France 1940-1945 : comment la violence et la cruauté ont fracturé le pays lors des années sombres de l’Occupation<!-- --> | Atlantico.fr
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Le village martyr d'Oradour-sur-Glane, dans le centre de la France, où 642 citoyens, dont 500 femmes et enfants, ont été tués enfermés dans une église intentionnellement incendiée par une division SS le 10 juin 1944.
Le village martyr d'Oradour-sur-Glane, dans le centre de la France, où 642 citoyens, dont 500 femmes et enfants, ont été tués enfermés dans une église intentionnellement incendiée par une division SS le 10 juin 1944.
©THIERRY ZOCCOLAN / AFP

Bonnes feuilles

Le livre « De la cruauté en politique De l'Antiquité aux Khmers rouges » sous la direction de Stéphane Courtois est publié aux éditions Perrin. Toute notre histoire est marquée au sceau du crime politique. Si la cruauté est de toutes les époques, elle est aussi de tous les continents. Extrait 1/2.

Olivier Dard

Olivier Dard

Olivier Dard est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV), membre de l’UMR Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (CNRS UMR 8138) et coresponsable de l’axe 2 (épistémologie du politique) du LABEX « Écrire une histoire nouvelle de l’Europe » (EHNE). Spécialiste d’histoire politique, il a notamment publié La Synarchie. Le mythe du complot permanent, Perrin, 1998 ; Le Rendez-vous manqué des relèves des années 30, PUF, 2002 ; Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005 ; Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008 ; Charles Maurras. Le maître et l’action, Armand Colin, 2013. Il a dirigé et codirigé une trentaine d’ouvrages collectifs consacrés principalement aux droites radicales en Europe et aux Amériques.

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Rapportée à la France des années sombres, de l’Occupation à l’Épuration, l’appréhension de la cruauté appelle trois séries de précisions. En premier lieu, elle est inséparable d’un certain nombre d’épisodes et d’images qui ont marqué la conscience collective jusqu’à aujourd’hui. On mentionnera notamment la cruauté de la Gestapo et les tortures infligées aux résistants, mettant en scène le bourreau et la victime comme dans le cas de Klaus Barbie et de Jean Moulin. Le massacre collectif d’Oradour-sur-Glane, perpétré le 10 juin 1944 par la division Das Reich, est une autre incarnation de la cruauté nazie et un traumatisme très récemment ravivé après que le mémorial a été profané en août 2020.

Une deuxième précision, parfois source de polémiques et de malentendus, tient à la nécessité de remettre la situation de la France en perspective en ayant en tête le caractère différencié des seuils de violence franchis durant le second conflit mondial sur les différents théâtres d’opérations. Pour en rester au cas européen, on connaît depuis les travaux d’Omer Bartov et d’autres historiens les singularités de la guerre à l’Est, son extrême violence et la cruauté qui s’y exprima ; on la retrouve d’ailleurs sous la plume d’anciens engagés sur le front de l’Est dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, quand ils évoquent à propos de la guerre des partisans ce qu’ils appellent la « zabralisation », entendue comme l’incendie des villages et la liquidation de leurs habitants, femmes et enfants compris. Rapportée aux situations d’autres terrains européens, la France se situe sur une échelle basse. Pour remettre en perspective Oradour, on rappellera qu’en Biélorussie, la guerre de partisans menée par les Soviétiques entraîna de la part de l’occupant allemand la destruction de 9 200 villages, dont 628 furent anéantis avec la totalité de leurs habitants. Oradour fut détruit par des militaires qui avaient combattu sur le front de l’Est, avec des méthodes directement importées de ce théâtre d’opérations et employées à cette occasion au lendemain des 99 pendaisons de Tulle perpétrées également par la division Das Reich. C’est donc dans ce registre, atroce, qu’il faut situer et comprendre le massacre et son caractère exceptionnel à l’échelle hexagonale.

Saisir la situation de la France sous l’Occupation invite aussi à prendre la mesure du cadre national et à tenir compte des relations entre résistances et régimes d’oppression en posant, après d’autres historiens, l’hypothèse – forte – que « les résistances et les régimes d’oppression et d’occupation durant la Seconde Guerre mondiale appartiennent au même monde ». À savoir notamment qu’ils « inscrivent leur action dans le même cadre étatique ». Ce qui, cependant, ne signifie nullement qu’il faille considérer « que les résistances sont les purs produits des régimes d’oppression et qu’elles n’ont pas leur dynamique propre ». Ni faire l’impasse sur l’évolution du conflit mondial, des conditions de plus en plus drastiques de l’Occupation en France comme de la montée en puissance de la répression et de la violence, tout particulièrement en 1943-1944.

Une violence qui se prolongea à l’heure de la sortie d’un conflit qui n’était pas seulement la lutte contre un occupant mais aussi une guerre civile, aggravée au fil du temps ; d’abord lorsque l’État français devint de plus en plus un État croupion pour ne pas dire satellite de l’occupant, puis quand, la Libération arrivée, un nouveau cycle s’ouvrit avec une épuration déjà annoncée par le gouvernement d’Alger et entreprise avant même le débarquement des Alliés sous la forme d’exécutions sommaires. Car la violence ne fut évidemment pas à sens unique et les choses se retournèrent en 1944-1945 comme l’ont montré de nombreux travaux. Christian Goeschel a évoqué « des vagues de vengeance contre les collaborateurs réels ou supposés, avec lynchages et procès se soldant par des condamnations à mort », tandis que Guillaume Piketty s’est référé à des « haines en retour » pour expliquer les violences perpétrées par les résistants et les maquisards. Là où les choses se compliquent quand les vaincus et les épurés, se considérant comme des victimes, ont dénoncé les « crimes » d’une épuration qualifiée de « sauvage » dans un livre bien connu du journaliste Philippe Bourdrel . Sur ce point, des historiens universitaires, comme récemment François Rouquet et Fabrice Virgili, ont marqué leur désaccord en qualifiant cet auteur –  et aussi Robert Aron et Henri Amouroux – d’« “historiens” du fantasme ». Plus de sept décennies après les faits, l’histoire de cette période reste indissociable de déchirements de la mémoire nationale qui n’a cessé d’être fracturée depuis lors.

Extrait du livre « De la cruauté en politique De l'Antiquité aux Khmers rouges » sous la direction de Stéphane Courtois, publié aux éditions Perrin

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