Fin de la présidence Hollande : comment la gauche a dévoilé ses limites au pouvoir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Paul Melun publie « Libérer la gauche » aux Editions du Cerf.
Paul Melun publie « Libérer la gauche » aux Editions du Cerf.
©Angelos Tzortzinis / AFP

Bonnes feuilles

Paul Melun publie « Libérer la gauche » aux Editions du Cerf. Que reste-t-il de la gauche ? De celle de Jean Ferrat et des damnés de la terre ? Aujourd'hui, Paul Melun sent la gauche de son enfance se dérober sous ses pieds, se perdre dans les limbes d'un siècle qu'elle peine à comprendre. Sa gauche est morte. Ses héritiers ont embrassé les pires instincts de l'époque et ont érigé l'individualisme en totem. De trahisons en trahisons, la gauche a perdu son âme et ses électeurs. Extrait 2/2.

Paul Melun

Paul Melun

Paul Melun est essayiste, chroniqueur, conseiller en stratégie et président de « souverains demain ! ». Il est l'auteur, avec Jérémie Cornet, de Les enfants de la déconstruction. Portrait d’une jeunesse en rupture (éd. Marie B., 2019).

Voir la bio »

La gauche au pouvoir dévoilait ses limites. Au gouvernement, comme dans les réunions du PS local, on ne tendait plus « vers l’idéal », qu’envisageait Jaurès. Le monde, la France, changeaient plus vite que les logiciels de pensée d’une gauche élimée, fatiguée, qui s’abîmait en synthèses lymphatiques et sans saveur. La doctrine sociale-démocrate et le « socialisme réformiste » n’arrivaient plus à percevoir les défis qui se dressaient devant eux.

Depuis quelques années, d’ardentes menaces civilisationnelles pèsent sur l’Occident. Celles-ci sont imperceptibles à ceux qui, à gauche comme à droite, refusent de voir le réel tel qu’il est. Par absence de vision ou par lâcheté, les élites de la social-démocratie française et européenne ont posé un voile pudique sur les signes avant-coureurs du déclin occidental. La perte des savoir-faire et de l’industrie, le recul de la démographie, la hausse irrésistible de la violence, l’effondrement du niveau scolaire et culturel ; tous ces sujets, comme une multitude d’autres, ont été sciemment ignorés par les élites de gauche et de droite ces dernières décennies.

Le quinquennat Hollande, que nous observions avec mes quelques camarades girondins, se confrontait à plusieurs signes avant-coureurs du déclin. Je m’interrogeais à l’époque sur la capacité de ce gouvernement socialiste à faire face aux prémices du grand bouleversement civilisationnel que je voyais poindre. Par une forme de déni ou de naïveté, je croyais en une forme de prise de conscience de « la gauche de gouvernement », aidée par le choc des événements.

L’année 2015 était marquée par un double phénomène, particulièrement représentatif du choc civilisationnel contemporain. La même année, une vague d’attentats meurtriers frappait le pays tandis que la crise migratoire touchait toute l’Europe. En seulement quelques mois, la France devait faire face à des attaques islamistes d’une violence inédite. Des attentats qui ont été perpétrés contre la rédaction de Charlie Hebdo à ceux du 13 novembre au Bataclan, l’année 2015 fut celle du sang qui coule dans nos rues. Comme des millions de Français, nous comprenions l’ampleur d’un phénomène jusqu’alors occulté : le poids de l’islam politique, sa cruauté. Pendant ce temps, la France, comme les autres nations européennes, devait contribuer à accueillir une vague migratoire de plus d’un million de personnes venues principalement d’Afrique et du Moyen-Orient. Cette crise migratoire était l’une des plus importantes de l’histoire contemporaine en Europe.

À la faveur de cette vague massive d’immigration, près de 5 000 djihadistes se seraient infiltrés en Europe afin d’y perpétrer des actes terroristes. En France, 500 terroristes seraient entrés via la voie migratoire. En Allemagne, plus de 200 000 crimes et délits auraient été commis par des migrants en 2015 soit une hausse de 79 % par rapport à l’année précédente.

Ces éléments, difficilement audibles pour une large partie de la gauche sonnaient comme un coup de semonce après des décennies de combats sociétaux, antiracistes ou de « régularisation des sans-papiers ». Je constatais alors l’incrédulité d’une partie de la gauche partisane devant ces faits qu’elle ne voulait ni voir, ni comprendre. Là encore, une rupture fondamentale s’opérait entre la gauche de gouvernement, et celle des manifestations et de l’opposition (Jean-Luc Mélenchon en tête). Interrogé sur la vague migratoire en cours, Bernard Cazeneuve tenait un discours de responsabilité, déclarant notamment : « Nous ne devons pas envoyer le signal que nous pouvons accueillir tout le monde, tout de suite. Ce ne serait pas responsable. » Par-delà les prises de position du gouvernement français, qui ne suivait pas Angela Merkel lorsqu’elle prônait une politique d’accueil massive des immigrés, la refonte du logiciel de pensée de la gauche sur le sujet migratoire semblait difficile.

François Hollande avait su répondre avec dignité et honneur face aux drames qui touchaient alors le pays. Les services de l’État traquaient les potentiels terroristes et Beauvau, comme l’Élysée, soutenaient activement ces démarches. En cela, la gauche de gouvernement savait se montrer responsable dans sa gestion du choc qui s’opérait.

La difficulté résidait davantage dans le choix de la ligne que le gouvernement devait emprunter. À trop vouloir réaliser une large synthèse, comme du temps où il était à la tête du PS, François Hollande liait son destin aux conflits internes et aux dissensions. En matière de sécurité, il était tiraillé entre la ligne Valls-Cazeneuve, plutôt ferme sur le sujet et celle de Benoît Hamon et des frondeurs bien plus laxiste. Pour répondre aux défis de la désindustrialisation, là aussi, sa majorité était instable, divisée entre la ligne d’Arnaud Montebourg, partisan du protectionnisme et du « Made in France » et celle d’Emmanuel Macron, libre-échangiste et attachée aux privatisations.

C’est ainsi que les lueurs d’espoirs que je percevais dans cette gauche au pouvoir, à l’instar des coups de menton du ministre Montebourg sur Arcelor Mittal à Florange ou de la proposition de déchéance de nationalité annoncée par le président Hollande à Versailles, n’ont finalement pas abouti. La tiédeur du hollandisme, son incapacité à assumer ses décisions politiques face aux parlementaires frondeurs, engendraient inexorablement sa perte, j’en étais convaincu.

Un autre que moi en était convaincu. Emmanuel Macron, ambitieux ministre de l’Économie, dont certains disaient qu’il était l’alliance de Brutus et de Rastignac, avait acquis la conviction que la mort de la social-démocratie pouvait lui servir. L’homme franchissait le Rubicon en quittant le gouvernement et s’apprêtait à se lancer dans la course à la présidentielle. À l’époque, je ne croyais guère en ses chances de succès. Je percevais dans sa trahison de François Hollande une sorte de vide politique. Cet homme était un curieux métissage, le fruit d’une droite libérale, insipide et mondialiste, et d’une gauche modérée, tiède et en perte de repères.

Quelques semaines plus tard, le visage défait de François Hollande, dans une adresse solennelle à la nation, où il indiquait ne pas se représenter, achevait de me convaincre de l’effondrement de la gauche au pouvoir.

Cet échec se confirmait aux élections présidentielles, avec la déroute historique de Benoît Hamon. L’homme des 6 % incarnait à lui tout seul une sorte de renoncement aux combats historiques de la gauche, trop rudes à porter pour les frêles épaules d’un apparatchik sans talent. La mesure phare de son programme était un revenu de base pour tous. Comme si une énième promesse de rejet du travail, par une hypothétique oisiveté, le tout saupoudré de quelques touches d’islamo-gauchisme, pouvait être de nature à souder le peuple derrière lui. Cet échec cuisant de 2017 signait non seulement l’arrêt de mort de la gauche social-démocrate, empêchée de se représenter, et la naissance de la gauche woke et urbaine de Benoît Hamon.

J’étais convaincu que si François Hollande avait eu le courage et la force de mener à bien certaines politiques au service de la souveraineté économique ou de la sécurité des Français, il aurait pu « renverser la table » comme on dit. Ce président social-démocrate, que tout le monde pensait modéré et « normal » aurait pu déjouer le sort et rendre à la France un peu de sa puissance. Je pensais à l’époque que seule une force politique dite « de gouvernement » pouvait emporter les suffrages et ainsi protéger le pays des menaces qui planaient sur lui. Je me trompais.

Emmanuel Macron était élu président et sa ligne politique s’avérait aussi vide que l’intitulé de son mouvement « En Marche ». Il fallait s’y résoudre, le peuple avait tranché.

Extrait du livre de Paul Melun, « Libérer la gauche », publié aux Editions du Cerf

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !