Flambée des prix du carburant : les chiffres de la consommation française révèlent en creux à quel point l’Etat y a gagné ou non <!-- --> | Atlantico.fr
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Les remises ont-elles réussi à atténuer les effets de la hausse des prix du carburant ?
Les remises ont-elles réussi à atténuer les effets de la hausse des prix du carburant ?
©FRANCK FIFE / AFP

Bouclier tarifaire

Le ministère des Finances a beaucoup répété que, du point de vue des caisses de l’Etat, la baisse de la consommation entraînée par la hausse des prix avait plus que compensé les chèques faits dans le cadre du bouclier tarifaire.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Lionel Wilner

Lionel Wilner

Lionel Wilner est chercheur affilié au Crest et travaille comme économiste à l'Insee où il est responsable de l'unité "redistribution et politique sociale".

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Atlantico : L’insee a publié jeudi 6 juillet une étude intitulée « Comment les automobilistes ajustent leur consommation de carburant aux variations de prix à court terme ». Vous avez constaté que lorsque les prix augmentent de 1 %, les volumes de carburant achetés par les automobilistes diminuent à court terme, de 0,21 % à 0,40 %. Cette sensibilité au prix est-elle étonnante ?

Lionel Wilner : Non, elle est très comparable aux résultats d'autres études étrangères sur le même sujet ainsi qu'à ceux d'études françaises antérieures (cf. encadré bibliographique dans la note Focus CAE).

Michel Ruimy : L’automobile reste, en France, le mode de transport largement majoritaire pour les déplacements quotidiens. Près de 85% des ménages disposent, au moins, d’une voiture, notamment thermique. Cet usage quasi-généralisé confère aux évolutions des prix du carburant un caractère particulièrement sensible.

L’élasticité-prix est susceptible de varier en fonction des contraintes des ménages, qui, elles-mêmes, dépendent du revenu, de la structure familiale, des motifs principaux de déplacement (trajets domicile-travail ou trajets de loisir) ou encore du lieu de résidence. Par exemple, en 2022, les ménages automobilistes « urbains » ont dépensé, en moyenne, 981 EUR par an en frais de carburant contre 1 480 EUR pour les ménages automobilistes vivant en « zone périurbaine » et 1 855 EUR pour ceux vivant en « zone rurale ».

Par ailleurs, la hausse brutale des prix des carburants que nous avons connue récemment a été difficilement supportable pour certaines familles, qui ont été, par nécessité, dans l’impossibilité d’ajuster significativement leurs dépenses de carburant au gré des évolutions des prix à court terme (Les ménages les plus aisés réagissent peu aux prix du carburant, contrairement aux ménages modestes). En conséquence, dans un contexte inflationniste et de perte de pouvoir d’achat, elles ont dû adopter notamment un style de conduite plus économe en carburant d’autant plus qu’outre le fait qu’elle soit un important marqueur social, la voiture reste un « objet de luxe » en termes de coûts : au-delà de l’essence, son coût d’entretien et d’assurance représentent un investissement pas toujours rentable pour les ménages à petit budget.

Vous notez que les ménages ruraux, périurbains ou « gros rouleurs », ayant des consommations moyennes plus élevées, réduisent davantage leurs volumes consommés de carburant à la suite d’une augmentation des prix. Comment expliquer ce phénomène ?

Lionel Wilner : Cela provient mécaniquement d'une consommation de base plus élevée pour tous ces ménages (N.B. les ménages périurbains et ruraux ont la même sensibilité aux prix que les autres ménages - urbains en l'occurrence - tandis que les gros rouleurs ont une sensibilité aux prix plus faible que les autres).

En 2022, le gouvernement a décidé d’instaurer des remises à la pompe afin d’enrayer la hausse des prix du carburant consécutive à la flambée des cours du pétrole. Ces remises ont-elles réussi à atténuer les effets de la hausse des prix du carburant ?

Michel Ruimy : Un soutien au pouvoir d’achat toujours bon à prendre. Pour rappel, le gouvernement avait mis en place, au printemps, une ristourne de 15 à 18 cents TTC par litre de carburant, portée à 30 cents en septembre-octobre, pour aider les ménages à faire face à l’explosion des prix des carburants, dopés par la reprise post-Covid puis, par les conséquences de la guerre entre l’Ukraine et la Russie.

Ces remises sur le carburant accordées par le gouvernement ont permis d’alléger la facture des automobilistes, selon le kilométrage parcouru, en moyenne, de 51 à 81 EUR environ. Pour les 25% les plus démunis, la remise totale s’est élevée de 29 à 48 EUR tandis que, pour les 25% les plus aisés (les « gros rouleurs »), le gain a été de 61 à 115 EUR.

En croisant les critères du « revenu du ménage » avec la « puissance de la voiture », on observe qu’au final, les « gros utilisateurs » de leur automobile et… bénéficiaires se sont trouvés aussi être les ménages les plus fortunés, ce qui peut être surprenant au regard de l’objectif annoncé.

Face à la hausse des prix de l’essence, les distributeurs comme le gouvernement ont expliqué qu’ils ne profitaient pas d’une manne de la sorte, en raison de la baisse de la consommation induite par cette hausse. La faible élasticité-prix de l’essence constatée vient-elle bousculer ce narratif ?

Michel Ruimy : Sur les 11 000 stations-service du pays, la part de marché des grandes et moyennes surfaces (Intermarché, Système U, E. Leclerc…) dépasse celle des réseaux dits « traditionnels » (TotalEnergies, Esso, Shell, par exemple) : 60% pour l’une, 40% pour l’autre.

Si le prix des carburants à la pompe a baissé, en France, par rapport au début de l’année 2023 (début juillet, le litre de diesel s’établissait, en moyenne, à 1,67 euro contre 1,91 en janvier et le tarif du « sans-plomb 95-E10 » est repassé sous la barre de 1,80 euro au lieu de 1,86 en début d’année), les marges brutes de distribution c’est-à-dire « à la pompe » sont, en moyenne, supérieure de 60% à celle d’avant le conflit en Ukraine selon l’association de consommateurs Consommation logement et cadre de vie (CLCV).

Celles-ci correspondent à la différence entre, d’un côté, le prix hors taxe du carburant vendu aux automobilistes et, de l’autre, les cotations internationales des produits lorsqu’ils sortent des raffineries. Cette marge brute, qui revient aux distributeurs, leur sert à couvrir divers coûts (transport, stockage, manutention…). Une fois ces frais déduits, il leur reste alors la marge nette qui est un indicateur de rentabilité.

Selon la CLCV, il ressort que la marge brute mensuelle du mois de juin reste, peu ou prou, aussi élevée qu’en janvier : 25,4 cents d’euro pour le « sans-plomb 95-E5 » et 23,4 cents pour le « diesel » contre respectivement 23,8 et 25,6 cents auparavant c’est-à-dire davantage qu’entre 2018 et 2021, où elle était de l’ordre de 15 cents.

De leur côté, les professionnels de la distribution de produits pétroliers réfutent l’accusation implicite d’avoir engrangé plus de bénéfices au motif qu’il n’y a pas de suivi analytique des marges nettes de distribution. S’ils estiment qu’elles restent de l’ordre de 1c par litre, aucune donnée précise ne permet de l’étayer. Par le passé (en 2012), une note de l’Inspection générale des finances avait mentionné des gains nets de 2 c tout au plus.

Ils notent que les ménages ruraux, périurbains ou « gros rouleurs », ayant des consommations moyennes plus élevées, réduisent davantage leurs volumes consommés de carburant à la suite d’une augmentation des prix. Comment expliquer ce phénomène ?

Michel Ruimy : Au-delà d’un aspect purement utilitaire, la voiture demeure, pour beaucoup, un moyen de déplacement lié au travail. Aussi, après l’achat d’un modèle coûteux, il paraît légitime de vouloir s’en servir malgré une situation écologique plus que préoccupante.

La raison pour laquelle la consommation de carburant diminue est probablement due au fait que les augmentations de prix entraînent une utilisation plus efficace du carburant (par une combinaison d’améliorations techniques des véhicules, de styles de conduite plus économes en carburant…).

Mais, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que des différences de consommation en quantité d’essence s’observent en fonction du modèle utilisé. Les ajustements de comportement ont été particulièrement forts chez les « petits rouleurs » (ceux qui dépensent moins de 17 EUR par mois en carburant), plus enclins à changer leurs habitudes ou à reporter leurs achats. Les « gros rouleurs », qui dépensent plus de 120 EUR par mois en carburant, avec leurs consommations moyennes plus élevées liées notamment à des trajets domicile-travail plus longs, ont davantage profité des remises accordées par le gouvernement. De manière générale, plus ils en achetaient, plus ils étaient avantagés par ce système. Ils ont, quelque sorte, bénéficié d’un « prix de gros ».

A quel point peut-on estimer que la hausse des prix de l'essence a contribué positivement au budget de l'Etat ?

Michel Ruimy : La fiscalité sur les carburants est très lourde. Pour mémoire, les taxes qui pèsent le plus dans le prix des carburants sont la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), qui représente un taux fixe (40%) du prix payé à la pompe, et la TVA (20%), qui est proportionnelle au prix du carburant, TICPE comprise c’est-à-dire qu’elle est prélevée sur le produit pétrolier et sur le montant de la TICPE. C’est principalement grâce à la TVA que l’Etat profite de la hausse des prix à la pompe.

Le tarif payé à la pompe par les Français est composé du coût du pétrole brut, des frais de production, de distribution (7%), de la marge nette réalisée par le distributeur, qui n’est qu’une fraction de ces 7%, etc. Sur un prix aujourd’hui du litre « sans-plomb 95-E10 » d’environ 1,80 euro, la part de TVA compte pour environ 40 cents, et celle de TICPE, pour près de 70 cents. Autrement dit, le prix à la pompe intègre davantage de taxes que de coûts ! L’Etat gagne plus d’1 euro par litre vendu (environ 60% de taxes) là où les distributeurs ne gagnent qu’1 à 2 cents en moyenne (environ 1% du prix à la pompe).

Mais, si nous tenons compte des recettes fiscales liées à l’élévation du prix des carburants, il convient aussi de prendre en considération la baisse des entrées de TVA sur d’autres produits fiscaux. Ainsi, la hausse des recettes de TVA est compensée par deux facteurs : une moindre utilisation de l’automobile en lien avec l’augmentation du prix des carburants - et donc une moindre dépense de la part des ménages et de moindres recettes – et une diminution des recettes de l’Impôt sur les sociétés, les entreprises déduisant davantage de charges de carburant, ce qui réduit leurs bénéfices - et donc un moindre rendement de l’impôt -.

Voilà pourquoi on ne peut toucher aux taxes. Elles sont vitales pour l’équilibre du budget mais elles sont aussi « intouchables » en raison des engagements de l’Etat. Le « pacte vert », présenté récemment par la Commission européenne prévoit d’augmenter les taxes sur les énergies fossiles - et donc le pétrole - pour décourager leur utilisation au profit des énergies renouvelables et parvenir plus vite à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 d’au moins 55% par rapport au niveau de 1990. Le problème est que cet engagement, qui conduira à une hausse des taxes sur le pétrole, est, comme lui, hautement inflammable ! C’est autour du prix des carburants que le mouvement de protestation des « gilets jaunes » s’est structuré.

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