hantise d'un tel scénario, d'où l'appel au front républicain.

Philippe Braud: Si la stratégie du Front républicain est une démarche de conviction (quant à la nocivité du Front national), c’est aussi, plus prosaïquement, une stratégie de désistement réciproque entre tous les autres partis, avec des bénéfices électoraux à escompter. Il est donc de bonne guerre de majorer les risques associés à un basculement des communes au profit du FN. En réalité, le risque est très exagéré. D’abord parce qu’il existe tout un tissu serré de règlements qui protègent les droits fondamentaux des citoyens et ceux des salariés municipaux. Ensuite parce que les compétences des maires sont limitées ou encadrées ; aujourd’hui, davantage encore du fait du développement de l’intercommunalité. Le risque le plus évident vient de deux directions : la détérioration du climat de la ville compte tenu des tensions engendrées par les discours offensifs du FN et ceux de leurs adversaires les plus radicaux, ce qui peut nuire aux affaires et aux investissements ; la plus grande  difficulté d’obtenir de l’Etat ou d’autres collectivités publiques les soutiens financiers pour des actions municipales d’envergure qui appellent toujours des co-financements.

Jean Petaux : Il faut bien comprendre que ce type de déclaration n’a aucune espèce d’influence sur les électeurs… La stratégie de "front républicain" peut jouer au plan national (on l’a vu, quelque part en 2002 après "le coup de tonnerre" du 21 avril) mais au plan local il en va sans doute autrement. En 1995 le FN a gagné quelques villes du sud-est qui sont vite devenues des symboles : Toulon, Orange, Marignane, puis Vitrolles à la faveur d’une municipale partielle en 1997. Elles n’ont pas été mises pour autant au "ban de la nation".

Sylvain Brouard, chercheur de la FNSP au Centre Emile-Durkheim de Sciences Po Bordeaux vient de produire quelques chiffres tout à fait intéressants. Sur le millier de villes françaises de plus de 9 000 habitants, le FN sera présent dans 450 d’entre elles. Il retrouve ainsi son niveau de candidatures qui fut le sien en 1995 avant la rupture Jean-Marie Le Pen – Bruno Mégret (il était alors présent dans 456 villes). En 2008, seules 111 communes de plus de 9000 habitants ont connu une liste FN. Il serait très surprenant que le FN n’emporte pas au moins une municipalité parmi les 450 où il présente des candidats. D’autant que la grande nouveauté par rapport à 1995 réside dans le fait qu’il est présent désormais dans toute la France, y compris à Villeneuve-sur-Lot (avec le jeune Bousquet qui s’est fait connaître lors de la législative partielle suite à la démission de Cahuzac) ou encore à Hénin-Beaumont où il a de forte chance de l’emporter… Or Hénin-Beaumont n’est pas en PACA… Ce ne sont donc pas les appels quelque peu incantatoires (et vains) à « l’union sacrée » contre le FN qui vont provoquer un sursaut national. Peut-être, en revanche, qu’au soir du premier tour, si la poussée du FN est très forte, la mobilisation de l’électorat de gauche sera renforcée pour le second tour, dans une sorte de réaction réflexe.

Le Premier ministre a fait référence aux "gabegies" et "magouilles" pratiquées par les maires FN dans les années 90. La gestion des finances municipales ne serait pas le fort de ces élus. Que nous enseignent les expériences passées à ce sujet ?

Philippe Braud : Effectivement la gestion des finances locales n’a pas été le fort des élus FN. A cela deux types d’explications sont avancés : le premier, passablement polémique, veut que ces élus soient tous des fripouilles, ce qui est excessif même si quelques-uns l’ont été assurément ; le second, plus largement fondé, renvoie à leur inexpérience, voire à la méconnaissance volontaire ou involontaire des dispositions juridiques en vigueur. Il faut cependant ajouter que les services de l’Etat (comme les médias) ont surveillé les faux pas des élus FN avec une vigilance particulière. Pour remettre le tableau en perspective il faut remarquer que les gains de Toulon et d’Orange en 1995, et celui de Vitrolles, en 1997, par l’épouse de Bruno Mégret, alors candidate du Front national, ont été fortement favorisés par la gestion opaque des maires sortants, notamment celle du socialiste Jean-Jacques Anglade à Vitrolles. Mais il est vrai que ces trois maires FN ont tous eu maille à partir avec la justice. Catherine Mégret a été condamnée pour avoir financé, sur crédits municipaux, l’envoi de plusieurs milliers de lettres appelant à réunir des parrainages de son époux pour l’élection présidentielle de 2002. Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon de 1999 à 2001, sera condamné pour la création d’un emploi fictif (une pratique dont, à l’époque, le FN n’avait assurément pas le monopole). Enfin Jacques Bompard à Orange, élu à l’époque sous l’étiquette FN et constamment réélu depuis sous d’autres étiquettes, a été inquiété à deux reprises par la justice pour prise illégale d’intérêts, mais jamais privé de ses droits civiques.

Sylvain Crépon Dans des villes comme Toulon ou Marignanne, la gestion a été catastrophique. Et c'est justement cela que le Front national a compris :il faut mettre des gens compétents en place pour acquérir une légitimité gestionnaire. Un cadre proche de Marine Le Pen me confiait récemment : "si on prend 20 villes, on est morts". Sous-entendu, si le FN prend trop de villes, il a parfaitement conscience qu'il n'a pas assez de cadres suffisamment compétents pour pouvoir les gérer correctement.

La stratégie du FN est moins sur le court, que sur le long terme. Il va pouvoir former sur le tas ses conseillers municipaux qui risquent d'être investis en nombre à l'issue des municipales, les rendre plus visibles, les "notabiliser", en quelque sorte. Le but est de pouvoir capitaliser sur ce nouveau personnel politique pour les échéances législatives, car il est très difficile de se faire élire tant qu'on n'est pas implanté localement.

Jean Petaux :Il est parfaitement avéré que les expériences de gestion municipale pour le FN ont été désastreuses. Et comme elles étaient limitées en nombre, il est évident que dès qu’un problème s’est manifesté dans l’une des villes « FN » à partir de 1995, cela s’est immédiatement vu. Par ailleurs aussi bien à Orange qu’à Toulon les maires élus ont vite quitté le parti de Le Pen pour s’autonomiser et concourir ensuite sous leurs propres couleurs… Tout en restant, sur le fond de leur politique, très « frontistes ». Donc le passé ne joue pas en faveur de l’image d’un FN gestionnaire de collectivités territoriales. Plus globalement c’est aussi le syndrome d’un parti purement « tribunitien » sous Jean-Marie Le Pen qui ne cherchait pas vraiment à gouverner, pas plus au plan local qu’au plan national. Mégret, lui, voulait réellement gérer. Comme il en a été empêché il a mis en avant son épouse tout en étant le vrai « patron » de  Vitrolles après 1997. Mais cela n’a pas duré comme on le sait.

Le danger invoqué est-il le même pour toutes les tailles de villes ? Les problématiques sont-elles différentes ?

Jean Petaux : On a bien vu que le FN de Marine Le Pen n’a pas réussi le challenge qu’il s’était fixé début 2013 quand la présidente du parti elle-même tablait sur 1 000 listes « marinistes » présentées dans toute la France. Dans les villes de plus de 1 000 habitants (il y en a 9 000 en France soit environ 1 sur 4), le FN a eu beaucoup de mal à présenter des listes complètes et paritaires. Surtout dans la « tranche » entre 1 000 et 3 500 qui représente désormais la fraction des communes où les listes sont non-raturables et non-panachables. Dans ces petites villes et « gros » villages les habitants se connaissent souvent personnellement et s’afficher FN n’est pas aussi facile, encore aujourd’hui, que dans des villes de 30 000 habitants…

Autre phénomène qui a joué contre les candidatures FN, cette fois dans les villages de moins de 1 000 habitants : l’obligation de présenter sa candidature pour être élu. Une imposition au « dévoilement » qui a pu en refroidir plus d’un. Dans toutes ces raisons il n’est nullement évoqué, pour expliquer le nombre limité de listes FN, un quelconque danger que ferait courir aux communes concernées l’élection de candidats frontistes dans les fauteuils de maires et d’adjoints. Je suis persuadé que cette variable ne joue pas dans le comportement des électeurs.

Philippe Braud: Le gain d’une commune, isolée dans une intercommunalité, paralysera pratiquement le FN, surtout s’il s’agit des « intercoms » les plus intégrées comme les communautés d’agglomération ou les métropoles urbaines. C’est probablement sur le front de la culture que la gestion FN risque de provoquer les tensions les plus fortes, mais cela concerne essentiellement des villes moyennes ou importantes, là où existent des institutions culturelles et des associations d’importance. Enfin, et surtout, le discours anti-immigrés risque de se révéler explosif dans les zones urbaines où il existe une forte proportion de résidents d’origine étrangère, de première ou deuxième génération.

Outre les finances municipales, de quelle manière la vie des habitants en serait-elle changée ?

Jean Petaux :Dans les expériences passées, les premiers mois des gestions frontistes ont surtout été marqués par des mesures symboliques : changements de noms des rues, suppression de subventions à des associations clairement militantes contre le FN ou réputées telles, et désabonnement à des revues considérées comme « impies » ou « gauchistes » dans le catalogue des bibliothèques ou médiathèques municipales. On peut imaginer, cette année, si des villes sont concernées par la victoire d’une liste « mariniste » des changements dans les menus des cantines scolaires pour peu que celles-ci respectent les interdits alimentaires religieux, rien que pour régler des comptes avec telle ou telle communauté religieuse. On aura ainsi quelques dispositions municipales destinées à frapper l’opinion publique et à accréditer l’idée que le FN est très différent des autres formations politiques…

On constate ici que les changements ne seront pas forcément structurels ou fondamentaux, encore que cela dépend de ce que l’on considère comme tel. Pour autant il convient de ne pas nier l’impact des symboles dans les rituels politiques. Ils ont beau concerner la marge de l’exercice du pouvoir mayoral, ils ne sont pas du tout marginaux. Comme l’a écrit si bien Michel Foucault, « la marge fait partie de la page ». Mais pour répondre précisément à votre question : je ne suis pas persuadé que la vie des habitants sera bouleversée par une gestion frontiste, sauf à prendre en compte une incapacité structurelle à gouverner localement. Je pense que, forte de l’expérience passée, Marine Le Pen aura à cœur, à l’inverse de son père, de « soigner » la réputation gestionnaire de ses équipes municipales nouvellement élues en 2014, s’il doit y en avoir…

Sylvain Crépon : Le FN évitera d'appliquer son programme national au niveau local. Ils font campagne sur des problèmes strictement locaux : voirie, commerce, emploi, places en crèche et dans les écoles, finances publiques… Chez beaucoup de candidats il n'est pas question d'immigration ou de préférence nationale. Les gens qui ne sont pas éligibles, en revanche, relaient les idées du FN, dans la perspective des européennes.

Philippe Braud: Les politiques de sécurité seront renforcées, avec le risque de bavures de la part de policiers municipaux trop zélés, ou tout simplement, la création d’un climat de suspicion favorable à la prolifération de dénonciations et rumeurs anonymes. Les subventions aux associations redeviendront un terrain de haute compétition, comme elles l’ont été dans les villes gérées par le FN entre 1995 et 2002. Enfin, des mesures symboliques comme la « débaptisation » de certaines rues et places contribueront à changer le climat de la ville, ne serait ce qu’en raison de l’engrenage des provocations et des protestations qui en résulteront.

Même s'ils n'ont pas la majorité au conseil municipal, les élus FN ont-ils déjà fait preuve d'une capacité de blocage ? Dans quelle mesure la vie des mairies est-elle affectée ?

Jean Petaux :  Le mode de scrutin municipal et le calcul de la répartition de sièges : liste proportionnelle à la plus forte moyenne avec prime majoritaire à la liste arrivée en tête (majorité absolue ou relative) fait qu’une liste qui emporte l’élection municipale est quasiment assurée (ce n’est pas tout à fait le cas si elle gagne avec une majorité relative) d’obtenir au moins 75% des sièges au Conseil. Ce système empêche toute capacité de blocage d’une liste FN minoritaire dans une assemblée municipale. Mis en place en 1983 par le réforme Defferre, ce mécanisme a tellement bien fonctionné, qu’il a été transposé aux Régionales de 2004 justement pour éviter ce qui s’est passé dans trois Conseils régionaux en 1998 où en Picardie, Bourgogne et Languedoc-Roussillon les présidents ont été élus avec les voix FN qui ont donc joué à fond leur position de « parti charnière » pour faire ou défaire les « rois régionaux »… Là, à ce moment-là, comme dans tout système proportionnel sans correction majoritaire, le FN détenait une « force » disproportionnée par rapport à son audience électorale réelle. Cela ne se présente pas du tout ainsi dans les mairies où les majorités élues disposent, très largement, de la marge en sièges leur permettant de gouverner sans être soumises à une quelconque capacité de blocage d’une formation minoritaire, FN ou autre d’ailleurs.

Philippe Braud: Dans ce cas de figure, ils ont été et seront réduits à l’impuissance, sauf explosion de la majorité municipale. La loi électorale garantit en effet, à la liste arrivée en tête, une confortable majorité au conseil municipal.

Sur la manière dont les élus FN gèrent leur ville, peut-on faire des généralités ? Certains peuvent-ils s'en tirer mieux que d'autres, ou le qualificatif récurrent "d'amateurisme" s'impose-t-il à tous ?

Sylvain Crépon Il ne faut pas généraliser ni caricaturer. Des membres du FN sont tout à fait intelligents et cultivés, connaissent la politique et la gestion. Un certain nombre a les compétences requises. Et même si d'autres ont peu d'expérience, leurs électeurs trouvent qu'ils leur ressemblent. Les élus PS et UMP, qui ont un niveau de langage et de diplômes généralement supérieurs, provoquent parfois un rejet à cause de leur élitisme. Le FN montre que même sans diplômes, on peut monter assez rapidement dans la hiérarchie. De quoi lui donner une légitimité populaire. L'absence de culture de gouvernement, que le FN assume tout de même assez difficilement, est palliée par des formations dispensées aux candidats : relations avec les médias, gestion locale, suivi régulier des performances des maires élus. La direction centrale fera très attention à cette gestion, pour ne pas reproduire les dérives des années 1990. Jean-Marie Le Pen n'avait jamais permis la création de baronnies locales car il y voyait une menace pour son leadership dans le parti. Sa fille a compris que pour accéder au pouvoir, elle ne pouvait se passer d'un réseau d'élus locaux. Acceptera-t-elle que son omnipotence soit éventuellement contestée par des cadres nouvellement élus qui pourront se prévaloir en interne d'une légitimité électorale qu'elle n'a pas pour peser sur le parti? Il sera intéressant de le découvrir.

Philippe Braud: Il est un peu imprudent de vouloir inférer de l’expérience 1995-2002, ce qui pourrait se passer dans les communes conquises par le FN. L’échantillon ne se composait que de trois agglomérations notables. A ce jour, je vois mal comment on peut honnêtement faire la différence entre prédiction et procès d’intention.

Jean Petaux : Il faut toujours se garder de « faire des généralités ». Pas plus en matière de gestion des villes par le FN qu’en quoi que ce soit d’autre… On voit bien que le FN de Marine Le Pen s’est efforcé de faire monter le niveau d’expertise de ses cadres par ailleurs candidats. Je me méfie beaucoup des commentaires qui « collent » un terme, tel qu’« amateurisme » par exemple, à toute une cohorte d’élus. En tout état de cause, du strict point de vue des déterminants du vote, les 23 et 30 mars, ce serait une attitude particulièrement nouvelle pour l’électorat si celui-ci orientait son vote en fonction d’un critère tel que l’expertise réelle ou supposée des candidats. Si un électeur veut voter pour une liste FN dimanche, ce n’est pas le qualificatif « d’amateurisme » collé à cette liste qui le fera changer d’avis… Si la « digue anti-FN » est de ce calibre-là elle ne va pas résister beaucoup à une petite vaguelette frontiste…

Certains candidats socialistes, notamment dans les villes du sud de la France, s'opposeraient à un front républicain arguant du fait qu'il reviendrait à faire élire un maire de droite populaire dont la politique ne diffèrerait pas fondamentalement de celle prônée par le FN. Cet amalgame est-il justifié dans les faits ?

Sylvain Crépon : Encore une fois, les idées du FN ne peuvent pas être appliquées au niveau local, car certaines sont anticonstitutionnelles. En revanche beaucoup de personnalités politiques relaient les idées du FN pour courir après lui. Ils peuvent être tentés de faire dans la surenchère pour s'attirer les faveurs de cet électorat.

Jean Petaux : C’est un argument qui me semble aussi peu fondé intellectuellement et politiquement que celui qui consiste à dire, pour des candidats UMP, qu’il ne faut pas choisir entre « PS » et « FN ». Comme la très bien dit Roland Barthes, dans ses « Mythologies » (publiées en 1957), le « ninisme » est le degré zéro de la pensée…

Cette réaction augure-t-elle d'un potentiel de conversion limité au front républicain ?

Sylvain Crépon : On peut craindre que la dynamique de dédiabolisation du FN enclenchée par Marine le Pen, qui est consciente des erreurs passées, va atténuer la force de ce front républicain. Les centristes s'y conformeront ou s'abstiendront, mais sans doute avec peu d'effets.

Jean Petaux : Cela dépendra des circonstances… Le front républicain ne se constituera que si la poussée du FN est très forte. Si elle se trouve limitée à quelques villes dont il apparaîtra qu’elles peuvent voir une victoire frontiste au soir du second tour, consécutivement à une triangulaire qui consacrerait la liste FN arrivée en tête, alors la rivalité UMP (et ses alliés) versus PS (et ses alliés) perdurera. Les victoires du FN, limitées, feront figure de « regrettables exceptions »… et les formations politiques citées pousseront un « ouf » de (lâche ?) soulagement face au caractère circonscrit de la poussée des candidats se réclament de Marine Le Pen.

Si, à l’inverse, dimanche soir, ce sont 25 ou 30 villes de plus de 9000 habitants qui peuvent être gagnées par le FN alors il en ira tout autrement. On entendra le « tocsin » sonner dans les états-majors parisiens des grandes formations politiques dites de gouvernement et les émissaires discrets des directions nationales de ces partis s’efforceront, d’ici mardi, jour limite de dépôt des listes pour le second tour, d’imposer des retraits en bonne et due forme pour faire « obstacle au fascisme »… Et là on assistera peut-être au début d’une crise politique d’envergure, comparable à ce que l’on a déjà connu aux Régionales de 1998.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"



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