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Et George Soros qualifia Facebook et Google de "menace" pour la démocratie… Les mastodontes de l'Internet nous veulent-ils vraiment du mal ?
©Reuters

Big(s) Brother(s)

A Davos, le milliardaire a estimé que les géants de la tech étaient une "menace" pour la société en raison de leur incapacité à protéger "des conséquences de leurs actions".

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte est docteur en information scientifique et technique. Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille et expert  en cybercriminalité, il intervient en tant qu'expert au Collège Européen de la Police (CEPOL) et dans de nombreux colloques en France et à l'International.

Titulaire d'un DEA en Veille et Intelligence Compétitive, il enseigne la veille stratégique dans plusieurs Masters depuis 2003 et est spécialiste de l'Intelligence économique.

Certifié par l'Edhec et l'Inhesj  en management des risques criminels et terroristes des entreprises en 2010, il a écrit de nombreux articles et ouvrages dans ces domaines.

Il est enfin l'auteur du blog Cybercriminalite.blog créé en 2005, Lieutenant colonel de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et réserviste citoyen de l'Education Nationale.

Voir la bio »

Atlantico : George Soros dans sa tribune à Davos s'en est directement pris à Facebook et Google n'hésitant pas à qualifier ces entreprises de "menace" pour la démocratie. Comment, en quelques années seulement, ces entreprises sont passées d'une image d'entreprises vertueuses (le slogan de Google étant toujours "don't be evil"), œuvrant pour la démocratie (on se souvient de l'influence de Facebook lors des printemps arabes), à une image d'entreprises faisant planer une "menace" sur les démocraties occidentales ?

Jean-Paul Pinte : A l’origine d’Internet, nul, même les créateurs du réseau, n’auraient pu imaginer le devenir de ce que l’on appelle plus communément le cyberespace aujourd’hui.

Si l’Internet a été pensé sans sécurité (tant l’invention était géniale pour l’époque) pour devenir aujourd’hui un terrain pour les cyber-délinquants, il s’est vite imposé aussi comme une des plus grandes évolutions de notre temps ayant profondément modifié nos pratiques commerciales et sociales.

Pour celles et ceux ayant connu Internet a ses débuts, c’est-à-dire depuis une génération ils se souviendront d’AltaVista ou Alta Vista, un moteur de recherche du World Wide Web mis en ligne à l'adresse webaltavista.digital.com en décembre 1995 et développé par des chercheurs de Digital Equipment Corporation. Parallèlement, d’autres moteurs de recherche plus évolués arriveront en masse comme, Infoseek, Yahoo ! et Lycos. Ils disparaîtront dans le temps pour laisser place à des géants comme Google.

Nos jeunes ne le savent sûrement pas, mais l’histoire du web a commencé avant Google comme le précise cette histoire d’Internet. D’autres moteurs de recherche ont ouvert la route et ont fait le bonheur – ou le malheur – des référenceurs de l’époque.

Excite est le premier moteur de recherche digne de ce nom et le Roi  Google débarquera véritablement en 1998, en même temps que MSN search, qui sera rebaptisé Bing en 2009.

Seul Siri lancé en 2011 par Apple viendra concurrencer (sur smartphone) Google qui semble plus que jamais indétrônable à ce jour. Normal, Google a su y faire dès le début pour convertir tout un pan de notre société. Cette entreprise américaine de services technologiques fondée en 1998 dans la Silicon Valley, en Californie, par Larry Page et Sergueï Brin, créateurs du moteur de recherche Google est aujourd’hui une filiale de la société Alphabet depuis août 2015.

Même après plus de 20 ans à enseigner les moteurs de recherche du Web 1.0 au Web 4.0 le naturel revient au grand galop chez la plupart de mes étudiants dès que leur évaluation sur le cours de recherche d’information stratégique est terminée. Ils retournent au grand galop sur leur moteur de recherche préféré ! Et pourtant l’éventail est grand à en croire cette base d’outils immense mis gratuitement à leur disposition…

Il en a été de même pour Facebook, une société américaine créée en 2004 par Mark Zuckerberg. Initialement concentrée sur le réseau social Facebook, la compagnie a racheté Instagram en 2012, ainsi que WhatsApp et Oculus VR en 2014.

Point de salut en dehors de ces deux grands et de bien d’autres pour une société qui n’a pas appris à connaître pas l’envers de la toile !

Ces entreprises ont souvent joué un rôle novateur et libérateur à en croire cet articlequi nous relate l’évolution de Facebook et sa montée dans les rangs des jeunes et moins jeunes. Facebook et Google sont devenus des monopoles de plus en plus puissants, ils sont devenus aussi des obstacles à l'innovation et ont causé une variété de problèmes dont nous commençons tout juste à prendre conscience.

Le déclenchement du Printemps arabe, qui a renversé des régimes autoritaires en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen ont accéléré les processus de reconnaissance et d’aspect unique de certains grands comme Facebook et Twitter mais n’ont pas été l’unique raison de descente dans les rues. Les réseaux ont indéniablement accompagné ce qu'on appelle les révolutions arabes, puisqu'ils ont servis à mobiliser, à informer et à s'informer. Voire à attiser la colère. Ils ont en outre permis d'attirer l'attention des médias étrangers, empêchés de travailler librement dans les pays fermés, et de les alimenter en images. Ils ont également aidé ceux que j'appelle les révoltés solitaires, qui se croyaient seuls au monde, à se regrouper en découvrant que d'autres personnes partageaient leurs sentiments comme le rappelle cet article.

Les entreprises gagnent leurs bénéfices nous dit George Soros dans sa tribune à Davos en exploitant leur environnement. Les sociétés minières et pétrolières exploitent l'environnement physique; les entreprises de médias sociaux exploitent l'environnement social. Ceci est particulièrement néfaste parce que les entreprises de médias sociaux influencent la façon dont les gens pensent et se comportent sans même en être conscients. Cela a de lourdes conséquences sur le fonctionnement de la démocratie, en particulier sur l'intégrité des élections par exemple nous rappelle t-il…

Nous sommes dans une société de plateformes Internet basés sur des réseaux dont nous ne connaissons pour la plupart pas les abysses sur lesquelles ils s’appuient pour bénéficier de rendements marginaux croissants, d’où leur croissance phénoménale. Ces mêmes profondeurs où se trouvent les algorithmes qui nous construisent.

Il a fallu huit ans et demi à Facebook pour atteindre un milliard d'utilisateurs et la moitié de ce temps pour atteindre le deuxième milliard. À ce rythme, Facebook sera à court de gens à convertir en moins de 3 ans rappelle aussi Georges Soros.

Comme pour les moteurs de recherche au temps de leur profusion nous n’avons pas vu arriver les grands du Web Social avec leurs réseaux de plus en plus diversifiés couplés aujourd’hui de plus en plus à des applications sur nos smartphones.

Il en va de même pour les médias sociaux dont Fredéric CAVAZZA nous dresse ici une vision claire en ce début d’année 2018.

Ces environnements en réseau imposés par une société immédiate ne laissant presque plus vraiment de place au discernement dans le vrai du faux (Fake news) ni de compréhension dans le fonctionnement des applications qui laissent croire que les données utilisées dans les applications sont éphémères.

Les grands comme les GAFAMI, NATU et BATX sont assis sur une montagne de données qui sont sur le point de causer  pas mal de déviances aujourd’hui comme le vol de données, l’atteinte et l’usurpation d’identité en passant par l’injection de fausses données dans le Big Data par exemple.

Et s’il y a bien un réseau social qui sort du lot en matière de Big Data, c’est Facebook. Jay Parikh, vice-président de l’ingénierie chez Facebook, révélait en 2012 que le réseau social au 1,86 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde drainait à lui seul plus de 500 téraoctets de données par jour. Il représentait à l’époque quelques 2,7 milliards de Likes2,5 milliards de partages et 300 millions de photos postées. Toutes les actions et interactions entreprises sur Facebook (Like, commentaire, partage, publications, …) ou sur d’autres réseaux sociaux laissent des traces.

La dernière mesure en date de Facebook, à savoir la hiérarchisation par les utilisateurs des sources d’information, ne fait pas l’unanimité et pourrait, préviennent certains, se révéler contre-productive.

La méthode permet notamment à Facebook de ne pas faire lui-même d’arbitrage et donc de ne pouvoir être accusé de partialité et de revivre la polémique du printemps 2017 signale le Journal de Montréal. À l’époque, il avait été accusé de manipuler les sujets d’actualité dominants sur sa plateforme, avant d’effectuer des modifications substantielles pour automatiser davantage le procédé.

« Les données personnelles peuvent être explicitement fournies par l’internaute ou récupérées de façon implicite, explique aussi Serge Abiteboul, professeur à l’ENS Cachan et membre de l’Académie des sciences. Des informations qui nous concernent sont créées par des programmes au cours de la navigation. » Un peu comme quand votre banquier étudiait votre attitude en plus de votre dossier pour vous accorder un prêt. Sauf que votre banquier a été remplacé par des algorithmes et que votre attitude est enregistrée, au même titre que votre dossier.

Le responsable de l’engagement civique chez Facebook, Samidh Chakrabarti reconnait aujourd’hui que les réseaux sociaux peuvent affaiblir une démocratie et cite les fausses informations qui empoisonnent Facebook depuis plus d’un an, mais aussi les bulles d’information ne soumettant à l’utilisateur que des informations et des avis auxquels il adhère déjà. Il mentionne aussi les messages à caractère haineux ou racistes.

Les problèmes que soulève le milliardaire George Soros (biais lors des élections, problèmes sécuritaires, monopoles commerciaux…) vous semblent-ils justifiés ? Quelle est l'influence réelle de ces entreprises sur nos démocraties (tant au niveau économique, politique ou sociétal)?

Il y a de quoi s’inquiéter avec l’immersion de ces grands de l’Internet. Nous leur avons trop donné à manger en matière d’information et la situation semble irréversible pour notre démocratie si nous ne mettons pas en place de manière urgente des moyens appropriés.

Pour commencer il faudrait faire payer aux GAFA, ces plate-formes numériques américaines qui ont révolutionné l'économie, leur juste part d'impôt. L'Europe s'est attelée à ce casse-tête mais n'a pas réellement encore trouvé la solution.

Ensuite réaliser que les géants du Web n’ont jamais afficher la gestion des contenus comme une priorité alors que c'est là leurs principaux atouts et sources de revenus.

Facebook: le groupe de Mark Zuckerberg tire par exemple sa richesse des données collectées partout en Europe (en France, 33 millions de comptes, en Allemagne, 31 millions) qu'il vend à d'autres entreprises qui peuvent ensuite faire du démarchage. Grâce aux "Likes" de l'utilisateur et aux algorithmes générés on peut connaître la cible en conséquence et voir et la démarcher en lui proposant des centres d’intérêt détectés et désormais connus. Puis Facebook peut faire vendre ses données par des filiales installées ailleurs que là où se trouvent les utilisateurs et leurs données.

Si ces grands de l’Internet ont souligné combien ils enrichissaient les individus de nouvelles opportunités, ils n’ont pas su expliquer à ce jour comment ils pourraient, aussi, favoriser des solutions positives pour le bien-être collectif (par exemple en réinventant la solidarité ou les services publics) nous indique cet article.

Gérald Bronner, dans son livre La Démocratie des crédules, constate par exemple que si les rumeurs ont autant de succès sur Internet, c’est parce que les gens qui seraient capables de leur porter la contradiction considérent que c’est une perte de temps d’aller discuter avec ceux qui les colportent.

Internet était encore vu il y a dix ans comme un outil au service de l’émancipation des citoyens. La donne a changé et nous sommes passés trop vite à cette société dite de l’information qui, au contraire semble les enfermer dans certaines idéologies. 

GAFAMI, NATU et BATX  ne sont enfin pas nos amis car :

- Les GAFAMI (Google, Apple, Facebook, Amazon, Micorosoft) ont développé des outils de profialge de plus en plus évolués

- Les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) sont intéressés par notre société de conso-divertissement

- Les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) se situent au milieu de ces grands du Web qui scrutent aussi nos habitudes culturelles  au même titre que les services de renseignement et les entreprises marketing…

George Soros met en garde quant aux dérives que pourraient entraîner les relations que peuvent nouer ces entreprises avec certains services étatiques. Mais au contraire, est-ce que l'Etat n'est pas la solution pour limiter l'influence de ces grandes entreprises de la tech ? 

N'oublions pas que Facebook et Google contrôlent efficacement à eux deux plus de la moitié de tous les revenus publicitaires sur Internet. Pour maintenir leur domination, ils ont besoin d'élargir leurs réseaux et d'augmenter leur part d'attention des utilisateurs. Actuellement, ils le font en fournissant aux utilisateurs une plate-forme pratique. Plus les utilisateurs passent de temps sur la plate-forme, plus ils deviennent précieux pour les entreprises. Il y a donc de  une attention particulière pour nos services de l'état à apporter à cette problèmatique.

Il convient pour les états aussi d'éviter que les GAFAMI et autres NATU et BATX se positionnent beaucoup plus sur leur territoire  pour rassurer leurs clients que pour porter nos valeurs.

Progressivement, un nouveau modèle d'entreprise émerge, basé non seulement sur la publicité mais sur la vente de produits et de services directement aux utilisateurs. 
Ils exploitent les données qu'ils contrôlent, regroupent les services qu'ils offrent et utilisent des prix discriminatoires pour conserver eux-mêmes plus d'avantages qu'ils auraient autrement à partager avec les consommateurs. Cela améliore encore leur rentabilité mais le regroupement des services et la tarification discriminatoire compromettent l'efficacité de l'économie de marché d'un état.

Comme le dit si justement Georges Soros ces grands du Web prétendent qu'ils ne font que distribuer des informations mais le fait qu'ils soient des distributeurs quasi-monopolistiques en fait des services publics que  l'état devrait leur imposer des réglementations plus strictes, visant à préserver la concurrence, l'innovation et un accès universel équitable et ouvert à la toile.

Il existe par exemple une similitude entre les plateformes internet et les sociétés de jeux de hasard. Les casinos ont développé des techniques pour accrocher les joueurs au point où ils jouent tout leur argent, même l'argent qu'ils n'ont pas. L’état doit être le garant de ces dérives par la mise en place de moyens de contrôle appropriés pour éviter les manipulations de tout type.

Et Georges Soros de nous alerter aussi sur perspective encore plus alarmante à l'horizon. Il pourrait y avoir une alliance entre les États autoritaires et ces grands monopoles informatiques riches en données qui allieraient les systèmes naissants de surveillance des entreprises à un système de surveillance déjà mis en place par l'État (probable en Chine et en Russie). Cela pourrait bien aboutir à un réseau de contrôle totalitaire que Aldous Huxley ou George Orwell n'auraient même pas imaginé.

Il signale enfin  que :

« Les propriétaires des géants de la plate-forme se considèrent comme les maîtres de l'univers, mais ils sont en réalité esclaves de la préservation de leur position dominante. Ce n'est qu'une question de temps avant que la domination mondiale des monopoles informatiques américains soit brisée. Davos est un bon endroit pour annoncer que leurs jours sont comptés. La réglementation et la fiscalité seront leur perte et le commissaire à la concurrence de l'UE, Margrethe Vestager (Madame Anti GAFA), sera leur ennemi juré ».

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