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FN light pour les timides ou FN de demain : où en est le Rassemblement Bleu Marine ?
©Reuters

C'est l'heure de faire le point !

Aurélien Legrand, ex-militant du NPA, vient d'être promu par Marine Le Pen numéro deux du Rassemblement Bleu Marine (RBM). Une nomination qui pousse à s'interroger sur cette structure qui dépend du FN et qui semble exister pour continuer la dédiabolisation de l'ex-parti de Jean-Marie Le Pen.

Laurent de Boissieu

Laurent de Boissieu

Laurent de Boissieu est journaliste politique au quotidien La Croix et fondateur des sites France-politique.fr et Europe-politique.eu.

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Atlantico : Aurélien Legrand, ex-militant du NPA, vient d’être promu par Marine Le Pen numéro deux du Rassemblement Bleu Marine (RBM), coalition de partis organisée autour du FN. La présidente du FN a-t-elle pour stratégie de promouvoir de jeunes personnalités à la tête du RBM afin de pousser vers la sortie les anciens soutiens de son père ?

Laurent de BoissieuEn préalable, une précision : le numéro deux du Rassemblement Bleu Marine (RBM) est Gilbert Collard, son secrétaire général. Aurélien Legrand – déjà secrétaire de la section FN du XIIIe arrondissement de Paris – a été nommé délégué général, c’est-à-dire formellement numéro trois même s’il en sera la cheville ouvrière. Cette nomination permet de remplacer Jean-Yves Narquin, fils de l’ancien résistant et député gaulliste, Jean Narquin, et frère de Roselyne Bachelot-Narquin. Le maire de Villedieu-le-Château (Loir-et-Cher) s’était en effet distingué en étant condamné dans une affaire privée, puis à travers un tweet controversé après le décès, à Lille, d’un nourrisson dans les bras de sa mère de nationalité roumaine qui mendiait dans la rue. De fait, et Twitter en révèle plusieurs exemples, les dérapages ne viennent pas toujours de la vieille garde lepéniste, de toute façon largement ralliée à Marine Le Pen.

Cette nomination permet principalement de promouvoir une nouvelle personnalité qui avait prouvé ses compétences lors de la campagne des élections régionales et qui est pleinement sur la ligne de Marine Le Pen. L’entourage de la double présidente du FN et du RBM martèle qu’il n’y a pas de courants internes et qu’il n’y a qu’une seule ligne, celle de Marine Le Pen. Cette langue de bois ne résiste cependant pas à l’analyse. Qu’il n’y ait pas de courants officiellement reconnus n’empêche pas une sourde lutte de sensibilités !

Au-delà de leur diversité, les invités des rendez-vous de Béziers, organisés les 27, 28 et 29 mai 2016 par le maire Robert Ménard (qui n’est membre ni du FN, ni du RBM), dessinent les contours idéologiques d’un autre FN que symbolise Marion Maréchal Le Pen. Un FN qui ne renverrait pas dos-à-dos la droite et la gauche mais qui voudrait incarner la "vraie droite". Un FN qui n’insisterait pas sur la défense de tous les Français sans distinction d’origine mais qui se poserait en défenseur des "Français de souche" (c’est-à-dire blancs de peau) contre un prétendu "grand remplacement" par une immigration "extra-européenne". Un FN qui ne reprocherait pas à la gauche de gouvernement de se soumettre à l’"euro-libéralisme" mais qui lui reprocherait au contraire son étatisme. Un FN qui, pour reprendre la comparaison de Florian Philippot, n’estimerait pas que dans un programme la question du mariage homosexuel doit revêtir la dimension d’un bonsaï mais celle d’un baobab. Bref, un FN "identitaire" (au sens ethno-racial et pas seulement culturel), libéral et conservateur. Il assez cocasse de savoir que Marion Maréchal Le Pen a fait élire sur sa liste aux élections régionales de décembre 2015 le chef de file des "identitaires" niçois, Philippe Vardon, alors que son adhésion au RBM avait été refusée par Gilbert Collard en octobre 2013 !

Or, si la ligne officielle du FN est effectivement celle de Marine Le Pen, les militants et les cadres semblent, à des degrés certes variables selon les thématiques, bien plus sur la ligne de Marion Maréchal Le Pen. Un exemple concret : l’orientation économique portée par Marine Le Pen. Celle-ci semble davantage représentée par un jeune disciple de l’économiste Jacques Sapir, obscur assistant parlementaire et membre du cabinet de Florian Philippot, que par Bernard Monot, pourtant lui-même parlementaire européen et "stratégiste économique" du FN. Les élections européennes de mai 2014 – à travers les postes d’assistants parlementaires – puis les élections régionales de décembre 2015, ont progressivement permis de promouvoir une nouvelle génération pleinement sur la ligne de Marine Le Pen. La promotion dans l’organigramme du RBM d’Aurélien Legrand, premier vice-président du groupe FN au conseil régional d’Île-de-France, s’inscrit dans cette logique.

Le RBM est-il une coquille vide servant à l’intégration de nouveaux éléments au FN ou est-il au contraire un instrument permettant la coexistence des deux lignes du FN (nationale-républicaine et extrême-droite traditionnelle) ?

La nomination d’Aurélien Legrand tend au contraire à prouver que le RBM n’est pas destiné à n’être qu’une coquille vide. Son rôle demeure toutefois encore imprécis.

Passée l’élection de Gilbert Collard aux législatives, le RBM se présentait à l’automne 2012 comme un élargissement politique du FN dans deux directions. D’une part, la gauche souverainiste à travers le mouvement "Patrie et Citoyenneté", fondé par l’ancien chevènementiste Bertrand Dutheil de La Rochère. D’autre part, la droite souverainiste (anciens séguinistes, pasquaïens ou villiéristes) à travers le parti "Souveraineté, Indépendance et Libertés" (SIEL), créé par Paul-Marie Coûteaux.

Dans les deux cas c’est un échec. "Patrie et Citoyenneté" est resté un mouvement confidentiel sans activité réelle. Il en est de même pour les deux autres composantes apparues depuis lors : "Mon Pays la France", qui regroupe l’entourage de Gilbert Collard, et un réseau de gaullistes derrière Jacques Clostermann, fils du Compagnon de la Libération et ancien député gaulliste Pierre Clostermann, "Agir pour la France", créé par un concurrent malheureux de Paul-Marie Coûteaux pour incarner en 2011-2012 l’ouverture du FN à la droite souverainiste.

Seul le parti "Souveraineté, Indépendance et Libertés" (SIEL) est parvenu à atteindre une masse suffisante pour développer ses propres activités publiques. Mais l’éviction de Paul-Marie Coûteaux, fin 2014, a entrainé une réorientation du mouvement. Alors que son objet initial était d’être une passerelle entre la droite souverainiste, plus modérée, et le FN, le SIEL a viré de bord pour devenir une passerelle entre le FN et des groupuscules plus radicaux que lui, comme le Bloc identitaire, la Ligue du Midi de Richard Roudier, la Fondation Polémia de Jean-Yves Le Gallou, ou Pegida-France de Loïc Perdriel. L’aboutissement de cette radicalisation du SIEL a été l’annonce par communiqué de l’adhésion, le 20 novembre 2015, de Renaud Camus, président du "Parti de l'In-nocence", et surtout inventeur de la théorie du "grand remplacement". Paradoxalement, c’est actuellement à travers cette composante du RBM que le lepénisme se "rediabolise", et non à travers le vieil appareil longtemps tenu par Jean-Marie Le Pen.

Bref, il est en réalité de plus en plus difficile de dire qui du FN ou du RBM est, pour reprendre votre terminologie, le plus "national-républicain" ou le plus "extrême-droite traditionnelle". S’il y a bien deux lignes (voire davantage si l’on croise les thématiques), comme je l’ai exposé plus haut, elles passent à l’intérieur même de ces deux structures. Ce qui pose donc la question de la pertinence du maintien de cette dualité, si ce n’est le refus de certains partisans de Marine Le Pen, à l'exemple de Gilbert Collard, d’adhérer au FN en raison de l’histoire sulfureuse de ce parti…

Si ce n’est, aussi, une autre fonction du Rassemblement Bleu Marine depuis mi-2013 : chapeauter des collectifs thématiques. Neuf ont déjà été lancés : "Racine" pour les enseignants, "Audace" pour les jeunes actifs, "Marianne" pour les étudiants, "Nouvelle Ecologie", "Culture, Libertés et Création (CLIC)", "Mer et Francophonie", "Banlieues Patriotes", "Belaud Argos" pour la protection animale et "Croissance Bleu Marine" pour les entrepreneurs.

Reste à savoir quel sera précisément la feuille de route d’Aurélien Legrand au sein du RBM, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017.

Le RBM a-t-il vocation à remplacer le FN, dont le nom est encore trop lié à Jean-Marie Le Pen et ses dérapages, ou s'agit-il plutôt d'une sorte de gouvernement fantôme en prévision d'une conquête du pouvoir ?

La question du changement de nom du FN est récurrente depuis l’élection de Marine Le Pen, en janvier 2011, à sa présidence. À défaut, la création du Rassemblement Bleu Marine joue, comme nous l’avons vu, cette fonction d’élargissement à des profils qui ne veulent pas adhérer au FN. Non seulement en raison des convictions et dérapages de son ancien président, Jean-Marie Le Pen, mais aussi en raison de son origine historique, du côté des groupuscules violents (Ordre Nouveau) et des "perdants de l’Histoire" nostalgiques du pétainisme ou de l’Algérie française. Aux antipodes du gaullisme dont se réclame la jeune garde lepéniste derrière Florian Philippot. Gilbert Collard est l’exemple typique de ces soutiens de Marine Le Pen qui refusent d’adhérer au FN.

L’idée d’un "gouvernement fantôme" ou d’un comité présidentiel au-delà du parti dont est issu une(e) candidat(e) n’a rien d’original. Sauf que le RBM, par son caractère durable, est plus que cela. Avec des éléments qui plaident en faveur et d’autres qui plaident contre le remplacement du FN par celui-ci.

Tout d’abord, sur le plan strictement sémantique, il est davantage probable que le FN, s’il change de nom en s’élargissant, en adopte un du type "Les Patriotes" que "Rassemblement Bleu Marine", qui ressemble avant tout à une étiquette électorale.

Ensuite, la pertinence du maintien de la dualité entre le FN et le RBM se pose dans la mesure où, comme nous l’avons vu également, les clivages idéologiques passent à l’intérieur des deux structures. Marion Maréchal Le Pen, députée FN, est ainsi idéologiquement très proches de Karim Ouchikh, président du SIEL et administrateur du RBM. Bien plus que de Florian Philippot, vice-président du FN.

Enfin, la vraie question pour Marine Le Pen est sans doute celle du coût-avantage. Changer de nom, ce serait définitivement tourner la page du Front national. Mais changer de nom, ce serait aussi perdre une marque qui, malgré tout ce qu’elle charrie, ne l’a pas empêché de progresser aux différents scrutins depuis 2011. Quoi qu’il en soit, elle conservera de toute façon une autre marque : son nom de famille, Le Pen.

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