Féminisme : Emma Watson frappe un grand coup mais pourra-t-elle marquer les comportements autant que les esprits ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'actrice Emma Watson a prononcé un discours remarqué à l'ONU.
L'actrice Emma Watson a prononcé un discours remarqué à l'ONU.
©Reuters

Girl power

Nommée ambassadrice pour les droits des femmes par les Nations Unies, l'actrice britannique Emma Watson a fait un long discours très remarqué ce dimanche 21 septembre pour défendre une campagne pour l'égalité hommes-femmes. Mais derrière les mots et les opérations médiatiques, les célébrités ont bien du mal à changer les mentalités.

Valérie  Gorin

Valérie Gorin

Valérie Gorin travaille au département de sociologie de Genève. Elle a travaillé dans le cadre du projet "l'information people, un oxymore ". Elle contribue de façon ponctuelle dans le cadre des cours de sociologie des récits et des sociologie de la célébrité.

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Atlantico : L'actrice Emma Watson a prononcé à la tribune de l'ONU un discours très médiatisé sur la cause des femmes. Si ses propos ont été très appréciés par certains, d’autres se sont indignés. Quel impact ce genre de discours a-t-il concrètement ? Ces engagements permettent-ils de faire changer les choses ?

Valérie Gorin : L'indignation est née du fait que certains questionnent encore le lien entre célébrités et politique. Cela engendre beaucoup de questions concernant le manque de légitimité de la part des célébrités pour traiter des sujets dits sérieux, ou en tout cas hors du champ du divertissement et hors des compétences des artistes. Ce genre de discours engendre parfois une grande attention médiatique, justement parce qu'on focalise l'attention sur la star et son immersion dans le milieu politique et humanitaire, mais très rarement sur le contenu. Concrètement, si l'on analyse la façon dont le discours d'Emma Watson est relayé par la presse occidentale, on parle surtout du fait qu'Emma Watson a parlé devant devant l'assemblée de l'ONU, mais pas réellement des réalités qu'elle a tenté d'évoquer. Or c'est justement des réalités sociales, culturelles et politiques qu'elle évoque dont il faudrait parler, critiquer, pour faire avancer les choses. Ce qui fait que ces discours ont peu d'impact car ils ont lieu dans un monde occidental qui est déjà au courant des inégalités. De plus, pour changer les mentalités, il faut des actions de longue haleine qui touchent surtout à l'éducation et au genre, et pas tellement à des coups d'éclat dans les Nations Unies.

Comment expliquer le décalage entre des résultats souvent faibles sur le terrain de ce genre de prise de position alors même que les déclarations sont souvent largement suivies et commentées ? La "forme" people tue-t-elle le fond ?

Parce qu'il faut renvoyer à la question de qui les commente et les suit. Ces événements sont des événements médiatiques occidentaux, pour les occidentaux, dans un espace politique qui se dit international mais qui est largement dominé par les Occidentaux. Dans la question du droit des femmes évoqué par Emma Watson, l'Europe et les Etats-Unis ont encore beaucoup à faire pour parvenir à l'égalité des sexes, mais les droits des femmes sont quand même largement acquis par rapport à des réalités hors occidentales. Or en faisant intervenir une star européenne, on limite justement la portée du discours.En plus de cela, la "forme" people peut ne pas avoir de légitimé pour tous, parce qu'elle passera pour non experte de la situation. Toutefois, si le discours avait été effectué par une personne experte des droits des femmes, mais inconnue sur la scène internationale, il n'est pas sûr que le discours aurait été relayé de façon aussi vaste dans la presse. On est donc dans une stratégie médiatique à double tranchant : d'un côté le risque de décrédibiliser un message parce qu'il est porté par une star du divertissement, de l'autre la nécessité d'attirer l'attention médiatique.

En quoi un discours féministe aurait-il plus d’impact s’il était prononcé par une personnalité originaire d’un pays où les droits des femmes sont limités ? Quelles sont les autres limites du discours d’Emma Watson ?

Il aurait peut-être plus d'impact s'il était porté par une femme originaire d'un pays non-occidental parce qu'il serait plus représentatif des réalités rencontrées par ces femmes. Quelle peut être le lien entre une femme blanche, anglaise, richissime et connue comme Emma Watson, libre de ses choix et de ses propos, libre de se marier avec qui elle veut, libre d'être éduquée et de choisir le métier qu'elle veut, avec les réalités de vie des femmes afghanes, somaliennes, congolaises ? Les limites du discours du Watson concernent justement les disparités entre pays riches et démocratiques et celles des pays émergents, sous le joug de régimes autocratiques, extrêmistes ou simplement dans des régions ou le simple droit à l'éducation des filles n'est pas garanti. Watson mélange différents niveaux de féminisme, d'activisme et de droits des femmes. On ne peut comparer l'égalité des salaires entre hommes et femmes, par exemple, au droit à la scolarisation des filles au Pakistan.

Quelles évolutions observent-t-on au niveau de l’activisme et de l’engagement des célébrités pour une cause ?

On remarque un changement récent et plus généralisé de "l'intrusion" des célébrités dans des espaces autrefois confinés aux politiques, experts et policy-makers. Cela fait longtemps que les Nations Unies utilisent les ambassadeurs de bonne volonté, et cela fait longtemps que les stars s'expriment pour des causes qu'elles défendent. Mais la prise de paroles a généralement lieu dans les médias, sur le terrain de crise. On a tous vu des Angelina Jolie ou des George Clooney s'exprimer depuis le Pakistan ou le Tchad, mais on ne les a pratiquement jamais vus dans des espaces comme l'assemblée générale de l'ONU. C'est une stratégie nouvelle que de les amener maintenant directement là où sont prises les décisions. Cela existe déjà depuis une décennie au Forum économique de Davos, qui a ajouté à sa liste d'intervenant des personnalités people comme Bono ou Angelina Jolie. Mais c'est nouveau pour les Nations Unies.

Les déclarations d'Emma Watson, et d'autres avant elles, ont déclenché de nombreuses critiques et des menaces qui ont quasiment recouvert le fond du message. Les people ne sont-ils pas finalement les "pires" ambassadeurs des causes qu'ils défendent ? Pourquoi dès lors sont-ils si courtisés ?

Ils sont si courtisés parce qu'au final ils sont des puissants moteurs de mobilisation. Si l'on réfléchit au choix d'Emma Watson, qui n'a jamais vraiment fait parler d'elle auparavant pour des engagements quelconques, on peut se questionner sur la crédibilité d'une jeune femme comme elle. Mais avec le choix d'une telle personnalité, on cherche justement à s'attirer l'attention d'un public blanc et jeune. N'oublions pas que beaucoup de jeunes femmes américaines ont récemment posté des images d'elles sur facebook avec des panneaux sur lesquelles elles disent ne pas se sentir concernées par le féminisme, car elles n'ont pas été violées ou frappées par leur conjoint, ou parce qu'elles ne haïssent pas les hommes. On assiste aussi à un recul ou une incompréhension du féminisme dans des pays où l'on pensait qu'il était acquis, et c'est probablement aussi en réaction à ce type de confusions que la campagne défendue par Watson est lancée. Peu importe peut-être que le message de fond soit noyé, il a au moins suscité l'attention. Et avec les critiques - positives ou négatives - qui ont été faites, il est fort probable que beaucoup de personnes sont allées voir le discours sur Internet. Cela n'aurait jamais été le cas si les médias avaient titré "les Nations Unies lancent un nouveau programme pour les droits des femmes". Le buzz sert donc aussi à l'objectif final.

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