Et pour vous Luc Ferry, s’il n’y avait qu’une idée à retenir de 2014, ce serait laquelle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le PS et son virage idéologique
Le PS et son virage idéologique
©Reuters

Double révolution

Pour le philosophe et ancien ministre de l'Education nationale, l'année 2014 a été marquée par une double rupture : le PS a opéré un virage idéologique salutaire, et l'Eglise catholique, de son côté, est revenue au message originel des évangiles.

Luc Ferry

Luc Ferry

Luc Ferry, philosophe et homme politique français, a été ministre de la Jeunesse, de l’Éducation et de la Recherche en 2002, dans le gouvernement Raffarin. Il est président délégué du conseil d'analyse de la société depuis 2004.

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Atlantico : Quelle idée retenez-vous de 2014 ?

Luc Ferry : Je retiens de cette année une double rupture : une rupture au sein du Parti socialiste, tout d’abord. La gauche archaïque, dont les conceptions archéo-keynésiennes en économie consistent à prôner une  politique de la demande, a explosé en vol, elle n’a plus voix au chapitre. Je salue le tournant courageux et lucide de M. Valls et E. Macron vers une politique de l’offre. Ils ouvrent  des perspectives intéressantes pour le débat droite-gauche. Contrairement à ce qu’on entend partout, il ne s’agit en rien d’une reddition de la social-démocratie à la droite, mais pour la première fois dans l’histoire du PS, d’un progrès dans la lucidité, qui consiste à reconnaître qu’avant de redistribuer et de partager, il faut produire. Comme disait Aristote, pour être  généreux il vaut mieux  être riche. Le débat droite-gauche n’est pas anéanti pour autant, tout  au contraire, il est  enfin élevé au "bon niveau",  c’est à dire au niveau politique et non économique : il faut enfin admettre que les frondeurs ont  tort quand ils plaident pour une autre voie que la politique de l’offre. Mais sur la politique, sur la question de l’égalité, de l’équité et la redistribution,  la possibilité d’accéder à un vrai débat droite-gauche s’ouvre enfin. Malheureusement le retard accumulé depuis deux ans par F. Hollande est dramatique. Très tard, c’est trop tard,  et il n’y aura pas d’effets bénéfiques du changement de cap d’ici 2017. Une deuxième rupture m’enchante, tout à fait ailleurs, au sein du Vatican. Par-delà même sa profondeur, le discours du pape  est aussi audacieux que drôle. Il faut tout de même une bonne dose d’humour pour dénoncer parmi les quinze maladies qui menacent la Curie, la "pétrification mentale et spirituelle", la "schizophrénie existentielle", et plus comique encore, les "têtes d’enterrement" et les "figures lugubres" des cardinaux ! Sous la plume d’un pape, c’est tout simplement épatant ! Je ne suis pas croyant, mais je trouve que le pape François est sans nul doute  le chef d’Etat le plus remarquable  de l’année 2014.

L’année 2014 est donc un "bon cru" ?

Bah oui, finalement.  Mon seul  vrai regret porte sur le retard accumulé par Hollande, sur le fait que le tournant opéré n’est pas suffisant, pas assez audacieux  pour fournir des résultats. Néanmoins le changement de cap va dans le bon sens, et il va profondément modifier la nature du débat politique. Dans un autre registre, la rupture du pape François avec  Benoît XVI et Jean-Paul II, toute révérence gardée, envoie un message extrêmement intéressant au 1,2 milliard de catholiques du monde, comme aux non croyants dont je fais partie. Ses propos sur les homosexuels, sur le fait qu’il n’est pas habilité à juger autrui, rompent de manière radicale avec la théologie morale de ses prédécesseurs, qui eux étaient adorés  par la frange la plus conservatrice des catholiques. Contrairement aux commentaires habituels, un peu débiles, le message du pape François n’est pas "moderniste". Il marque plutôt  un retour  au message  d’amour qui est à l’origine celui du Christ. Pour ces deux  raisons,  je suis finalement assez optimiste par rapport à la  dépression généralisée qui sévit en  France.

S’il fallait synthétiser, 2014 marquerait donc un retour à l’essence du socialisme français et de l’Eglise de Rome ?

Pour le pape, oui : il est mû par un retour aux origines. Il veut  réhabiliter un des messages  les plus profonds du "Sermon sur la montagne" : le Christ y déclare haut et fort à ceux qui le suivent, mais aussi aux juifs orthodoxes – les pharisiens et les saducéens – qu’il n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour la remplir. Or qu’est-ce qui remplit la loi ? L’amour. Il n’est nul besoin d’imposer une loi pour qu’une mère donne à manger à son fils quand il a faim, le prenne dans ses bras quand il pleure ou le couvre quand il a froid, car l’amour y pourvoit. En ce sens, le pape François revient à la philosophie fondamentale des évangiles, qui est celle de l’amour et de la charité. Le Parti socialiste, quant à lui, ne revient pas aux origines. Il progresse, lentement certes, mais quand même, dans la lucidité, pour enfin se rapprocher des partis sociaux-démocrates européens. Le PS accomplit ce que le "pape" de la social-démocratie allemande, Eduard Bernstein, demandait déjà dans les années 1900 en  parlant de la social-démocratie : "qu’elle ose enfin paraître ce qu’elle est", à savoir, non pas une version édulcorée du marxisme, mais une pensée de gauche  enfin démocratique et  intelligente.

Et la droite, où se situe-t-elle aujourd’hui ?

La droite est en grande difficulté. Elle va gagner les élections en 2017, mais sans convaincre, tout simplement parce que la gauche les perdra.  Au sein de l’UMP,  il y a  trois courants difficilement conciliables. D’abord une droite libérale, humaniste, "schumpetérienne", favorable à une politique de l’offre, de réduction des déficits publics, et pro-européenne. Elle est désormais incarnée par A. Juppé, et susceptible de s’allier avec le Centre. Elle pourrait même, théoriquement, s’allier avec la social-démocratie que je viens de décrire. Ensuite, une droite souverainiste, eurosceptique et keynésienne, qui n’est pas hostile aux déficits publics, et qui est bien représentée par quelqu’un comme H.Guaino.  Et enfin une droite "Manif pour Tous", naturaliste, organiciste, qui pense que le "corps" social doit être administré par ce que Saint Thomas appelait "la loi naturelle". Voilà donc  trois droites extrêmement divergentes entre elles. Quand A. Juppé annonce qu’il n’abrogera pas la loi Taubira et qu’il n’est pas défavorable à l’adoption par des couples homosexuels, il  a raison et je le soutiens,  mais il perd les voix de  la Manif pour Tous. Entre la droite libérale et la droite souverainiste, on voit bien aussi que l’opposition est radicale sur les questions européennes et économiques. C’est le talent de Nicolas Sarkozy, au prix de quelques grandes incohérences idéologiques,  que de s’adresser aux trois. C’est pour cela que, malgré tout, il est le leader incontestable de l’UMP.

Comment réagissez-vous au discours selon lequel l’indifférenciation de l’UMP et du PS favorise la montée en puissance du FN ?

C’est une ânerie de plus. Même s’ils ne s’opposent plus radicalement  sur le plan économique, PS et UMP peuvent  et doivent  s’opposer politiquement. Il est tout de même incroyable que beaucoup, notamment à gauche, ne comprennent pas que c’est sur le plan politique, sur la question de l’équité,  que l’opposition doit avoir lieu. Ce qui favorise la montée en puissance du FN, c’est non seulement le fait que les gouvernements successifs n’ont pas réussi à résoudre le problème du chômage, mais surtout le fait  que dans le contexte de la mondialisation,  le retour au "cocon national" est extrêmement tentant. Il faut bien voir que la solidarité nationale, par définition, ne se joue pas au niveau européen ou mondial : les budgets de la santé, de l’éducation ou de la protection sociale, sont exclusivement  français. L’argument des souverainistes, c’est que dans le contexte de la mondialisation, l’Europe ne nous protège plus.  L’argument est fallacieux mais néanmoins très parlant. Le paradoxe est clair : la plupart des arguments que M.Le Pen ou J-L Mélenchon opposent à l’Union européenne sont hélas justes. Sur l’euro, par exemple, ils ont raison sur un point : on n’a jamais vu une monnaie exister longtemps sans un souverain unifié. Nous sommes 18 dans la zone euro, sans harmonisation fiscale ni politique monétaire. Ils ont raison de souligner que cette situation est aberrante, mais la conclusion qu’ils en tirent est absurde. La vérité c’est qu’il ne faut pas moins d’Europe, mais plus d’Europe unifiée. Le problème, c’est qu’il est très difficile de faire comprendre au grand public  que des conclusions sont mauvaises quand  des arguments sont bons...

Propos recueillis par Gilles Boutin

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