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Des manifestants mobilisés à l'appel des syndicats GEW et Verdi, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023.
Des manifestants mobilisés à l'appel des syndicats GEW et Verdi, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023.
©John MACDOUGALL / AFP

Dialogue social

Les agents du secteur public allemand ont trouvé un accord salarial avec leurs employeurs. 2,5 millions d'agents sont concernés. Ces augmentations doivent permettre de compenser l’inflation.

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin est Membre du Bureau National du Mouvement Européen France, Président du Mouvement Européen Marne.
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Atlantico : L’Allemagne a signé un mega accord salarial pour sa fonction publique, en quoi consiste-t-il ? Comment le gouvernement et les partenaires sociaux ont-ils réussi à se mettre d’accord ?

Dimitri Oudin : Les 2 millions et demi d’agents du secteur public recevront chacun une enveloppe de 3 000 euros, nets d’impôts, versés graduellement jusqu’en début d’année 2024. Une fois cette première enveloppe versée, ils verront ensuite leur salaire augmenté de 5,5%, avec un minima d’augmentation garanti d’environ 300 €. 

Sur le papier, le résultat de l’accord est spectaculaire. Il faut néanmoins le tempérer, en ce que le taux annuel d’inflation en Allemagne a été très élevé sur cette dernière année, et oscille entre 8 et 9% depuis début 2023. Ce qui, à titre d’exemple, est en moyenne de deux points supérieurs à ce que connaît la France depuis un an ; la France ayant elle-même mis en place une augmentation à 3,5% du point d’indice des plus de cinq millions d’agents du service public et ce, dès l’été dernier. Autrement dit, les mécanismes de protection face à l’inflation se sont exprimés de manière différente entre nos deux pays, et pas uniquement sur le salaire de leurs agents publics. 

Du côté allemand, l’aboutissement à cet accord n’a pas été un long fleuve tranquille, puisqu’ila fait l’objet de quatre rounds de négociations, sur plusieurs semaines, et avec la menace d’une grève générale illimitée. Et que stricto sensu, il reste légèrement en deçà des revendications initiales des syndicats, même s’il peut leur paraître très satisfaisant. D’ailleurs, l’un des syndicats les plus actifs, Ver.di, demandait certes une hausse de 10,5% de salaires (ce que l’accord satisfait), mais un plancher de revenu supplémentaire supérieur aux quelques 300 euros obtenus. La grève est donc suspendue, mais l’accord n’a pas encore été entériné par la base syndicale, et devrait l’être d’ici la mi-mai.

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A quel point c’est la culture du dialogue social et du compromis, spécifique notamment à l’Allemagne, qui ont permis cette réussite ?

C’est peut-être aussi tout le paradoxe qui s’exprime en effet dans cette négociation. La série de grèves qui a touché l’Allemagne a été dure. Son ampleur n’est sûrement pas inédite. Mais elle est exceptionnelle, et parmi les plus importantes et les plus étendues depuis la Réunification. La journée du lundi 27 mars a littéralement mis le pays à l’arrêt dans le domaine des transports (où les négociations sont toujours en cours). Le 8 mars, c’étaient les personnels de la petite enfance. Et ainsi de suite pour chaque secteur touché. 

Mais c’est précisément parce que la culture du compromis prime traditionnellement sur toute conflictualisation du dialogue social, que l’ampleur de ces grèves est considérée comme exceptionnelle en Allemagne, alors qu’elle serait presque, en exagérant un peu, « habituelle » en France. C’est pour cela qu’elle a marqué les esprits. Elle a ainsi contribué à un rapport de force favorable aux syndicats de travailleurs, en leur ouvrant une fenêtre d’opportunité pour obtenir une partie non négligeable de leurs revendications. 

Il ne faut néanmoins pas idéaliser non plus le mode de concertation allemand, qui se tend de plus en plus, avec des grèves de plus en plus fréquentes depuis le milieu des années 2000 et les lois « Hartz» de réforme du marché travail, vues comme un tournant libéral du gouvernement social-démocrate de l’époque. 

De plus, l’Allemagne se trouve, de manière générale, face à un manque de main d’œuvre dans un certain nombre de secteurs. Ceci met nécessairement les syndicats de travailleurs en position favorable, et peut les inciter à délaisser quelque peu cette culture traditionnelle du compromis

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Comment expliquer une telle dichotomie entre la France et l’Allemagne en matière de démocratie sociale ?

La France et l’Allemagne sont l’archétype de deux modèles sociaux européens distincts, où la place du dialogue social, et la manière dont il s’exprime, sont par conséquent différents, même s’il y a des analogies en termes de dynamique de dialogue. 

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la fédération des aéroports allemands a fustigé l’attitude des syndicats qui auraient adopté un modus operandi « à la française » en lançant des grèves d’une telle ampleur. 

La place des syndicats est néanmoins différente dans le processus décisionnel. Et il faut le dire, leur représentativité aussi. 20% des travailleurs allemands sont syndiqués, soit presque trois fois plus qu’en France. Il y a cependant une érosion de ces adhésions des deux côtés du Rhin, et une remise en question, à des échelons divers certes, de leur légitimité. Et cette érosion peut aussi expliquer pourquoi le mode opératoire des syndicats allemands converge de plus en plus vers celui des Français.

Il y a aussi une différence dans le mode de concertation, où l’Etat français, par essence très centralisé, se montre beaucoup plus interventionniste que l’Etat fédéral allemand. Le rapport de force s’établit donc directement entre employeurs et représentants d’employés, très fortement structurés par branches, et confédérations. 

En l’espèce, s’agissant des agents du public, la négociation s’est donc faite entre syndicats, et l’ensemble des représentants des employeurs publics. C’est-à-dire non seulement l’Etat, mais aussi les communes et les entreprises publiques. Ce qui rend l’accord négocié d’autant plus fort et légitime. 

Là où, en France, l’augmentation du point d’indices des fonctionnaires a été décidée par l’Etat central pour l’ensemble des fonctions publiques, dont les autres employeurs tels que les collectivités territoriales qui ont été à l’écart du processus décisionnel (avec certes des mécanismes compensatoires).

La France pourrait-elle utilement s’inspirer ? Dans quelles mesures ?

A mon sens, il y a deux leçons à tirer de cet exemple allemand :

1) L’été dernier le gouvernement allemand craignait déjà des mouvements sociaux suite à l’inflation, en raison de tentatives d’agitations par les partis extrêmes, de droite (AfD) comme degauche (die Linke). Il n’en a en fait rien été, parce que ce sont les syndicats qui sontlégitimes à s’emparer de ces questions, et qu’il existe une déconnexion entre les enjeux syndicaux et le jeu politique partisan.Je crois que nous pourrions nous en inspirer en France…

2) Bien que des désaccords profonds aient émergé sur la réforme des retraites entre les syndicats et le gouvernement français, ce dernier a beaucoup insisté sur le rôle primordial des syndicats dans la gestion du mouvement social, afin que celui-ci évite de dégénérer. C’est aussi une leçon à retenir de l’exemple allemand, où les corps intermédiaires sont essentiels dans le processus décisionnel, afin d’éviter une trop grande verticalité et une trop grande centralité du pouvoir.

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