Et au fait, que disent nos manuels scolaires de la colonisation ou du conflit israélo-palestinien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une classe d'école -- Photo d'illustration AFP
Une classe d'école -- Photo d'illustration AFP
©THOMAS COEX / AFP

Auto-censure ?

Le conflit israélo-palestinien, comme la colonisation, constituent des sujets à la fois complexes et polémiques. La question de leur enseignement à l’école est donc elle aussi difficile. Ce qu’il faut savoir.

Pierre Boutan

Pierre Boutan

Pierre Boutan est maître de conférences honoraire à la Faculté d’Education de l'Université de Montpellier.

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Kamel Chabane

Kamel Chabane

Kamel Chabane est enseignant d’histoire-géographie au collège Gustave Flaubert à Paris. Il est co-auteur de  « Parce que chaque élève compte » - 2022 – les Editions de l’Atelier.

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Atlantico : Les profs disent avoir peur d'aborder certains sujets et de provoquer des réactions négatives, parfois même violentes, chez leurs élèves. L'histoire est-elle bien enseignée ? Qu'en est-il dans les manuels ? 

Kamel Chabane : Un prof ne fait pas son cours uniquement avec le manuel. Il va l’utiliser comme un recueil documentaire. Normalement, il s’appuie d’abord sur les programmes et sur les documents qu’il doit être capable de produire. Le manuel, ça reste un recueil qu’on utilise par facilité ou simplicité. Le prof peut toujours s’en affranchir. D’ailleurs, la consigne institutionnelle c’est de fabriquer son cours indépendamment du manuel. Nous ne sommes pas dépendants du manuel. Il y a une liberté pédagogique, de choix, d’objet, d’études de cas. Ce sont les recommandations de l’Institution. 

Y a-t-il des réalités occultées dans les manuels? Si oui, lesquelles et pourquoi? 

Kamel Chabane : Les profs font leurs cours dans un temps global d’heures et font des choix. Ce n’est pas de la censure.

Prenons par exemple le conflit israélo-palestinien. Nous n’avons pas assez de temps pour le traiter. Si on y passe 1h, c’est déjà beaucoup. D’autres n’en parleront pas du tout parce qu’ils ont fait d’autres choix sur d’autres questions. Pas forcément en fonction des polémiques. Eux-mêmes, d’un point de vue cognitif ou émotionnel, ils ne vont pas maîtriser correctement la question qui est une question particulièrement complexe. Même remarque pour la seconde guerre mondiale. Au collège, nous n’avons pas beaucoup d’heures pour la traiter. Si on veut finir le programme pour être bon pour le diplôme national du brevet, il faut faire des choix. 

Par ailleurs, il est vrai que certains collègues vont se censurer parce qu’ils vont avoir peur d’aborder telles ou telles questions. Moi, je fais partie de ces professeurs qui trouvent que c’est regrettable. Un prof devrait être capable d’enseigner les questions qui sont au programme et celles qu’il a décidé de traiter beaucoup plus longuement que les autres. Il convient par exemple d’éclairer l’actualité sur le conflit israélo-palestinien.

Comment le conflit israélo-palestinien est enseigné depuis les années 80 ? L’enseignement de ce conflit a-t-il évolué depuis 40 Ans ? 

Kamel Chabane : Dans le manuel de mon collège, il n’y a rien sur le conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas de documents dessus. Le conflit israélo-palestinien se résume à l’échelle mondiale dans le cadre du cours sur « Les enjeux et les conflits après 89 ». C’est comme ça que se nomme le cours et il doit être mené à partir de un ou deux exemples. Les conflits étant multiples sur la planète, l’enseignant peut choisir comme il le veut tel ou tel conflit. Ainsi, au collège, il y a des élèves qui ne traiteront pas la question. Ils la traiteront au lycée car il y a une question dans le programme de terminale. 

Que disent nos manuels scolaires de la colonisation ou du conflit israélo-palestinien ? 

Pierre Boutan : Un mot tout d’abord sur les objets « manuels scolaires ». Il est difficile d’en traiter sans constater leur grande variété, d’abord pour des raisons d’âge des élèves : on ne peut s’adresser de la même façon à des enfants de 5 ans, de 11 ans, et à des adolescents de 13 ou 17 ans. Mais aussi en fonction des disciplines scolaires concernées. Ainsi, le fait colonial concerne, outre l’histoire, la géographie, la philosophie, l’enseignement des langues (pourquoi si peu d’enseignement de l’arabe dans l’école publique française ?), de leurs littératures, des différentes pratiques artistiques, jusqu’à l’éducation physique (si l’on se réfère aux origines des vedettes sportives de référence…). Et même les domaines scientifiques (où l’on peut rappeler leur histoire, inscrite dans leurs termes, comme en mathématiques, avec l’origine arabe par exemple d’algèbre, de zéro, etc).

Or ses disciplines scolaires sont elles-mêmes en relation avec leurs disciplines savantes correspondantes. Si l’on prend le cas de l’histoire par exemple, la connaissance scientifique ne manque pas d’évoluer ne serait-ce, pour la période contemporaine, qu’à la suite de l’ouverture des archives qui ne devient possible qu’après plusieurs dizaines d’années. Comment dès lors, passer de la science historique aux connaissances scolaires : c’est tout le sujet que doit traiter la didactique, problème complexe qui pose d’ailleurs en retour des questions à la connaissance savante. Qu’est-ce qui est le plus important dans les faits décrits pour être mis à la portée de tel âge, pour ne pas être contredit lors d’une reprise ultérieure dans le cursus des élèves ?

Bien entendu, à l’heure des images et du numérique, les manuels scolaires ne peuvent être que remis en question dans leur forme et dans leur démarche. Ainsi on peut en principe plus facilement initier l’élève au travail de l’historien confrontant sources et témoignages, lui permettant d’exercer son esprit critique, et de participer ainsi à la construction de ses savoirs. Dans un pays comme la France il faut aussi évoquer les instructions officielles qui déterminent en général les sujets à l’étude, sans entrer dans les détails, puisque l’édition est en principe d’initiative privée, et que le choix des manuels est laissé, dans l’enseignement public depuis le temps de Jules Ferry, aux enseignants eux-mêmes. Cette liberté pédagogique revendiquée par les maîtres, a une contrepartie sur les moyens qui leur sont donnés pour disposer d’une formation initiale et continue, en relation avec les recherches dans ces domaines, ce que les budgets nécessaires peuvent permettre de juger… Et oui, la question des moyens est ici aussi incontournable…

Enfin, il est impossible de penser que l’actualité immédiate n’aurait aucun effet sur la façon de mettre en œuvre l’enseignement, d’autant plus que de très nombreuses études sociologiques montrent les inégalités, sinon les discriminations, dans l’accès aux études longues en fonction des origines sociales, en relation avec une géographie urbaine notamment souvent ségrégative de fait. Raison supplémentaire de conforter la formation des maîtres.

Comment le fait colonial est-il enseigné depuis les années 80 ? Comment l'est-il aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a une différence ?

Kamel Chabane : La colonisation est plutôt bien traitée en classe de 4e. Il y a un cours complet prévu pour ça, ça s’appelle conquête et sociétés coloniales. 

Mais je vais vous développer un exemple précis : L'Algérie a une place pour la France, ce n’était pas seulement une colonie mais un département. Or, l’enseignant s’il veut, c’est aussi sa liberté pédagogique, va pouvoir traiter de conquêtes et sociétés coloniales en prenant l’exemple de la colonie de son choix. Un élève va pouvoir arriver en 3e sans avoir entendu parler de la colonisation de l’Algérie. Il aura appris la notion de colonisation et de colonialisme par la société coloniale. Mais il peut très bien arriver en 3e sans avoir entendu parler de la colonisation de l’Algérie par la France. 

Dans la décolonisation, on retrouve la guerre d’Algérie parce que c’est un repère. Dans le programme de 3e, le chapitre s’appelle « les nouveaux Etats indépendants ». Encore une fois vous pouvez prendre l‘exemple d’une guerre d’indépendance mais qui ne sera pas celle d’Algérie. Par contre, les élèves doivent apprendre une série de repères dans le cadre du diplôme national du brevet. 1954-1962, la guerre et l’indépendance de l’Algérie, ce sont des repères obligatoires. Normalement, les élèves auront entendu parler de la guerre d’Algérie. Mais plus ou moins. De manière plus ou moins vaste. 

Pierre Boutan : Ne disposant pas de connaissances suffisantes dans ces domaines, je me contenterai de rappeler seulement qu’un ouvrage collectif a été publié aux éditions Syllepse Israël-Palestine Le Conflit dans les manuels scolaires 91 p. Daté de 2014, il concluait : « La Guerre au Proche-Orient se mène également dans les manuels scolaires ». Tout indique que cela n’a sans doute pas changé depuis 10 ans.

Mais prenons le temps de la Troisième République, souvent référée comme exemplaire, même si les historiens ne doivent pas manquer pas de rappeler qu’elle a vu aussi une grande expansion de la colonisation. « il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […]. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures » (Chambre des députés, 26 juillet 1885). Prenons en compte que l’usage de « races », n’est pas encore marqué comme aujourd’hui par la Shoah. Ce « devoir », traduit par création d’écoles, Jules Ferry a entendu le mener en particulier en Algérie. Il y a envoyé le recteur Jeanmaire, qui va se heurter durant les quelque vingt ans de son administration, à l’hostilité résolue des « colons » qui tenaient en mains les Délégations financières de la colonie, constituée des trois départements français. Au point que ce n’est qu’au bout de plusieurs années que c’est finalement l’Etat qui devra financer quelques écoles en Kabylie. Ainsi, en 1900, seuls 5 % des enfants « indigènes » étaient scolarisés, alors que la population française d’Algérie connaissait des records de fréquentation par rapport à la métropole (cf. L’école en Algérie, l’Algérie à l’école, de 1830 à nos jours de Florence Hudowicz et Jean-Robert Henry, éd. Canopé, 112 p.).

Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, certains manuels scolaires tiennent aussi compte alors de la réalité algérienne, avec des histoires et des géographies de l’Algérie ; des cours d’arabe et de kabyle sont organisés à l’école normale d’instituteurs d’Alger Bouzaréah, qui forme aussi les maîtres pour les écoles indigènes… Après la Seconde Guerre mondiale, la majorité du corps enseignant s’efforcera de développer un enseignement adapté. Ainsi les manuels d’apprentissage de la lecture auront comme héros non plus un garçon et une fille comme Rémi et Colette ou Daniel et Valérie, donnant leurs noms à des ouvrages bien connus en France des générations des années 50 à 80, mais deux garçons et deux filles aux noms européens et algériens (Ali et Lila par exemple), publiés par des grands éditeurs français, qui entendaient aussi occuper ce marché. Pour autant le retard ne sera pas rattrapé au moment de la fin de la guerre d’Algérie en 1962, où moins de 15% de la population indigène sera scolarisée. Et ce sont des coopérants français qui concevront de nouveaux manuels pour l’Algérie indépendante.

Depuis, la question de l’enseignement en français sera posée fréquemment en relation avec les fluctuations des relations entre les gouvernements de la France et de l’Algérie, eux-mêmes dépendant de leurs problèmes intérieurs… 

Est-ce que l’école est le miroir de la nation ? 

Kamel Chabane : L’école n’est plus un sanctuaire, c’est vrai. Je dirais même que l’école est le miroir de la société. On est dans un microcosme qui reproduit ce qui se passe dans la société. Autrement dit, on est rattrapé par tous les maux qui frappent notre société : les inégalités sociales, le manque de mixité… tous ces maux contre lesquels la République doit lutter. Les problèmes des élèves ne s’arrêtent pas à l’entrée de la salle de classe. Nous avons un grand pouvoir. On reste un lieu d’éducabilité. On accueille tout le monde et on doit faire en sorte de faire République. C’est-à-dire de les conduire vers une citoyenneté libre, responsable et éclairée. La fonction civique de l’enseignement de l’histoire géographie reste fondamentale.

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