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Fermeture des écoles : enseignants et élèves déjà au bord de la crise de nerfs
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Education nationale

La crise du coronavirus a perturbé considérablement la vie scolaire et éducative de nos enfants, des adolescents et des étudiants. De nombreux parents sont inquiets face à la gestion de l'enseignement en ligne proposé en cette période de confinement.

Humbert Blazet

Humbert Blazet

Humbert Blazet est professeur d'Histoire Géographie en lycée général et technologique dans l'enseignement privé sous contrat, dans la région de Lyon.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico.fr : La pandémie de Covid-19 a entraîné la déscolarisation de 87% des jeunes dans le monde, soit plus de 1,5 milliards d'enfants, adolescents et étudiants. Pour autant, leur "télétravail" ne se passe pas aussi bien que celui de leurs aînés…

De plus en plus de parents expriment leur inquiétude, et parfois même leur détresse, face à la gestion de l'enseignement en ligne de leurs chères têtes blondes. Sommes-nous à l'aune d'une crise dans l'enseignement ? Quels en sont les facteurs anxiogènes ?

Pierre Duriot : Bien-sûr, les enfants et surtout les parents, ne sont pas à armes égales devant la crise et l'école à la maison. Et c’est un indéniable facteur de stress. Cela va dépendre beaucoup des ambiances éducatives qui règnent à la maison et de l'autorité que peuvent avoir les parents sur leurs enfants. Dans les foyers où l'on est dans l'impossibilité de les faire venir à table, ou de les envoyer au lit, ça va être très difficile de les mettre au travail. Après, il y a les parents avec un niveau d'instruction et une habileté à la manipulation des choses de l'informatique, qui vont largement aider l'enfant à surmonter les difficultés d'un enseignement à distance. Le niveau d'équipement du foyer va également entrer en ligne de compte. L'informatique familiale et celle dont dispose les enfants est surtout organisée autour des loisirs informatiques et internet, pas spécialement autour du travail. Et puis, il y a les parents qui, déjà, télétravaillent et ceux qui ne savent pas le faire. Même pour un adulte, s'astreindre à un télétravail alors qu'on est chez soi, ce n'est pas facile et ça l'est encore moins en présence des enfants. Alors, que dire de l'enfant, va-t-il facilement se mettre au travail alors qu'il dispose de toutes ses distractions informatiques habituelles et qu'il est en « vacances », dans sa tête ? L’ensemble de ces situations, plus ou moins appuyées, va générer stress, culpabilisation et inconfort, avec l’idée que l’année est perdue, ou presque. Et l’autre risque, qu’au retour, des habitudes de travail soient effectivement perdues. Sans compter les familles où des gens auront été touchés plus ou moins gravement par le virus.

En réalité, cela dépend aussi beaucoup de l'âge de l'enfant, de son stade de développement psycho-affectif et plus il avance en âge, moins la présence humaine du professeur est nécessaire et encore moins chez les bons élèves. Chez les petits, la mission est extrêmement difficile. Beaucoup, même à l'école, n'ont pas vraiment soif d'apprendre, n'arrivent pas à tenir la posture d'élève, alors à la maison... Plus l'enfant est petit, plus l'acte d'apprendre est lié à la relation et aux interactions entre sa personnalité et celle du professeur. Et plus on s'élève en âge, si l'élève à l'envie d'apprendre et fait preuve de courage, plus le télétravail va être possible. Jusqu'aux étudiants qui ont déjà l'habitude des MOOC et savent déjà élargir seuls le contenu de leurs cours.

Humbert Blazet : L'enseignement est en crise depuis des siècles ! Déjà en 1871 c'est la faiblesse supposée de l'enseignement français par rapport à l'enseignement allemand qui avait nourri la détermination de la IIIe République à réformer profondément l'enseignement. Le but était de fabriquer une nation solide dans la perspective de la revanche. Le résultat étant le suicide de l'Europe dans une lutte fratricide il faut peut être relativiser ces crises que l'enseignement traverse ponctuellement et leurs géniales solutions.  

Mais la crise à laquelle vous faites allusion est celle des connaissances et compétences dont la transmission (mesurée par les enquêtes PISA, notamment) semble se dégrader sensiblement. La société française, logiquement, considère que ce sont les enseignants qui sont responsables de cette dégradation. C'est sans doute un peu simpliste: les enseignants ont une part de responsabilité, mais un enseignant demeure un fonctionnaire qui applique ce qu'on lui dit sans sortir d'une virgule (théoriquement) du sacro-saint programme. Ce programme c'est la Loi et ne pas le respecter est une faute professionnelle grave, avec les conséquences que cela implique. Peut être une partie de cette crise repose dans les programmes, leurs exigences et leurs changements réguliers (trop?). Ces programmes sont fait par le Conseil Supérieur des Programmes (CSP), un conseil composé de scientifiques et de spécialistes de l'éducation et d'ancien inspecteurs d'académie, d'élus... Nommés par le ministre de l'Education nationale. Le fonctionnement et l'action du CSP face à la crise de l'école est sans doute à interroger.

Enfin, cette crise de l'éducation c'est aussi la crise de la société. Une société qui accepte mal le rapport au savoir et, par le truchement des réseaux sociaux, souhaite avoir un avis sur tout... Y compris sur la manière des profs de procéder à l'instruction des élèves ! La remise en question des enseignants par les familles aboutit à la réticence des élèves face à leur enseignement. L'explosion des structures familiales et la compétition émotionnelle pour la garde des enfants est aussi à la base de pas mal de difficultés scolaires. Les enfants sont difficiles à gérer en classe, mais la faute revient souvent en partie à la maison qui ne sait pas, n'a pas le temps, ne veut pas gérer ses enfants et leur discipline. Cela cause un ébranlement de l'ensemble de l'édifice éducatif. Cette période de confinement faut apparaître à bon nombre de parents les travers de leurs enfants, leur faible appétit pour le travail... Mais peu aussi renforcer des liens familiaux que la vie professionnelle ou le divorce avaient distendu. En fait cette période de confinement peu sans doute aboutir à un électrochoc positif pour l'éducation de nos enfants: les profs apprennent à utiliser des outils, à dématérialiser etc (ce qui n'est pas forcément un mal si on ne passe pas à un tout numérique stupide) et les parents apprennent à considérer mieux le métier des enseignants qui font face à leur "adorable" progéniture. 

Les facteurs anxiogène de cette période sont particulièrement l'absence de présence physique entre élèves et professeurs. Vous perdez pas mal d'informations sur l'élève quand vous ne le voyez pas (est-il intéressé ?, sérieux ?, bavarde-t-il ? Etc...). Les enseignants se demandent donc si le travail fait sera "bien" fait et si les élèves en retireront des fruits. On craint déjà que les élèves les plus faibles, généralement avec un arrière plan social compliqué, soient les plus disqualifiés par cette période. 

Pour les élèves le fait de ne pas voir ses camarades et de passer sa journée avec ses parents est, en soi, assez inquiétant. L'école est un lieu de sociabilisation et les téléphones ne remplacent pas la présence d'un camarade. 
Enfin les parents craignent sans doute la dégradation de la relation avec leurs enfants et le fait d'être rendu responsable de l'échec de leur enfant à la reprise. Ils découvrent ainsi une partie des craintes et angoisses des enseignants. 

Cette privation subite de l'école a fait prendre conscience, malgré les nombreuses critiques dont elle fait l'objet, de son rôle aussi bien instructif et éducatif, que social. Pour autant, les solutions d'enseignement à distance proposées par les enseignants sont très variables. Comment expliquer cette inégalité de suivi ?

Pierre Duriot : Paradoxalement, cette absence d'école va lui permettre de redorer son blason. Elle est critiquable et critiquée, souvent avec juste raison, mais elle remplit toujours une mission de service public, notamment en direction des classes populaires. Les parents vont être contents de renvoyer les petits en classe. Venir à l'école n'est pas seulement s'instruire, c'est aussi apprendre à vivre en société, à tisser des capacités relationnelles, à apprendre l'interaction sociale et la relation à l'adulte, autrement qu'avec les parents, acquérir un certain nombre de codes comportementaux et langagiers. En cela, l'école remplit encore ce rôle, même si, à mon sens, et je l'ai souvent dit, elle en fait trop sur ce chapitre, en perdant de sa vocation de transmission des savoirs.

Oui, les solutions des enseignants sont très variables et c’est logique, leurs qualités pédagogiques en classe sont également très variables, comme dans toutes les professions d’ailleurs. Au-delà de ces logiques disparités, il faut bien voir que nous sommes dans l’expérimentation. Qui aurait pu prédire qu’il nous arriverait un truc pareil ? Il est parfaitement logique de n’être pas préparé à quelque chose que personne n’a vu venir. Si en enseignement supérieur et en lycée, les pratiques étaient assez courantes, en primaire et en maternelle, il n’en était rien, personne n’était vraiment préparé et les relations informatiques entre écoles et familles se bornaient surtout à des échanges d’informations entre parents et enseignants, pas à des actions pédagogiques et encore moins de grande ampleur. Il y a bien quelques exceptions, avec un petit pan d’éducation à distance, pour des enfants malades ou en voyage, mais rien qui ne soit massifié, à destination de l’ensemble des élèves. L’école apprend ce genre de situation exceptionnelle et cela va sans doute changer les choses en la matière. D’une certaine manière, elle n’a pas si mal improvisé que cela et beaucoup de collègues s’y sont collés, mercredis, samedis et dimanches inclus.

Humbert Blazet : L'inégalité de suivi s'explique en partie par les initiatives qui précédaient la crise et qui avait été lancée par les différents enseignants à l'échelle de leur classe. Il n'est pas rare, aujourd'hui d'avoir des enseignants qui entretiennent un blog ou un site avec des éléments de cours et que les élèves doivent visiter. Une partie des enseignants s'est donc logiquement reporté sur ces supports plutôt que les différents ENT qui présentent souvent des défauts jugés comme rédhibitoires. De plus les plateformes mises en place par le ministère pouvaient assumer, selon le ministre, 7 millions de connexions simultanées. Le nombre d'élèves en France et de 12 millions (environ) et le nombre de prof 800 000. Ainsi, le premier jour les serveurs des différentes solutions (CNED) et ENT ont craqué sous le poids et quasiment rien n'était accessible. Cela a conduit un certain nombre de collègues à chercher des solutions alternatives (comme Discord, par exemple) mais cela pose des questions juridiques (RGPD). Depuis lors la situation s'est améliorée et la plupart des sites ministériels et institutionnels fonctionnent... Au prix de ralentissement et de bugs, voire de serveurs qui plantent car ils sont utilisés au delà de leurs capacités techniques. Cette inégalité de traitement des élèves est donc le fruit de la liberté pédagogique des enseignants, mais aussi des insuffisances du matériel qui ont conduit les profs à trouver des solutions alternatives (ce qui est, vous en conviendrez, pas mal pour une bande de flemmards en grève tous les mois!). En fait, dans cette histoire chacun essaye de faire au mieux avec des moyens limités. J'aimerai que la société retienne qu'une grande partie des profs essaye de transmettre des connaissances et des compétences envers et contre tout, au mépris d'un matériel défectueux, en s'équipant soi même (ordinateurs, micros, et autre matériels) ce qui, entre nous, mérite quand même plus que les quolibets et clichés véhiculés sur les profs. Le ministère, quand à lui, essaye de gérer une situation très complexe (maintenir la scolarité de 12 millions de français) avec des moyens limités. Compte tenu de la situation ils font du mieux qu'ils peuvent. La question qui se pose, celle que les citoyens devront se poser c'est: "était-il possible de faire mieux ? Comment ? Pourquoi est ce que ça n'a pas été fait ?".

En fait ce sont aux citoyens de s'investir dans les questions éducatives. On ne peut pas se plaindre de la crise de l'éducation et ne rien connaître à l'Education Nationale, véhiculer des mensonges sur ses agents, et ne jamais s'investir dans les questions éducatives : les enseignants sont des fonctionnaires qui obéissent, leur contestation et les conflits sociaux avec le ministère est toujours à leur désavantage car ils sont le bout d'une chaîne hiérarchique dont le pouvoir de nuisance est fort pour les parents et faibles pour le ministère. Preuve ? L'affaire des corrections de bac de l'année dernière montre la faiblesse des enseignants face à la machine ministérielle qui, par une rhétorique très agressive, les a complètement discrédités auprès de l'opinion publique. Ce sont donc aux parents de manifester pour l'école de leurs enfants, les profs eux sont mains liées et ne peuvent nuire qu'aux parents, ce qui n'est pas une bonne solution. En fait les inégalités de suivi et une grande partie des problèmes de l'éducation nationale en France révèlent surtout que les Français ne veulent pas jouer leur rôle de citoyen exigeant face au service public, d'acteur, et se comportent en consommateurs exigeant. C'est très bien quand on achète des compotes (et encore!) Mais l'État démocratique attend que chaque citoyen fasse son devoir de censeur et de contrôleur. Les principaux acteurs de l'amélioration des services publics ce sont les usagers qui réclament une gestion saine, intelligente, qui convient aux attentes de l'époque tout en préservant un certain nombre de valeurs. Nos concitoyens ne font, pour une part, aucun effort pour élaborer une pensée propre sur ces sujets et se contentent de répéter des éléments prémachés vendus par des partis politiques clientélistes. En fait, nos concitoyens ne sont pas des citoyens et ils doivent apprendre à regarder en face leur échec collectif sur la question des services publiques. Ce n'est ni Sarkozy, ni Hollande, ni Macron qui ont tué le service de santé : c'est l'indolence des citoyens. La réflexion vaut pour tous les services publics. 

Le nombre de décrochages scolaires était déjà très important en France, avant l'arrivée du Covid ; doit-on s'attendre à une augmentation de ce phénomène durant cette période d'école à la maison ? 

Pierre Duriot : Oui, la difficulté scolaire est importante en France, notre système n’est pas bien classé, beaucoup d’élèves sortent encore sans diplôme, ou avec des diplômes de faible valeur et nombre d’établissements sont classés sensibles et bénéficient de mesures particulières. Dans la mesure où les paramètres éducatifs familiaux et la compétence des parents entrent en jeu, les écarts vont se creuser et nous irons même jusqu’à des enfants qui n’auront rien fait du tout pendant la période de confinement, à une extrémité. Et à l’autre extrémité, certains enfants n’auront rien perdu. Il faut se replacer dans les contextes familiaux : des familles non francophones, des familles ou personne ne travaille, des familles où les parents confinés vont avoir le temps de se pencher sur le travail des enfants, des familles où les parents vont déjà télétravailler eux-mêmes, etc. L’étalement des cas de figures, des compétences et des contextes éducatifs, va contribuer à créer de ces inégalités qui sont habituellement compensées par la présence à l’école, certes de manière perfectible, mais tout de même.

Humbert Blazet : Oui. C'est sans doute inévitable, sauf au prix d'une rupture du confinement: rien ne remplace la présence dans la relation. Pédagogique. Les parents en télétravail ne peuvent pas assumer la même fonction que les profs (parce qu'ils bossent et que ce n'est pas leur domaine de spécialité !). Le décrochage est logique dans ce contexte, d'où l'importance de reprendre l'école avant les vacances d'été pour en limiter les effets par un retour dans le cadre. 

Le système de sanctions est-il encore opportun dans cette période de confinement et de stress ?

Pierre Duriot : Il ne faut pas confondre le stress des enfants et celui des parents. Le système de sanction est un vieux terrain polémique, mais au-delà des sanctions, il faut garder l’appréciation et le sens de la valeur du travail. Dire que c’est bien avec les arguments fallacieux de « ne pas brimer l’engagement de l’enfant », ou « ne pas traumatiser », ou plus simplement « ne pas décourager », ne mène qu’à la création d’illusion, quand l’enfant finit par croire que tout ce qu’il fait est bien, quel que soit l’effort fourni, parce que l’adulte lui dit que c’est bien, par principe. En toute situation, il faut garder un étalonnage du travail rendu.

Humbert Blazet : Il est largement remis en cause. L'évaluation de connaissance alors que l'élève a son cours à portée de main à la maison devient inutile.

L'évaluation sur des savoir faire et des méthodes est très longue à corriger: tous nos élèves n'ont pas Word et son mode de révision (la licence est assez chère) et un certain nombre ne savent pas taper à l'ordinateur: ils tapent plus vite sur téléphone, voire dictent à leur téléphone. Les copies qui nous arrivent sont donc très longue à corriger et à noter et l'absence de surveillance durant l'épreuve altère l'évaluation sur la mémorisation des connaissances et des méthodes. On peut, par contre, noter la présence des élèves durant les visio-conférence et la justesse de leurs interventions... Mais beaucoup d'élèves ne saisissent pas l'importance de la notation ou n'osent pas participer. Ou sont dispersés par une vidéo youtube qui tourne en fond, un jeu vidéo, etc... 

En fait les examens terminaux (E3C, baccalauréat, brevet des collèges...) seront les juges du travail. Mais les élèves se murmurent que la notation sera à l'image du bac 1968... Espérons que ce ne sera pas le cas, car ce serait je crois une faute importante du système. Là aussi les parents d'élèves devraient envoyer un message fort de refus d'un traitement trop laxiste pour les épreuves de cette année... Mais est-ce facile de dire cela quand sa fille ou son fils passe le bac, justement? 

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