Et si la suppression des billets de 500 euros préparait la disparition de toutes les autres coupures en euros ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Et si la suppression des billets de 500 euros préparait la disparition de toutes les autres coupures en euros ?
©Capture

L'édito de Jean-Marc Sylvestre

La disparition des billets de 500 euros, pour limiter les risques de fraudes, préfigure aussi la disparition de toutes les coupures de plus de 20 euros, remplacées par des monnaies digitales.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Ce n’est ni un fantasme, ni de la science-fiction, mais bien un projet qui a été proposé à la Banque centrale européenne, formulé au départ par certains gouvernements de la zone euro et soutenu par les grandes banques commerciales qui auraient tout intérêt à voir disparaître la monnaie fiduciaire. Au profit dune monnaie virtuelle ou digitale. Les outils existent. La volonté politique aussi.

La disparition des billets de banque préfigurerait la grande mutation des moyens de paiement, et surtout la guerre qui se prépare entre les banques, les opérateurs de téléphone et les réseaux sociaux pour en assurer le contrôle et la gestion.

La disparition des billets de 500 euros décidée et discrètement annoncée mercredi dernier par la BCE n’a pas créé d’émotion particulière. Il faut dire que ceux qui utilisent des billets de 500 euros sont assez minoritaires en Europe. On les voyait mal manifester à Nuit Debout place de la République pour défendre leur liberté de payer. Cela étant, des billets de 500 euros, il y en a quand même plus de 600 millions en circulation en Europe et ce n’est pas un hasard. Comme on est 200 millions d’Européens. En théorie, chacun devrait en posséder en moyenne trois exemplaires. Cela veut dire que beaucoup n'en ont pas, et ceux qui en ont en ont beaucoup et les cachent.

En fait, la BCE a annoncé de façon très prudente qu'elle allait mettre fin à la production et à l'émission des billets de 500 euros, parce que "cette coupure peut faciliter les activités illicites". Le conseil des gouverneurs de l'institution monétaire "a décidé d'arrêter de manière permanente la production de billets de 500 euros" et l'émission, c'est-à- dire la distribution de cette coupure à partir des stocks restants, "sera arrêtée aux alentours de fin 2018", selon la BCE dans son communiqué.

Cette décision est très importante. Officiellement, elle est donc justifiée par le fait que ces grosses coupures favoriseraient le travail au noir, la fraude fiscale et la rémunération des trafics en tout genre (commerce des armes, de la drogue, paiement des commissions occultes et financement de la corruption)C’est sans doute vrai, quoique les gouvernements ont déjà pris toute une série de mesures pour contrôler, plafonner, et même interdire l’usage du cash dès que les transactions deviennent importantes.

En France, par exemple, depuis le 1er septembre 2015, les transactions en espèces sont plafonnées à 1000 euros (2 fois 500 euros) pour les résidents et à 10 000 euros pour les non-résidents. Ajoutons que les retraits d’espèces sont désormais limités à 300 euros par jour. Aucun DAB ne distribue d’ailleurs plus de coupures de 500 euros.

La France est l'un des pays les plus sévères de la zone euro. Alors que 60% des transactions se font en espèces, 80% des transactions en espèces portent sur des montants inférieurs à 20 euros.

Dans ces conditions, le paiement en espèces et en grosses coupures est sans doute utilisé par quelques voyous, trafiquants ou bandits de haut vol, oui, mais l’essentiel des paiements en espèces sont effectués dans la vie quotidienne par des petites gens pour de petits montants.

La France a été l'un des pays les plus demandeurs d’une règlementation sur la liquidité, non pas parce qu’elle est particulièrement impactée par des pratiques illicites, mais plutôt pour des raisons politiques.

S’attaquer aux grosses coupures, c’est comme s’attaquer aux grosses fortunes. Désigner la finance comme adversaire, c’est souvent bien vu. Démagogique. Inutile. Mais bien vu, politiquement.

Les pays de l'Europe du sud, l’Italie, l'Espagne, le Portugal, Chypre, la Grèce sont dans la même position que la France. Plutôt demandeurs de contrôles et si ces contrôles peuvent venir de Bruxelles ou de Francfort, c’est tout bénéfice. Si l’opinion publique approuve, on fera dire qu’on est derrière la régulation. Si l’opinion grogne, on accusera Bruxelles. Comme toujours.

Le projet de supprimer le billet de 500 euros a germé du côté de la Banque de France et de la Banque d’Italie dès la mise en circulation des euros en l’an 2000. La France en a d’ailleurs mis très peu en circulation. Quant à l’Italie, elle n’en a fait imprimer aucun. Tous ceux qui circulent dans la péninsule viennent d’ailleurs.

La plus grosse des coupures en euro avait été surnommée par les banquiers suisses "le Ben Laden" parce qu’elle sert beaucoup aux exilés fiscaux, à passer des montants importants dans très peu de place. Ce que faisait Ben Laden quand il venait s’approvisionner à Genève pour payer ses soldats de Dieu. L’Etat islamique fait la même chose aujourd’hui dans la gestion de son budget. Il se fait payer le pétrole qu’il vend en dollars et en euros, et verse le salaire de ses mercenaires en espèces (environ 500 euros par mois).

Donc l'idée ne date pas d’hier et si la décision n’a pas été prise plus tôt, c’est parce que les pays de l'Europe du nord et l'Allemagne en particulier s’y étaient opposés. En Allemagne, la plupart des transactions s’effectuent en espèces. Les Allemands sont très attachés à ce type de paiement qui protège leur vie privée. Deux dictatures (le régime nazi et le système communiste totalitaire) leur ont appris la nécessité de se protéger avec des monnaies fiduciaires. Des billets et des pièces, de l’or et des métaux précieux, tout cela se cache, se thésaurise et constitue une garantie de liberté et une assurance contre tout risque.

Si la BCE a obtenu le feu vert de la Bundesbank, c’est que l’Allemagne redoute que l'afflux des refugiés s’empare de ce cash et dérègle encore plus l’économie allemande.

Mais il y a une autre raison qui a, semble-t-il, poussé la BCE à prendre la décision : c’est la pression des banquiers de tous les pays. Les banquiers n’aiment pas les grosses coupures. Ça leur pose des problèmes de stockage, de sécurité et d’assurance. Ils ne peuvent pas se protéger contre les risques d’attaques des salles de coffres, ils ne peuvent pas s’assurer contre le blanchiment.

Or, toute opération de blanchiment passe à un moment ou à un autre par le guichet de la banque ou le DAB (distributeur).

Et puis il y a une autre raison : les banquiers ne peuvent pas percevoir de commissions sur de l'argent liquide qui circule dans tous les sens. Alors que sur les transactions digitales (les virements, les opérations sur cartes et même sur la monnaie virtuelle) ils peuvent se rémunérer. En un clic et un pourcentage.

Pour toutes ces raisons, il existe donc des rapports savants qui ont été écrits sur l’évolution des moyens de paiements et des projets pour à terme, éliminer toute manipulation d’espèces.

Pourquoi conserver des billets de 200, 100, 50 et 20 euros, alors qu'on pourrait très bien et en toute sécurité effectuer les transactions par des moyens digitaux. Sous le contrôle des banquiers, bien sûr ! Les banquiers européens ont comme une aversion au cash et cette aversion n’est évidemment pas désintéressée, loin de là.

Le cash sent mauvais alors que la monnaie virtuelle sent bon la commission bancaire.

Derrière ce débat se cache un enjeu encore plus grand : celui des moyens de contrôle des instruments de paiement dans le monde. Le passage à la monnaie virtuelle ou digitale, forme moderne de la monnaie scripturale, ne pose aucun problème technique. L’inconnu est de savoir quels acteurs seront aux commandes du système : les banquiers dont c’est le métier, les grands réseaux sociaux comme Facebook ou Google qui s’essaient déjà à lancer des monnaies, ou les opérateurs de téléphonie qui maîtrisent le contact avec le client et qui sont parfaitement capables de gérer un compte en banque à partir d’un smartphone.

Les Américains sont complètement opposés à cette évolution, mais ils ne sont pas contre le fait que les Européens disparaissent du marché de la liquidité. Ils conserveraient donc avec le dollar le monopole mondial des paiements en espèce. D’autant qu’avec leur puissance digitale, les Facebook, Google et Microsoft, ils ont plus d’un œil sur l’argent virtuel du monde entier. Quelle aubaine ! Quelle partie de poker en perspective pour les banquiers de Wall Street. Quelle erreur pour les Européens.

Parce que le problème n’est pas seulement technique ou économique, il est évidemment politique. Si on fait disparaître le cash des transactions entre particuliers ou entre n’importe quel acteur de la sphère économique, la part de "secret" qui protège la vie privée et préserve la liberté individuelle aura encore reculé.

L'enjeu est considérable. Comme dans les questions de sécurité, si les démocraties veulent se prémunir des risques de fraudes fiscales ou contrôler toutes les possibilités d’activités illicites en interdisant complètement les transactions en espèces, il leur faudra assumer le fait que des pans entiers de la liberté individuelle ne pourront plus s’exercer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !