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Facebook vit de l’économie de la publicité ciblée.
Facebook vit de l’économie de la publicité ciblée.
©Reuters

Faux-ami

Non content de collecter déjà des informations sur notre vie privée via ce que livrent nos profils, Facebook se met désormais à nous poursuivre au fil de notre navigation sur Internet pour mieux cibler ses publicités.

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Atlantico : En quoi consiste la surveillance opérée par Facebook ?

Etienne Drouard : Depuis sa création, le réseau social est conçu autour d'interactions entre ses membres – c'est le propre d'un réseau social – afin aussi de proposer des offres adaptées à leurs centres d'intérêt. Cette deuxième activité finance la première. Elle s'adresse à deux populations : les internautes qui utilisent gratuitement un réseau social pour échanger de l'information et Facebook utilise les données d'interaction des internautes pour vendre de la publicité à des entreprises. C'est un cycle aussi étroitement lié que la poule et l'œuf : les personnes discutent entre elles, ça fait venir des entreprises qui ont intérêt à pouvoir leur parler et Facebook vend aux entreprises de la publicité permettant aux personnes de pouvoir de plus en plus discuter en grand nombre. L'accès au service est gratuit. Il a des fonctionnalités de plus en plus complexes et sophistiquées.

Qu'est-ce qui a changé récemment dans les pratiques de Facebook ?

Ca n'a pas changé, ça devient simplement plus massif. Et l'autorisation donnée par les utilisateurs à l'exploitation des données dites de trafic, c'est-à-dire sur leurs interactions avec le service, est désormais plus efficace, beaucoup mieux ciblée et donc plus visible qu'avant. Je vous donne un exemple : avant, en tant qu'avocat, je pouvais voir une publicité pour des avocats parce que j'avais indiqué ma profession dans mon profil. Maintenant je peux voir des publicités pour des offres d'emploi ou des travaux potentiels dans des entreprises qui ont besoin d'un juriste. Désormais on a compris qu'un avocat pouvait être intéressé par les services d'une société qui lui permettrait de trouver des débouchés professionnels.

Depuis l'origine du réseau social, on peut, même quand on n'est pas activement connecté à son compte, mettre à jour ce compte par des données de réaction ou d'interaction qu'on exprime auprès de Facebook lors d'une navigation sur un autre site. Le bouton "J'aime" est une émanation de Facebook qui vous reconnaît comme étant l'utilisateur connecté à son compte qui va cliquer sur le bouton "J'aime" et cela va se voir et s'afficher dans votre compte Facebook. Cela fonctionne aussi longtemps que vous n'avez pas fermé votre compte Facebook sur l'ordinateur que vous êtes en train d'utiliser et purgé de votre ordinateur toutes les données d'identification que Google peut reconnaître dans son bouton "J'aime".  Donc vous êtes connectés à Facebook et chez les autres quand il y a un bouton "J'aime". C'est la même chose pour tous les comptes Google +, Instagram, etc, où tout ce qu'on appelle les plugs in de réseaux sociaux correspondent exactement à cette fonctionnalité, y compris quand vous n'êtes pas sur le site du réseau social.

Cette pratique de traçage est-elle légale ?

C'est légal sous réserve de l'information des personnes qui a été fournie lors de la création du compte. Ce service de plugs in est une vraie fonctionnalité du réseau social, il fait partie du réseau social. Il est déporté sur des sites de tiers que vous consultez. Et quand on sait chez qui vous avez cherché de l’information, on connaît déjà un peu vos centres d’intérêt, en plus on va savoir sur quelles pages précises. Facebook peut automatiser la compréhension de ce que cette page offre comme contenu. Vous êtes non seulement sur le site d’Atlantico, mais vous êtes aussi dans la rubrique "Fête de la bière à Munich" plutôt que « La France bat l’Italie 32 à 10". Donc vous êtes un lecteur de telle ou telle catégorie de services.  

Peut-on se défendre contre cette intrusion dans notre intimité au regard du droit à la protection de la vie privée ?

Il n’y a pas de contradiction avec le droit de la protection de la vie privée. Ce bouton "J’aime" est une vraie fonctionnalité du réseau social. Mais le ciblage publicitaire qu’on va pouvoir déduire de vos actions ne sert plus à faire fonctionner le bouton "J’aime". Il sert à faire fonctionner l’économie de la publicité ciblée. C’est un deuxième métier, qui finance le premier et auquel vous pouvez vous opposer : directement au moment où vous créez votre compte sur Facebook et où vous refusez l’usage publicitaire de vos données ou le partage de vos données avec des tiers –ce qui revient au même sujet -, et aussi en purgeant votre ordinateur les fichiers qui constituent vos traces connues par Facebook.

On peut légitimement se demander que fait la police, sauf quand on a laissé grand sa porte ouverte et quelqu’un entre dans le salon.

Il n’y a donc aucun recours possible contre les pratiques abusives des fournisseurs de services par Internet ?

Il est possible de se défendre grâce à la Commission des clauses abusives. Celle-ci est chargée d’établir une liste des clauses contractuelles tellement déséquilibrées entre un consommateur et un professionnel qu’elles ne doivent pas avoir le moindre effet contre le consommateur. Cette liste a été mise à jour sa liste fin 2013. Prenons par exemple la clause qui consiste pour le fournisseur d’un service par Internet à estimer que la loi du fournisseur est la seule applicable. Selon cette clause, si le consommateur veut agir contre ce fournisseur, il doit aller devant les tribunaux étrangers du pays où est établi le fournisseur. Cette clause est abusive, elle est donc réputée comme nulle, donc sans effet juridique sur le consommateur.

N’importe qui peut donc saisir son juge local. Grâce à la décision qu’a pris cette commission, le juge local sait qu’on doit considérer en droit français que ce type de clauses dans les contrats ne prive pas un consommateur français du droit de saisir son juge local en France. Et donc, lorsque ces clauses dissuadent les consommateurs d’exercer une pression, il ne faut pas qu’ils soient dissuadés puisque ces clauses-là dans leur contrat n’ont pas d’effet juridique en France.

Pour l’instant, il n’y a pas de plaintes judiciaires instruites sur ce sujet contre Facebook en France.

Quel est votre positionnement personnel sur la question en tant que juriste ?

Aujourd’hui, je constate que la manière dont les grands acteurs internationaux rédigent leurs conditions d’utilisation pour obtenir de leurs utilisateurs des données est très similaire à celle qu’utilisent les acteurs français pour faire la même chose. La différence n’est pas tant une différence de méthode juridique qu’une différence de succès économique. On peut aujourd’hui reprocher à ces gris acteurs d’être gros, mais ils ne font pas des choses d’une nature différente par rapport aux acteurs français. Ils le font de manière massive, plus large. Mais ce qu’ils nous disent dans les conditions générales d’utilisation correspond à ce qu’un français nous dit dans ses conditions générales d’utilisation.

Si on veut les poursuivre parce que sur le fond leurs contrats sont contraires au droit français, on dira en même temps que les contrats des grosses entreprises françaises sont contraires au droit français.

Donc aujourd’hui il y a davantage un délit d’obésité qu’un délit de violation de la loi.

Donc d’après vous c’est le fantasme de Big Brother qui est au centre de la question ?

Ce fantasme est tout à fait légitime : ces acteurs sont mondiaux, ils nous surveillent sur tous les sites sur lesquels nous allons lorsqu’on est encore connecté à leur compte et puis il n’y a pas beaucoup d’acteurs dans le monde qui savent faire cela.

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