État islamique : et maintenant, l'implantation dans le Caucase et en Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ensemble de la rébellion islamiste dans le Caucase russe a officialisé son ralliement à Daech, le mois dernier.
L'ensemble de la rébellion islamiste dans le Caucase russe a officialisé son ralliement à Daech, le mois dernier.
©Reuters

Aspirateur à combattants

Alors que près de 2.000 citoyens combattraient auprès de l'Etat islamique, le mois dernier, l'ensemble de la rébellion islamiste dans le Caucase russe a officialisé son ralliement à Daech. Un nouveau terrain de chasse pour le groupe terroriste se dessine.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le mois dernier, l'un des chefs locaux de l'Emirat du Caucase, le plus important groupe djihadiste de Russie, actif dans le Caucase du Nord (Tchétchénie, Daghestan etc.) a prêté allégeance à l'Etat islamique. Il a par ailleurs décrété que la "région" qu'il gouvernait était désormais aux ordres de Daech. Peut-on aujourd'hui dire que l'Etat islamique s'est "installé" en Russie ? Quelle est la stratégie de l'EI derrière ces "allégeances" sur des terrains éloignés du Moyen-Orient ?

Alain Rodier : Comme sur les autres théâtres extérieurs à la Syrie et à l'Irak, Daech ne fait qu'accueillir les allégeances de chefs et d'activistes qui servaient auparavant sous les couleurs d' Al-Qaida "canal historique".  Dans le Caucase, il convient donc de distinguer deux entités, une dépendant du docteur Al-Zawahiri et l'autre d'Al-Baghdadi alias le calife Ibrahim.
La première est dirigée aujourd'hui Mohamed Abou Osman qui a succédé à Ali Abou Mohamed le Daghestanais tué par les forces de sécurité russes (qui traquent les rebelles "jusque dans les chiottes" comme le déclarait élégamment Vladimir Poutine) en avril dernier. Cette entité qui a été fondée en 2007 -donc bien avant la création de Daech- porte le nom qui peut tromper d' "Emirat Islamique du Caucase" (EIC). Ses chefs se font tuer les uns après les autres avec une régularité consternante.
Le deuxième qui a fait allégeance à l'EI serait emmenée par Roustan Asilderov alias Abou Mohamed al Qadari (ou Kadarsky) , l'ancien émir de l'EIC pour le Daghestan. Il aurait été rejoint par une figure de la rébellion caucasienne, Aslan Byututayev alias l'émir Khamzat commandant la région de Tchétchénie pour l'EIC, et surtout, responsable de nombreux attentats suicide dont ceux de Moscou en 2010 et 2011 et de Grozni de 2014. Selon la déclaration d'allégeance qui a été acceptée par le porte-parole de l'EI, Abou Mohamed al Adani le 23 juin, tous les militants de l'EIC pour la Tchétchénie, le Daghestan, l'Ingouchie et la Karbadino-Balkarie se sont rangés du côté de Daech. Cette déclaration a été condamnée par les leaders de l'EIC mais aussi par Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui joue un peu le rôle des "Affaires étrangère" au sein d'Al-Qaida "canal historique". Nous nous retrouvons un peu dans le même cas de figure qu'en Syrie où le Front Al-Nosra (la branche armée d'Al-Qaida) s'oppose frontalement à l'EI (les combats ne sont pas vraiment directs mais majoritairement via des attentats et des exécutions médiatisées).

Aux revendications islamistes des nombreux groupes salafistes présents dans cette région russe, se mêlent parfois des considérations ethniques et nationalistes issues de la diversité des peuples locaux (Tchétchènes, Ingouches ...). La tradition d'indépendance des combattants les rend moins enclins à être totalement intégrés dans la nébuleuse djihadiste internationale. Qu'en est-il aujourd'hui et les promesses de l'Etat islamique y changent-elles quelque chose ?

La rébellion dans le Caucase a toujours été très morcelée en fonction de réalités ethniques et régionales. Le commandement central de l'EIC n'a toujours fait qu'envoyer des directives très générales laissant les chefs locaux agir à leur guise. En effet, il ne bénéficie d'aucun moyen de rétorsion ne fournissant aucune aide à ces groupes sur le terrain. Son souci premier consiste à échapper aux commandos russes et aux milices spéciales du très festif président tchétchène Ramzan Kadirov, qui agissent avec des succès certains bien au delà des frontières.
L'influence directe d'Al-Baghdadi risque donc d'être insignifiante mais les groupes utilisant son label vont en profiter pour se faire un peu de publicité. En fin de compte, Daech est plus "vendeur" qu'Al-Qaida "canal historique" qui, par exemple, a été responsable des attentats dirigés contre Charlie Hebdo (via AQPA) mais dont on parle beaucoup moins que de l'EI.

Les djihadistes caucasiens ont mené, et continuent de mener, des attentats très meurtriers dans la région et dans les grandes villes russes. L'arrivée de Daech fait-elle craindre de nouvelles attaques ? Comment le gouvernement russe réagira-t-il ?

La capacité de nuisance des mouvements rebelles caucasiens a toujours été élevée. Par exemple, les fameuses "veuves noires" ont défrayé la chronique nécrologique. L'arrivée de Daech dans le paysage n'augmente pas le risque. Seules les signatures des prochains attentats seront intéressantes à décrypter afin de savoir qui prend l'avantage entre Al-Qaida "canal historique" et l'Etat Islamique. Mais je ne crois pas en une recrudescence des attentats dans la mesure où les moyens des rebelles ne sont pas augmentés.
Par contre, les autorités craignent, comme en Europe, le retour des volontaires servant sur le front syro-irakien, aussi bien dans les rangs de Daech que dans ceux d'Al-Nosra. En effet, 500 Ouzbeks, 360 Turkmènes, 200 Tadjiks, 100 Kirghizes et un nombre indéterminé d'Ouzbeks serviraient en Syrie. Il ne faut pas oublier les Ouzbeks membres du Mouvement Islamique d'Ouzbekistan (MIO) qui combattent aux côtés d'Al-Qaida en Afghanistan et au Pakistan. Certains auraient rejoint la "province Khorasan", une nouvelle entité créée par l'EI dans la zone.
Cette crainte de Moscou permet de comprendre pourquoi la Russie soutient les régimes en place à Damas, à Bagdad et dans une moindre mesure à Islamabad : ces pays constituent des abcès de fixation qui permettent de mener la guerre contre les radicaux islamistes hors de la mère patrie. Le but du président Poutine ne consiste pas à empêcher les volontaires caucasiens de partir se faire trouer la peau à l'extérieur mais à empêcher qu'ils ne reviennent créer des désordres à domicile.

L'implantation de l'Etat islamique sur un nouveau terrain donne l'impression que l'étau se resserre autour de l'Europe : Irak, Libye, Russie. Doit-on craindre la multiplication des foyers salafistes ? Quels risques pour l'Europe ?

Comme je le disais auparavant, il n'y a pas réellement de nouveauté. Les groupes salafistes-djihadistes existaient bien avant l'arrivée de Daech. Ceux qui lui font allégeance ne sont que des transfuges qui espèrent bénéficier d'une augmentation des moyens logistiques et humains. En dehors de la Libye et, dans une moindre mesure, de Boko Haram, ce n'est pas encore le cas. En effet, Daech concentre actuellement tous ses efforts sur la consolidation de son "Etat" situé à cheval sur le Syrie et l'Irak et ne peut dépêcher ailleurs des aides significatives.
Il se passe aujourd'hui un phénomène psychologique inquiétant dans le monde occidental : entraîné par l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie qui se sont mis discrètement d'accord (pour une fois), Al-Qaida paraît "moins pire" que l'EI. L'objectif est vraisemblablement, au final, d'entamer dans les années qui viennent, des négociations avec un acteur "qui compte". Or, l'objectif d'Al-Qaida est le même que celui de l'EI : établir un califat mondial, même si les modalités pour y parvenir sont actuellement différentes. 

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