Et l’IA pourrait se substituer à TOUS les emplois d’ici l’année… 2050 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le logo de ChatGPT et d'OpenAI.
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©LIONEL BONAVENTURE AFP

Innovations technologiques

Un sondage mené auprès de milliers de chercheurs en IA dévoile les délais anticipés avant que l'intelligence artificielle parvienne à surpasser l'humanité.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Une enquête menée auprès de milliers de chercheurs en IA dévoile les délais prédits pour que l'intelligence artificielle surpasse l'humain dans diverses tâches. En 2050, "toutes les tâches" seraient concernées. L'élimination de chaque emploi sur Terre pourrait intervenir au plus tard en 2150. Est-ce vraiment crédible d'après vous?

Laurent Alexandre : Comme le montre très bien la succession des sondages qui ont été faits auprès des experts de l'intelligence artificielle, ils ont radicalement changé d'opinion entre 2017 et 2022, puis entre 2022 et 2023. Ce que Geoffrey Hinton, l’inventeur de l’architecture des réseaux de neurones profonds, attendait pour dans deux siècles, il le prévoit depuis la sortie de ChatGPT pour dans 2 à 5 ans. Ces prévisions montrent l’accélération de l'histoire technologique. Mais il ne faut pas oublier que ces mêmes experts ont radicalement changé d'opinion ces dernières années. Notamment depuis la sortie de ChatGPT le 30 novembre 2022. La capacité des experts à prévoir le futur de l'IA est extrêmement médiocre. Cela a été le cas dans le passé. Je fais le pari que nous allons énormément nous tromper dans nos futures prévisions.

2050 est-elle une date crédible selon vous ? 

Nous assistons à une explosion de l'intelligence artificielle et à une accélération de l'histoire technologique. Mais parallèlement, il est important de préciser que les experts se sont énormément trompés et quand les experts se trompent dans un domaine donné, en général ils continuent à se tromper dans le futur.

La morale de l'histoire est que nous sommes dans un brouillard numérique complet. Personne n'est aujourd'hui capable de faire des prévisions raisonnables. Personnellement, le 29 novembre 2022, la veille de la sortie de ChatGPT 3.5, je n’imaginais pas qu’il soit possible de faire ce que fait GPT-4 en médecine aujourd'hui avant 2040 ou 2050.

Quels métiers seront plus rapidement touchés que d'autres dans les années à venir ?

Il est difficile de prévoir quels seront les métiers les plus rapidement concernés. Les technologies d'intelligence artificielle sont très peu prédictibles. Nous ne savons pas à quelle vitesse le corps social peut absorber ces technologies. Les avocats ont par exemple demandé l'interdiction des logiciels d'intelligence artificielle qui pourraient remplacer les avocats. Les demandes de lois et de réglementations vont se multiplier pour bloquer le déploiement de l'intelligence artificielle. Cela a déjà marché aux États-Unis, à Hollywood, où, après 147 jours de grève, les scénaristes ont obtenu l'engagement des studios de cinéma que l'intelligence artificielle ne serait utilisée que faiblement dans la réalisation des films.

Il y a donc trois inconnus. L'évolution technologique, la réaction des syndicats et des corporations, et l'inertie sociale, l'inertie dans l'absorption technologique par la société en général et par les entreprises en particulier.

D'autres facteurs pourraient-ils accélérer ou freiner l'intervention de l'IA dans notre vie quotidienne ?

Si l'IA va très vite, elle pourrait sidérer les lobbys, les syndicats, les corporations et les empêcher de réagir en les noyant avant qu'ils puissent réagir. Il y a très peu de syndicats et très peu d'organisations professionnelles qui ont commencé à y réfléchir. Les organisations professionnelles sont davantage tournées vers le passé que vers le futur. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire de groupes sociaux qui se sont correctement projetés dans le futur au moment des révolutions technologiques. Aux États-Unis, lorsque la radio est arrivée, les journaux ont obtenu que les radios ne diffusent les nouvelles qu'avec 24 heures de retard, de manière à laisser le temps aux journaux de publier les nouvelles informations. Cette législation a été modifiée au bout de quelques mois.

Quant à l'élimination de chaque emploi sur terre, les prédictions évoquent 2150. Cette date est encore plus lointaine. Mais dans l'ordre des choses, l'intelligence artificielle ne va-t-elle pas d'abord surpasser l'humain dans diverses tâches ?

Il y a eu tellement d’erreurs sur les prévisions à 18 mois qu’il est important de faire preuve d'un minimum d'humilité. Après un tel échec à prévoir le futur, il serait bon de faire un peu moins de prévisions à l'horizon de 150 ans.

Mais Elon Musk a déclaré à Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, le 3 novembre dernier, qu'il pensait que le travail allait totalement disparaître et que seuls les gens qui ont envie de trouver un emploi travailleront car que l'intelligence artificielle sera plus performante que 100 % des humains. L'idée d'Elon Musk est que, bientôt, l'humain le plus intelligent sur Terre sera moins intelligent que l'intelligence artificielle. Ce scénario n'est pas partagé par tout le monde. Un grand nombre de gens pensent que des tas d'emplois nouveaux vont être créés et qu'il n'y aura pas de remplacement général des humains par l'intelligence artificielle. Personnellement, je pense que le choc va être extraordinairement violent, que les emplois vont être transformés, bouleversés. Mais une très large partie des travailleurs vont trouver des zones de complémentarité avec l'intelligence artificielle sous des formes et des modalités que l'on n'imagine pas aujourd'hui. Il y a aura des solutions pour être complémentaire à l'IA. Ce travail de recherche de zones de complémentarités sera très fructueux. Les gens ne vont pas vouloir devenir des assistés jusqu'à leur fin de vie. Ils vont chercher à devenir complémentaires de l'IA. Cela va générer beaucoup de nouveaux métiers et de nouvelles activités.

70 % des participants à ces sondages souhaiteraient que la recherche visant à minimiser les risques des systèmes d'intelligence artificielle soit davantage considérée comme une priorité. Ce chiffre a doublé depuis 2016. Que faut-il penser de cette augmentation fulgurante en matière de risque pour l'IA ? 

Cela fait 20 ans que j'écris qu'il est nécessaire de travailler sur cette question. Cela fait 20 ans que je supplie les intellectuels, la société civile, les patrons et les politiciens de réfléchir à la régulation de l'intelligence artificielle, de la mettre à l'agenda politique et économique. Je ne peux que me féliciter que ce sujet soit au coeur des réflexions. Je partage le point de vue de Nick Bostrom qui estime que beaucoup d’erreurs ont été commises sur ces sujets et qu’il aurait fallu s’en préoccuper depuis déjà 20 ou 30 ans. Ce retard va avoir des conséquences. La mutation va être plus douloureuse que si cette réalité avait été anticipée. Dès que les premiers réseaux de neurones ont commencé à être très performants, à partir de l'été 2011, une réflexion générale de nos sociétés sur l'évolution de l'IA s'imposait. Mais rien n’a été fait. Personne n'y a travaillé, personne n'y a réfléchi. Quelques intellectuels comme moi ont sonné le tocsin dans le vide, ont écrit des livres et des centaines d'articles sur le sujet. Mais nous n'avons pas été écoutés. Il y a eu notamment Nicolas Bouzou, Luc Ferry, Gilles Babinet, Michel Lévy-Provençal, Robin Rivaton... Une petite dizaine d'intellectuels, d'ingénieurs ont demandé un débat public et ont compris, il y a plus de dix ans, l'urgence de travailler sur les questions liées à l'intelligence artificielle.  Mais personne n'a été écouté et entendu. Personne n’a agi. La classe politique a été assez lamentable.

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