Est-il possible de rassembler une majorité à gauche sur des critères d'efficacité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Cahuzac, proche de Michel Rocard, était un représentant de l'aile dite "réaliste" de la gauche.
Jérôme Cahuzac, proche de Michel Rocard, était un représentant de l'aile dite "réaliste" de la gauche.
©CGPME

Tous ensemble

L'affaire Cahuzac allonge la malédiction des affaires qui pèse sur les socialistes se réclamant d'une approche économique efficace et rigoureuse. Coïncidence, malveillance de l'entourage ou impossibilité structurelle de réussir à gauche en étant pragmatique ?

Alexandre Vatimbella

Alexandre Vatimbella

Alexandre Vatimbella est le directeur de l’agence de presse LesNouveauxMondes.org qui est spécialisée sur les questions internationales et, plus particulièrement sur la mondialisation, les pays émergents et les Etats-Unis.

Il est également le directeur du CREC (Centre de recherche et d’étude sur le Centrisme). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (dont Santé et économie, Le Capitalisme vert, Le dictionnaires des idées reçues en économie, Le Centrisme du Juste Equilibre, De l’Obamania à l’Obamisme).

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Atlantico : Jérôme Cahuzac, proche de Michel Rocard, était un représentant de l’aile dite "réaliste" de la gauche qu’il définissait comme "la gauche efficace". Après Michal Rocard, Jacques Delors ou encore DSK, les politiques de gauche qui s'inscrivent dans une logique plus pragmatique qu'idéaliste sont-ils victimes d'une malédiction ou bien, plus sérieusement, d'un rapport de force défavorable au sein du PS ? Comment se manifeste-t-il ?

Alexandre Vatimbella : Au-delà du fait divers Cahuzac, qui consiste en une vaste fraude fiscale qui est du ressort de la justice, et de sa dimension morale, s’agissant d’un élu et d’un ministre de la République qui, de manière minable, a menti aux Français, il y a, aussi et surtout, une bataille idéologique dure dont l’enjeu est le pouvoir politique qui dépasse le simple PS et concerne toute la gauche.

Je m’explique: il n’est pas interdit de s’interroger pourquoi l’affaire Cahuzac, sans remettre en cause la réalité des faits, a été sortie par le site Mediapart dirigé par Edwy Plenel alors que d’autres médias n’avaient pas cru bon d’enquêter plus avant et donner crédit aux révélations faites par un ancien adversaire UMP de Jérôme Cahuzac à la mairie de Villeneuve-sur-Lot.

Edwy Plenel, qui met toujours en avant sa qualité de journaliste afin de démontrer son impartialité (comme si les journalistes étaient par définition impartiaux et objectifs…), a un passé trotskyste, membre de la Ligue communiste révolutionnaire. Il a été au cœur d’un grand marchandage au Monde, sous la houlette d’un autre journaliste également venu du trotskysme, Jean-Paul Besset, où, en échange d’un soutien à l’élection de Jean-Marie Colombani comme directeur du quotidien en 1994, il a été nommé directeur de la rédaction en 1996 après avoir été un des artisans de la nouvelle formule du quotidien un an plus tôt. Et comme tout ancien d’extrême-gauche, à l’instar d’un Serge July à Libération, il est fasciné par le pouvoir.

Ce rappel est essentiel pour comprendre pourquoi, sous sa direction, Le Monde (puis Mediapart) a fait sans relâche pendant plusieurs années une campagne acharnée contre de nombreux socialistes mous, peu idéologues et pas forcément sans reproches comme Roland Dumas ou Loïc Le Floch-Prigent (après s’en être pris auparavant à Charles Hernu ou Christian Nucci) avec, à la clé, la publication de nombreux documents venant de juges d’instruction, notamment, d’Eva Joly aux idées proches de l’extrême gauche. Ce travail fut dirigé par Edwy Plenel en compagnie d’un autre journaliste du Monde, également ancien de la LCR, Georges Marion.

Je rappelle également que le même Edwy Plenel avait tenté de faire croire en 1991 que la campagne de François Mitterrand avait été financée par le dictateur panaméen, Noriega, en se basant sur des documents qui se révélèrent être des faux. Ce n’est pas sans raison que François Mitterrand se méfiait de Plenel qui fut donc espionné et victime de la fameuse affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée.

Je précise, pour éviter toute incompréhension, que le problème n’est pas l’innocence ou non des personnalités socialistes que je viens de citer mais le fait que la plupart des affaires sorties par les journalistes du Monde sous la houlette d’Edwy Plenel concernaient des membres du PS et, le plus souvent, ces fameux "sociaux traître" selon la terminologie même de l’extrême gauche.

De même, Edwy Plenel a évidemment le droit de parler de qui il veut. Et s’il s’est attaqué aux socialistes qu’il considère comme des déviants de la doctrine, c’est bien parce que le PS est devenu le premier parti de gauche, qu’il a été capable de gagner des élections et de gouverner. La chasse aux socialistes réalistes n’est bien sûr pas son seul apanage, ni celui de Mediapart ou d’anciens d’extrême-gauche. On se rappelle celle que les mitterrandistes aidés par les chevènementistes lancèrent dans les années 1970 contre la fameuse "deuxième gauche" représentée par Michel Rocard  qui voulait sortir le PS de l’«archaïsme» et que ses détracteurs appelaient pour la décrédibiliser du terme, selon eux péjoratif, de "gauche américaine". Jacques Delors, en 1995, qui était en tête dans les sondages pour être le prochain président de la république jeta l’éponge en estimant n’avoir pas le soutien du Parti socialiste avec cette fameuse déclaration qu’il ne disposerait pas de la majorité nécessaire pour mettre en œuvre sa politique, sous-entendu que la gauche du PS ne lui permettrait pas une gouvernance réformiste.

Malgré leur forte popularité dans les sondages et dans l’opinion médiatique, ils finissent systématiquement par échouer politiquement. Comment expliquez-vous leurs difficultés à rassembler une majorité politique ?

Les socialistes réalistes, les sociaux-démocrates ou encore les tenants de la "deuxième gauche" ont toujours été plus intéressés par le débat d’idées et par des réformes réelles que par le pouvoir en tant que tel. Cela était criant dans le duel entre Michel Rocard (usine à idées) et François Mitterrand (machine à prendre le pouvoir). Jacques Delors (architecte de réformes) était dans la même logique des idées. A un degré moindre, Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn également.

A l’opposé, on peut prendre comme exemple Laurent Fabius qui, en bon mitterrandiste, a toujours privilégié le pouvoir aux idées. Son opposition au traité sur la Constitution européenne avec des arguments très gauchistes alors qu’il fut plus qu’un modéré pendant son passage à Matignon en est une preuve éclatante. Dès lors, cette gauche réformiste est toujours victime d’une coalition entre une gauche idéologique et une gauche de pouvoir. C’est cela sa malédiction.

Cela tient-il à leur ancrage politique à gauche ? Cet ancrage politique est-il compatible avec l’idéologie qu’ils défendent ?

Oui, on peut défendre un idéal social-démocrate et avoir la rigueur nécessaire ainsi qu’une vision réaliste indispensable pour gouverner le pays sans les chimères idéologiques mais en privilégiant une sorte de redistribution sociale.

En revanche, le fait que le Parti socialiste continue à être un lieu où l’on trouve des idéologues forcenés (au moins dans le discours…) alliés à des tenants du pouvoir pour le pouvoir face à des réalistes convaincus ne permet pas à ses derniers de mener une pédagogie apaisée afin de convaincre les électeurs de gauche de leur véritable ancrage à gauche et se retrouvent accusés de trahir l’idéal socialiste. Dès qu’un socialiste parle de rigueur ou de réalisme, il devient immédiatement un social traître pour la frange obscurantiste du PS !

Manuel Valls qui se revendique lui aussi de cette approche efficace de la gauche est le ministre le plus populaire du gouvernement. Pourra-t-il échapper au destin de ceux qui l'ont précédé dans cette voie ? A quelles conditions ?

Manuel Valls fait partie de la gauche réaliste. Ancien rocardien, il a compris, à l’inverse de son ancien mentor, que la conquête du pouvoir était une bataille dure et que les "amis" de son parti étaient plus dangereux que ses adversaires des partis de droite. De ce point de vue, il occupe le terrain politique comme un mitterrandiste ! Et il a compris, également, que les électeurs de gauche ne se bercent plus de phraséologie du grand soir mais veulent des résultats et qu’ils connaissent la situation actuelle du pays. Après, les coups peuvent venir de partout et il faut être irréprochable pour espérer que vos fameux "amis" ne les utiliseront pas contre vous.

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