Et maintenant la viande rouge cancérigène… quand les études scientifiques (et pas les aliments) sont à l’origine d’une vraie maladie<!-- --> | Atlantico.fr
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Manger trop de viande rouge serait cancérigène.
Manger trop de viande rouge serait cancérigène.
©Reuters

C'est nouveau, ça vient de sortir

Végétarien, végétalien, kale, quinoa… tous ces mots absents du vocabulaire courant il y a une dizaine d'années sont aujourd'hui connus de tous et objets d'adoration ou de haine. Mais, au-delà du débat, s'est instauré un vrai problème : celui de ceux qui sont devenus malades de la nourriture saine.

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

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Atlantico : Un rapport de l'OMS tend à prouver qu'il y aurait un lien entre cancer et consommation de viande rouge. Sa consommation est classée comme "probablement cancérogène pour l’homme" et celle de produits carnés transformés (charcuterie, jambon, saucisses, viande en conserve...) a été classée comme "cancérogène" pour l’homme". Quel est l'impact réel de ces études sur le consommateur ? 

Arnaud Cocaul : A force d'avoir des informations répétées dans la presse, cela a forcément une incidence. Cela génère une interrogation sur ce que l'on va manger. Il y a aussi le bouche à oreille, qui va très vite. Déjà aujourd'hui, en fin de consultation des patients m'ont interrogé sur ce sujet. Ils sont conscients qu'il y a des enjeux qui les dépassent. Il y a des interrogations auxquelles il n'y a pas toujours forcément de réponse d'ailleurs, parce que tout va très vite. Des études sortent régulièrement avec parfois des résultats qui peuvent apparaître comme contradictoires et qui font que les gens sont dans une complète confusion.

Du fait des crises sanitaires, les gens sont persuadés qu'on nous ment. L'industrie agroalimentaire a menti pendant longtemps. Il faut donc absolument qu'il y ait une transparence. Et je pense que plus on ira vers cette transparence et plus elle se fera.

Si les enquêtes sortent par le biais de la presse et si l'industrie agroalimentaire ne réagit pas rapidement, il y aura des boycotts. Les gens iront vers d'autres marques et vers d'autres tendances. Il suffit de regarder le développement du régime végétarien, le sans gluten, le sans lactose, etc. Ces comportements ne reposent pas forcément sur des certitudes, mais plutôt parfois sur des craintes. On préfère manger des végétaux, du sans gluten ou du sans lactose parce qu'on a des craintes. Les gens modifient ainsi leur comportement alimentaire, contraints et forcés.

L'inquiétude née des scandales alimentaires a provoqué une quête de nourriture saine par toute une frange de la population. La nourriture considérée "saine" est-elle composée avec ou sans les aliments qui sont à la base de l'alimentation ?

On peut parler même de parano qui s'installe dans notre pays avec une théorie du complot (on nous ment que ce soient l'agro-alimentaire, les distributeurs, les médecins, les pouvoirs publics). Les scandales alimentaires dévoilés régulièrement nourrissent cette légitime inquiétude à laquelle on ne répond que mal.

L'éviction alimentaire peut dès lors s'imposer afin de tenter de résoudre le problème par soi-même. On peut commencer par des régimes d'exclusion (je bannis la viande, je bannis le poisson, le gluten, le lactose) et on tombe dans les régimes "sans" qui font florès dans notre pays. On estime manger sain mais on mange "sans" ce qui n'est pas forcément sans conséquences futures pour la santé. On se sépare de tout ce qui faisait la richesse de notre patrimoine alimentaire: le manger ensemble et le partage.Les consommateurs modernes glanent les informations et souvent les idées fausses via les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Je rappelle cette phrase d'Herman Hesse "le savoir peut se communiquer mais pas la sagesse".

Quels sont les problèmes provoqués par une quête obsessionnelle d'une alimentation saine ?

Le risque majeur est celui de l'isolement social qui commence par une exclusion alimentaire source de fragilité psychique. L'autre risque patent est celui de développer des troubles majeurs du comportement alimentaire. On mange isolé alors que le repas français repose sur la commensalité. On peut craindre également un appauvrissement en certaines vitamines, minéraux, oligo-éléments et nutriments qui s'en tendre vers des vrais carences (les carences en France sont rarissimes) peuvent aboutir à des sub-carences. J'attire le point sur le fait que certains mangeurs mettent en avant la quête d'une nourriture saine pour mieux masquer leur envie de perdre du poids par une méthode à priori plus consensuelle. Ces personnes risquent de se soumettre à un nouvel effet yoyo pondéral ascendant. 

Peut-on sortir du cercle de l'orthodexia, nom donné au trouble alimentaire poussant à retrancher de son alimentation presque tous les nutriments, ou est-ce une maladie qui, comme l'anorexie ou la boulimie, est très difficile à combattre ?

Je pense qu'il est très difficile de sortir de l'orthorexie car comme pour l'anorexie, il existe une peur panique à réhabiliter les aliments honnis. La prise en charge relève d'un soutien psychologique avec des thérapeutes aguerris à ce type de souffrance, car je crois que l'orthorexique souffre car cette rigidité alimentaire devient vite un carcan inexpugnable. 

De récentes études sur l'obésité ont révélé une activation de la zone de plaisir dans le cerveau devant l'image de nourriture hautement calorique. Cette étude souligne l'affect neurologique de l'alimentation sur le cerveau, un peu comme le ferait une drogue. Dès lors, comment peut-on faire la promotion d'une bonne alimentation sans créer d'excès ? 

Ne pas tomber dans l'excès consiste déjà à ne pas se créer d'interdits. Certains n'ont pas le choix car ils sont véritablement allergiques et justifient une exclusion définitive de tel ou tel aliment (parfois la liste est très longue). Ces personnes nécessitant de tels principes de précaution sont souvent très malheureuses car se privent parfois de plaisir alimentaire mais elles n'ont pas le choix. En dehors de cela, on a le choix et dès lors on doit s'accorder de la souplesse pour tolérer des incartades dans le cadre d'une alimentation variée diversifiée raisonnée colorée et respectant les justes portions. Claude Lévi-Strauss écrivait fort justement "l'alimentation ne doit pas seulement bonne à manger mais également bonne à penser." Il faut méditer cette phrase et la faire sienne. 

Cet article a déjà été publié le 8 septembre

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