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Etrange silence de la communauté académique suite aux attaques contre Alain Finkielkraut à Sciences Po : la nouvelle trahison des clercs
©ERIC FEFERBERG / AFP

Tribune

La conférence du philosophe le 23 avril à Sciences Po a failli être empêchée à cause de militants politiques antiracistes.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Coupable accoutumance
C'est la troisième fois qu'Alain Finkielkraut est spectaculairement pris à parti dans la sphère publique par des individus voulant lui interdire de faire valoir un point de vue différent du leur. La première fois, ce fut en 2016, lorsque le philosophe fut dans l'impossibilité de débattre avec les militants de Nuit Debout, place de la République. La deuxième fois, en janvier 2019, l'intellectuel a été invectivé par les participants à une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. La troisième fois, c'est mardi 23 avril, il y a à peine une semaine: des militants d'extrême-gauche ont tout fait pour empêcher la tenue d'une conférence que L'auteur de La défaite de la pensée venait prononcer à Sciences Po à l'invitation d'une association étudiante. Il faudrait bien entendu mentionner aussi les insultes régulières que subit Alain Finkielkraut ou les procès qui lui sont intentés. On a toutes les raisons de penser que notre pays, qui fut jadis la patrie des intellectuels, ne connaît plus grand chose à la liberté de l'esprit.  
Ce n'est pas une raison pour s'habituer. Ce qui s'est passé à Sciences Po devrait produire une prise de conscience, tardive mais réelle. Certes, les censeurs n'ont pas réussi à empêcher la tenue de la réunion. La direction de Sciences Po a fini par faire garantir la tenue de la conférence avec l'aide des forces de l'ordre. On ne peut s'empêcher, pour autant, d'éprouver un profond malaise face à la manière dont les choses ont tourné. 
Coupable silence
Depuis la soirée du 23 avril, on a attendu en vain une parole publique de la direction de Sciences Po. Alain Finkielkraut est un de nos grands intellectuels, un homme libre, courageux, qui n'a pas peur de parler contre les modes - la marque du vrai penseur. Le traitement qui lui a été réservé ce soir-là est indigne d'une des plus prestigieuses institutions académiques de notre pays. Les étudiants qui ont voulu l'empêcher de parler sont, pour autant que l'on puisse savoir, des étudiants de Sciences Po. On se serait attendu à ce que la direction de l'établissement non seulement condamne fortement ce qui s'était passé mais que des mesures disciplinaires soient annoncées contre les fauteurs de trouble. En restant silencieuse et inactive, l'école ne garantit en rien que de tels comportements ne se reproduiront pas. Au contraire, la mentalité de l'appeasement est toujours prise par les agresseurs comme un encouragement à récidiver. 
Un mal qui atteint les élites autant que le reste de la société
 L'épisode du 23 avril est d'autant plus grave qu'il confirme que tous ceux qui voudraient lire ce qui se passe dans notre pays selon un clivage populisme/élitisme est erroné. Depuis des semaines, on veut faire porter le chapeau de l'intolérance et de la violence à des populistes de toute sorte. Mais l'autre soir à Sciences Po, rue de l'Université, aucun populiste n'était en vue. Il ne s'est pas agi, mardi 23 avril, d'une manifestation contre la Loi Travail ou d'un rassemblement des Gilets Jaunes. 
Nous parlons de l'une des écoles où se forment les futurs responsables de l'Etat et de la vie économique française. Sciences Po est un espace académique, au sein duquel la liberté de débat, la tolérance vis-à-vis des opinions divergentes doivent être préservées à tout prix. Sommes-nous en train de laisser former de futurs cadres dirigeants qui n'ont plus que mépris pour la liberté de penser, la différence d'opinion et le droit de désaccord? Pouvons-nous prendre la responsabilité de laisser avancer vers la diplomation, comme si de rien n'était, des individus qui se comportent comme des militants staliniens ou fascistes de la pire espèce? Quel avenir préparons-nous à notre pays, ce faisant? 
Nous fêterons, à l'automne prochain, le trentième anniversaire de la Chute du Mur de Berlin. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'une génération plus tard, l'esprit de liberté qui s'était emparé de l'Europe et des Etats-Unis dans les années 1980, a pratiquement disparu. Nous nous étions réjouis de la chute du communisme; sans doute avions nous cru trop vite qu'avec l'effondrement de l'URSS et la libération de son empire, le totalitarisme de gauche était mort. Il est revenu sous de nouvelles formes. Rien ne le dit mieux que l'intolérance qui règne sur bien des campus universitaires américains où depuis quelques années, on essaie de faire taire les conservateurs comme Alain Finkielkraut. 
Parti de banlieue, le nouvel antisémitisme est maintenant au coeur de Paris
En 1989, nous avions cru que le terrible 20è siècle était complètement terminé, le retour du fascisme étant encore plus impensable que celui du communisme. Or il faudrait être aveugle, pour ne pas voir que les attaques proférées contre Alain Finkielkraut, depuis des années, sont l'expression d'un antisémitisme contemporain, avec, selon les agresseurs, une proportion variable d'antisionisme, d'islamisme et de haine des fondements de la civilisation occidentale. Lorsqu'Alain Finkielkraut avait été pris à partie en janvier dernier, le retour de la haine des Juifs était si évident que la classe politique s'était mobilisée. En revanche, depuis mardi dernier, rien ne s'est produit de tel. Sommes-nous entrés dans une forme de banalisation et d'accoutumance, très loin des promesses (grandiloquentes) d'il y a quelques semaines - le président de la République avait annoncé vouloir forger les moyens législatifs d'une condamnation de l'antisionisme ? Ceux qui aiment bien se référer, par principe, aux années 1930, se rappellent-ils qu'après les premières émotions de la communauté internationale au printemps 1933 face aux violences commises par les nazis contre les Juifs, le silence s'était progressivement installé? Toutes choses égales par ailleurs, l'événement de Sciences Po est très grave dans la mesure où, là encore, il prouve que c'est de haut en bas que notre société est progressivement gangrenée par le retour de l'antisémitisme: des "territoires perdus de la République" à la rue Saint Guillaume. Et le mal a gagné bien d'autres établissements universitaires que Sciences Po, malheureusement. La Ministre de l'Enseignement Supérieur avait, à ma connaissance, oublié de tweeter en soutien à Alain Finkielkraut; en revanche elle a mis un message, vendredi dernier, pour condamner des propos ignobles tenus vis-à-vis de Sacha Gozlan, président de l'UEJF. Mieux vaut tard que jamais. 
Oublier de préserver la liberté de débat académique c'est mettre en péril la démocratie
Il existe un lien organique entre la liberté académique et la démocratie. Aucune des deux ne peut être menacée sans que l'autre ne souffre aussi. Or, la liberté académique est aujourd'hui menacée. On n'en finit pas d'énumérer les symptômes d'une intolérance croissante et d'une tendance d'individus peu nombreux à pratiquer l'intimidation: venues des campus des universités nord-américaines, les gender studies ou les études décoloniales, par exemple, deviennent entre les mains d'universitaires trahissant leur vocation et la liberté de penser, des instruments d'intimidation intellectuelle. Un mois avant l'épisode de Sciences Po, c'est à la Sorbonne que le nouveau totalitarisme avait frappé en faisant annuler une représentation des Suppliantes d'Eschyle, dont le metteur en scène était accusé de racisme. On avait déjà pu observer la mollesse, à cette occasion, de l'autorité universitaire, prête à tous ces apaisements qui préparent des lendemains terribles. Il y a quelques mois, c'est un sociologue de l'Université de Limoges qui avait été exclu de son laboratoire "pour non-compatibilité scientifique" par des chercheurs devenus adeptes des études décoloniales. Cela fait un moment que l'on a repéré d'inquiétantes dérives communautaristes au sein de l'UNEF. 
Les circonstances de la conférence d'Alain Finkielkraut à Sciences Po permettront-elles d'accélérer une prise de conscience? On sent bien qu'un certain nombre d'universitaires sont gênés: ils trouvent le philosophe trop "à droite", trop conservateur. Ils aimeraient mieux avoir quelque'un d'autre à défendre. C'est le moment de leur rappeler la belle citation de Martin Niemöller, pasteur et opposant conservateur à Hitler: 
"Ils sont d'abord venus chercher les communistes, et je n'ai rien dit - parce que je n'étais pas communiste. 
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n'ai rien dit - parce que je n'étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n'ai rien dit - parce que je n'étais pas Juif. 
Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre".     

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