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François Hollande sera-t-il le Gorbatchev de la technocratie française ?
François Hollande sera-t-il le Gorbatchev de la technocratie française ?
©REUTERS/Benoit Tessier

Fossoyeur

Il y a 25 ans, les régimes communistes s'effondraient consécutivement à l'échec de la Perestroïka, ces réformes mises en place par Mikhaïl Gorbatchev. Bien que la France ne soit pas le pays des soviets, les corporatismes de tous bords freinent les nécessaires réformes structurelles. On peut même se demander s'il n'est pas trop tard.

François Dupuy

François Dupuy

François Dupuy est Directeur Académique du Centre Européen d'Education Permanente (CEDEP) et consultant indépendant.

Il est l'auteur de La fatigue des élites : Le capitalisme et ses cadres (Seuil, avril 2005)  Lost in management : La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle (Seuil, février 2011) et Sociologie du changement - Pourquoi et comment changer les organisations (Dunod, janvier 2004).

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Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Bernard Lecomte

Bernard Lecomte

Ancien grand reporter à La Croix et à L'Express, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Bernard Lecomte est un des meilleurs spécialistes du Vatican. Ses livres sur le sujet font autorité, notamment sa biographie de Jean-Paul II qui fut un succès mondial. Il a publié Tous les secrets du Vatican chez Perrin. 

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Atlantico : En 1985, le Parti communiste de l'Union soviétique, conscient de la nécessité d'apporter un vent nouveau sur la politique, nomme Mikhaïl Gorbatchev secrétaire général du parti. Ce dernier met alors en place une série de réformes structurelles connues sous le nom de Perestroïka, qui sonnent notamment la libéralisation de l'économie soviétique. Pourtant, en 1990-91, sous le tiraillement à la fois des corporatismes conservateurs et des partisans d'une économie libérale, le PC soviétique s’effondrait et l’URSS explosait. Peut-on dire qu'à un certain stade de conservatisme de tous bords, les dynamiques de réforme structurelles aboutissent nécessairement à un effondrement du système entier ?

Bernard Lecomte : Dans le cas de l’URSS, il faut rappeler que c’est l’idéologie marxiste-léniniste et le système du parti unique qui avaient transformé la deuxième super-puissance du monde en un mammouth complètement figé, incapable de s’adapter à la mondialisation commençante. Il s’agissait d’un régime "totalitaire", et, par nature, un régime totalitaire est irréformable – ce que Gorbatchev apprit à ses dépens. En insufflant un peu de libéralisme dans un système communiste, on enraye ses rouages, on fragilise son pouvoir et on provoque son effondrement.

Dans un pays comme la France, l’enjeu est bien différent : si les conservatismes multiples finissent par freiner son dynamisme et obérer sa croissance, il lui reste ses institutions politiques (pluralistes) et son système économique (libérale) pour sortir, plus ou moins vite, de la crise.

Le cas de la France est un peu spécial. A la Libération, le général de Gaulle voulut réconcilier les différentes tendances politiques de la société française. La démarche était nécessaire – n’oublions pas que le PCF représentait en 1945 un tiers de l’électorat – mais elle engagea la France dans un long cheminement semi-étatique qui la distingua du développement "libéral" de ses voisins anglo-saxons : statut de la fonction publique, planification, banques nationalisées, transports et énergie, le tout géré par une classe politique liée à des syndicats très politisés. C’est ce lourd héritage étatique, davantage arc-bouté sur ses acquis sociaux que sur ses convictions idéologiques, qui résiste aux réformes encore aujourd’hui. Le "camp du progrès", qui n’a plus de modèle depuis la disparition de l’URSS, est devenu le camp de la préservation d’un passé révolu.

Serge Federbusch : Il vient un moment où la réforme n’est plus possible car l’agrégation des oppositions contradictoires est plus forte que la capacité du pouvoir à imposer quelque changement que ce soit. Si vous prenez le cas de François Hollande, il a voulu un temps, comme au parti socialiste alors qu’il était premier secrétaire, jouer les uns contre les autres. Aujourd’hui, il a tout le monde à dos et, bientôt, des coalitions de rencontre se formeront avec le seul objectif de le voir dégager, pour reprendre la formule à la mode.

De plus, une réforme n’est pas possible quand le système est fondamentalement vicié. C’est aujourd’hui le cas de l’Euroland, avec une monnaie qui ruine peu à peu ses pays membres et c’est également le cas de la France, avec un système politico-administratif tellement boursouflé qu’il faudrait le revoir de fond en combles. La réforme de la France de 2014 est bien plus difficile que celle menée en 1958 et même que celle conduite par Thatcher dans l’Angleterre de la fin des années 1970.

L'échec des réformes entreprises, surtout celles concernant la libéralisation de l'économie russe, enclencha une réaction de mécontentements qui conduisit à la montée des nationalismes. N'y a-t-il pas là un phénomène similaire à ce qu'on a pu voir en France à travers la victoire du Front National aux deux dernières élections ?

Bernard Lecomte : Dans les deux cas, la baisse du pouvoir d’achat aura poussé à une radicalisation des extrêmes. Mais la montée des nationalismes en URSS fut surtout une conséquence de la "glasnost", ce début de liberté d’expression dont s’emparèrent les populations de Lituanie, Lettonie, Estonie, Géorgie, Arménie, etc, pour exiger l’autonomie puis l’indépendance. Quand cette revendication nationale a atteint la Russie elle-même, c’en était fini de l’URSS !

Serge Federbusch : Je crois surtout que les électeurs du FN expriment leur ulcération contre le système et leur refus radical de la poursuite de la politique migratoire actuelle. Ce n’est pas du nationalisme en tant que tel. 

La France est-elle à ce point figée politiquement, après un siècle de conservatisme, qu'elle ne puisse plus engager des réformes profondes ? A quelles erreurs commises par Gorbatchev François Hollande pourrait-il s'intéresser pour mieux gérer la mise en place des réformes ?

Bernard Lecomte : La principale erreur de Gorbatchev a été de s’appuyer sur le parti unique pour faire passer ses réformes, alors que c’est ce parti et ses cadres (19 millions de familles, au total) qui avaient le plus à perdre de la "perestroïka" et de la "glasnost". Les dirigeants chinois l’ont compris en 1989 : ils ont d’abord conforté le pouvoir absolu du Parti communiste, comme on l’a vu à Tienanmen, avant de lâcher les freins de leur économie. La France, heureusement, n’est pas confrontée à une telle alternative !

Serge Federbusch : Gorbatchev n’a pas tant échoué que cela. Sa grande intelligence et son sens des responsabilités historiques nous ont peut-être épargné un troisième conflit mondial. Ce sont les nationalistes russes obtus qui le détestent. C’est plutôt bon signe pour lui. Quant à la France, elle n’est pas figée depuis un siècle mais depuis le départ de De Gaulle et Pompidou, en raison de l’incapacité de sa classe dirigeante à prendre la mesure des dégâts causés par son clientélisme et sa capitulation lente à Bruxelles et Francfort.

Si l'on devait faire un panorama des principaux corporatismes qui utilisent leur capacité de blocage en France, quels seraient les plus notables ?

Serge Federbusch :Les politiciens à vie, la fonction publique et toutes les professions protégées par un statut, c’est à dire pas loin de la majorité de la population. D’où le caractère insoluble du problème.

Bernard Lecomte : La politique est un rapport de force, pas seulement chez les marxistes : il n’est pas étonnant que les seuls groupes capables de défendre leurs statuts avantageux ou leurs derniers privilèges, en cette période de mutation économique et sociale, soient ceux qui peuvent bloquer les transports, les festivals d’été ou le tourisme corse. Mais ils sont une toute petite minorité : les vrais corporatismes sont à rechercher au sein des pouvoirs publics eux-mêmes (fonctionnaires, élus locaux) où nombre d’institutions vivent encore comme si la mondialisation ne les concernait pas.

Comme on a pu le voir lors de la conférence sociale, les représentants des salariés ont une difficulté historique à se faire entendre et à peser dans les négociations. Le gouvernement est-il pieds et mains lié à son ambition de conjuguer les représentants pour réformer la France ? En quoi est-ce illusoire, voire naïf ?

Serge Federbusch : Le grand problème de la France, depuis deux siècles, est la quasi impossibilité de concilier trois choses : l’extrême centralisation du système politique à Paris, une économie libérale et un régime représentatif à base de circonscriptions territoriales. L’incapacité du parlement à arrêter des décisions dans ce cadre conduit à un dialogue direct mais rapidement paralysant entre le pouvoir exécutif et les corporations. A terme, tout s’effondre régulièrement, comme j’ai essayé de le montrer dans mon dernier livre : "Français prêts pour votre prochaine révolution ?". En 2014, nous sommes à la veille d’un nouvel effondrement.

François DupuyC'est un des paradoxes de nos démocraties : pour mettre en œuvre des décisions qui relèvent de la responsabilité politique, elles ont mis en place des organisations administratives. Celles-ci sont devenues progressivement hypertrophiées (en particulier dans le cas de la France) et surtout ont pris progressivement leur autonomie. Si l'on ajoute à cela qu'elles sont composées de spécialistes qui font face à des politiques qui ne le sont pas, on comprend que la relation de pouvoir entre les deux sphères s'est partiellement inversée.

Dès lors, si la décision politique menace l'ordre établi administratif, la bureaucratie a tous les moyens de s'y opposer. Et c'est bien le cas aujourd'hui : une des caractéristiques de ces fameuses bureaucraties, c'est d'être "endogènes": elles sont bien davantage tournées vers la protection de leurs membres que vers le service des citoyens, surtout si celui-ci doit s'effectuer "au plus juste". Or les conditions économiques amènent les politiques à chercher à remettre en question cette logique. Il n'y a pas de surprise à ce que les bureaucraties y résistent avec une remarquable inertie. Observons par ailleurs que de ce point de vue, elles sont apolitiques, au sens le plus profond du terme.

Enfin cela explique le rôle des "révolutions" dans l'histoire de France : c'est ce conservatisme ancré dans ces institutions qui nécessite des évènements extrêmes pour permettre les adaptations nécessaires à la modernisation de la société.

Les intérêts et les opinions sont-elles trop divergentes en France pour que les réformes puissent aboutir à un consensus ?

François Dupuy :Le premier, c'est le conservatisme. C'est un univers très structuré et très stable. Chacun connaît son rôle, ses droits, ses devoirs et les récompenses qui accompagnent un respect strict des règles informelles. Tout le système administratif s'active pour démontrer l'irréalisme ou le danger des propositions de changements que font les responsables politiques. Ces derniers ont donc tendance à minimiser les risques et, in fine, à accepter les solutions conservatrices.

Le deuxième est la défense des intérêts concrets des membres de ces organisations. Prenons un exemple : l'allocation des ressources humaines se fait à l'avantage des membres des bureaucraties et non pas selon les besoins du public. L'ancienneté, qui signifie en même temps l'expérience dans toute autre organisation, permet de se mettre à l'abri des difficultés, pour les enseignants d'enseigner moins, pour les policiers de s'éloigner des zones sensibles. On comprend que bouleverser cet ordre suscite des oppositions qu'aucun pouvoir politique n'a pour le moment réussi à vaincre.

Bernard Lecomte : Comparaison n’est pas raison. En URSS, le clivage social était binaire : il y avait ceux qui obéissaient bon gré mal gré au Parti unique, qui disposait de tous les pouvoirs sans exception, et ceux, ultra-minoritaires, qui contestaient ce régime et qui comptaient pour du beurre. Cette cohérence totalitaire, au bout de 70 ans, avait fini par paralyser le système. En y introduisant un peu de pluralisme, Gorbatchev a provoqué un rejet du corps social, puis des convulsions qui ont eu raison du malade ! 

Serge Federbusch : Il n’y a plus désormais en France de consensus sur quoi que ce soit. La société est de plus en plus délitée et je suis frappé par la montée des tensions interpersonnelles et des ressentiments sociaux. Ce pays est au bord de l’explosion sociale et ses habitants le ressentent confusément, le stress se généralise.

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