Et le deal Alstom-GE passa finalement comme une lettre à la poste : le vrai bilan de l’interventionnisme socialiste depuis 2 ans et demi <!-- --> | Atlantico.fr
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Un accord a finalement été trouvé pour le rachat d'Alstom par General Electric.
Un accord a finalement été trouvé pour le rachat d'Alstom par General Electric.
©Reuters

Perturbateur

Alors qu'un accord a finalement été trouvé pour le rachat d'Alstom par General Electric, l'idée que l'Etat peut efficacement se poser en arbitre des négociations commerciales demeure incertaine. Et le bilan de ce concept hautement idéologique, au regard des affaires comme celles de Florange ou encore de Mory Ducros n'est pas à la faveur de ceux qui y croient.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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L’économie industrielle de la France subit un long déclin depuis les années soixante-dix. Les gouvernements successifs ont, tous, essayé d’interférer avec les décisions des chefs d’entreprise pour ralentir et inverser ce processus. Les motivations des dirigeants d’entreprise pour transformer leur organisation sont nombreuses et variées. La plupart du temps il s’agit d’acter l’inadaptation structurelle au marché, le manque de profitabilité ou la faiblesse de la productivité par des fermetures d’entreprises ou d’établissements, ou des fusions ou cessions se traduisant toujours par des pertes définitives d’emploi. Cela peut être aussi le choix de vendre une entreprise à un acteur étranger ce qui présente toujours le risque de voir les centres de décisions quitter la  France avec inéluctablement , à court ou moyen terme, un impact sur l’emploi, la diversité du tissu économique, voire la souveraineté nationale.


Jean-Pierre Corniou

Atlantico : L’action gouvernementale a-t-elle été efficace pour arrêter, ou ralentir, l’impact des décisions industrielles sur l’emploi et la vitalité du tissu industriel ?

Jean-Pierre Corniou : Globalement, le résultat est médiocre : sous l’effet des gains de productivité, des délocalisations et de l’externalisation de fonctions de support, comme des défaillances d’entreprise, l’industrie a perdu 71000 emplois par an en moyenne de 1980 jusqu’en 2007, chiffre qui s’est amplifié depuis 2008 sous l’effet de la crise qui a touché les emplois intérimaires comme les emplois permanents. Les fermetures de sites marquent fortement cette transformation économique : 385 fermetures d’usines entre 2009 et 2011, 266 en 2012, 286 pour la seule année 2013. La politique industrielle publique ne peut seule enrayer ce phénomène structurel.

Si quelques cas de défaillance industrielle ont été portés sur le devant de la scène médiatique au cours des dernières années, et amplifiés par les réactions politiques, la majorité des mutations industrielles résulte de décisions silencieuses, à l’impact diffus et différé, qui relèvent de la gestion courante de l’entreprise. C’est ainsi le cas, pour les constructeurs automobiles, quand ils choisissent de produire un nouveau véhicule dans leurs usines étrangères plutôt qu’en France. Lorsque le nouveau véhicule entre en production, plusieurs trimestres après l’annonce publique, l’attention est retombée.

Le tissu économique se transforme sous l’effet de multiples micro-décisions qui généralement ne franchissent pas les frontières de l’information locale. Certaines, symboliques, sans que nécessairement leur impact réel le justifie, font au contraire la une des medias nationaux. Cette exposition médiatique force les gouvernements à réagir. Ainsi on a vu apparaître, monter en puissance jusqu’à déclencher une intervention politique, puis disparaître des medias, plusieurs cas emblématiques. Ce fut ainsi le cas, en octobre 2012, de la sidérurgie, sujet classiquement sensible, avec l’annonce de la fermeture des haut-fourneaux de Florange par le groupe Arcelor-Mittal. L’automobile est aussi un secteur où toute annonce de transformation retient l’attention. Les difficultés du groupe PSA, révélées en 2012, conduisent au rapprochement avorté avec General Motors puis à la prise de participation du chinois Dong Feng. Le sort du groupe a mobilisé les pouvoirs publics pendant de longs mois. Enfin l’annonce brutale des négociations de rachat d’Alstom par General Electric entre juin 2014 a crée une grande émotion, Alstom représentant la réussite française dans les secteurs du ferroviaire et de l’énergie. Des conflits sociaux ont aussi attiré l’attention de l’opinion et donc du pouvoir politique, comme le conflit Continental, la fermeture de Lejaby après un plan social et une grève qui n’ont pas empêché la liquidation judiciaire suivie de reprises partielles et économiquement fragiles, la faillite de Ducros Mory. D’autre cas comme le projet de vente de DailyMotion, le YouTube français, à Yahoo ! ont aussi suscité de vives réactions des pouvoirs publics, qui finalement se sont opposés à cette vente. Face à ces évènements de la vie des entreprises, les réactions de pouvoir publics ne dépendant pas de leur orientation politique, mais de la personnalité des dirigeants et de leur sens médiatique. On peut considérer que l’attitude de Nicolas Sarkozy sur la fermeture de l’aciérie de Gandrange n’est pas différente de celle d’Arnaud Montebourg à Florange. La séquence Montebourg a été très riche en déclarations et prises de positions spectaculaires qui ont été ensuite atténuées par réalisme technique ou économique.

Le scénario est généralement le même. L’information sur le projet de fermeture d’un site filtre, puis est relayée par le personnel et les organisations syndicales, qui réagissent de façon plus ou moins spectaculaire. Le gouvernement promet d’intervenir, un ministre se rend sur place, avec une forte couverture médiatique, et déclare que le gouvernement, soucieux, ne laissera pas les décideurs agir sans négociation, sans contrepartie ou même menace de mesures de rétorsion. Des solutions spectaculaires sont avancées, comme la nationalisation, ou une prise de participation de l’Etat, ou l’arrivée imminente d’un chevalier blanc. Les discussions, aux enjeux complexes, débouchent sur une décision publique médiatisée qui, ensuite, sera abandonnée à l’épreuve des faits... et généralement oubliée, laissant la vie économique reprendre le pas sur les décisions politiques !

L’amertume du personnel, des syndicalistes, des élus locaux est aussi un élément classique du drame. Le mot « trahison » est souvent prononcé, et le chômage s’installe, silencieux et lourd.  Cette séquence dramatique s’est renouvelée très souvent depuis les années 80, les Lip, les Moulinex, les Continental, les Lejaby ayant fait du nom de leur entreprise un cri de ralliement. On peut comprendre que les hommes politiques n’acceptent pas leur impuissance face à cette transformation qui nourrit la colère et pousse les électeurs vers des solutions alternatives populistes.

Florange

  • -La séquence

Pour Florange, la fermeture des haut-fourneaux était depuis de nombreuses années dans les plans des dirigeants compte tenu du surcoût structurel de la fonte continentale par rapport à la fonte littorale de Dunkerque ou Fos. C’est aussi ce qui s’est produit en Belgique à Liège. Annoncée en octobre 2011 avant les élections présidentielles, elle attire la colère du candidat Hollande qui promet, en février 2012, qu’il s’y opposera, pour finalement aboutir en avril 2013 à l’arrêt définitif des deux haut-fourneaux et donc de la phase à chaud.

  • Ce qui a été obtenu

Mittal s’est engagé, dans un accord avec l’Etat en novembre 2012, à ne procéder à aucun licenciement  sec pour les 629 salariés concernés et donc à les reclasser sur le site. Un plan d’investissement de  180 millions € sur cinq ans a été annoncé par Mittal, de même que le maintien des capacités de R&D du groupe en Lorraine. Edouard Martin, délégué CFDT qui avait qualifié le premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, de « traitre », prendra la tête de liste PS pour les élections européennes de juin 2014 et sera élu.

  • L'interventionnisme d’État a-t-il été dommageable ?

Arnaud Montebourg, avec son titre en forme de programme de Ministre du « redressement productif » a été très actif sur le front industriel pour tenter d’enrayer l’impact négatif des décisions. Il a avancé en novembre 2012 l’idée d’une « nationalisation temporaire » pour ensuite se rétracter. Dans le cas de Florange, l’action publique n’a pas empêché la fermeture des haut-fourneaux mais en a limité l’impact immédiat sur le personnel sans que les perspectives à moyen terme du site ne soient stabilisées.

Mory Ducros

Mory Ducros était un transporteur spécialisé dans la messagerie, activité difficile à rentabiliser, en crise latente. Entre 2007 et 2012, 27% des transporteurs routiers se sont déclaré en faillite. Résultat en 2012 de fusions successives d’entités elles-mêmes en difficultés ou en redressement judiciaire comme la société Mory, le nouveau groupe, qui perdait 10% de son chiffre d’affaires, voit sa faillite prononcée fin 2013. Dans le cadre d’un plan de reprise, 2800 salariés, sur 5000, ont été licenciés début 2014, 35 agences, sur 85, ont été fermées...

Le gouvernement a poussé à l’amélioration du plan social en faisant passer les indemnités complémentaires de 21 à 30 millions € pour aboutir à la conclusion d’un accord avec les syndicats.  Révélateur de la faible marge de manoeuvre publique, Jean-Marc Ayrault a déclaré que « le gouvernement rechercherait toutes les solutions, site par site, avec les partenaires sociaux », le ministre des transports que « l’Etat travaillerait au maintien d’un niveau d’activité sur l’entreprise qui permettrait le sauvetage de 2000 emplois », formules volontaristes régulièrement utilisées dans ces opérations. L’Etat a consenti un prêt de 17,5 millions € dans le cadre du Fonds de développement économique et social qui n’a pas suffi à enrayer les difficultés de l’entreprise.

Quelle issue  en novembre 2014 ? La société Mory Global, qui a repris les 2200 salariés de Mory Ducros, est en difficulté et a perdu 17 millions € entre février et juin 2014. Le directeur général a quitté l’entreprise après quelques mois. Suite à la reprise de février 2014 le plan social, approuvé par l’administration du travail  en mars 2014 a été cassé par le tribunal administratif en juillet 2014 puis par la cour administrative d’appel de Versailles le 22 octobre. Cet imbroglio juridique, victoire à la Pyrrhus pour les organisations syndicales, fait peser sur le repreneur une nouvelle menace et compromet la viabilité économique du plan de reprise même si les indemnités, de l’ordre de 6 mois de salaire, devraient être payées par l’AGS, Association pour la garantie des créances des salariés. A. Montebourg déclarait en avril 2014 « C’est quand même une victoire ! ».

Il est trop tôt pour mesurer les conséquences de la loi sur la sécurisation de l’emploi, qui renforce les obligations des employeurs, en application depuis juin 2013. Il est également prématuré d’anticiper les effets de la branche énergie d’Alstom par General Electric sur l’emploi et la performance économique de cette entreprise, comme il est difficile de mesurer le rôle de Dong Feng sur l’avenir industriel du groupe PSA en France.  Mais l’absence durable de croissance, le manque de robustesse de la stratégie, la perte de compétitivité des entreprises sont des phénomènes structurels qui ne peuvent être combattus que par des mesures structurelles : baisse du coût du travail non qualifié, développement des compétences, innovation produit et process, créativité, investissements.

Aussi compréhensibles sur le plan humain soient-elles, les interventions publiques visant à ralentir l’adaptation des entreprises, à l’encadrer par des dispositions contraignantes, ne réussissent pas à transformer les facteurs intrinsèques de compétitivité, à inverser les tendances structurelles, quand elles ne les dégradent pas, notamment en envoyant aux investisseurs un signal interventionniste qui ne les stimule pas.

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