Espionnage : ces Français au service de la Chine <!-- --> | Atlantico.fr
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Les drapeaux français et chinois flottent devant la place Tiananmen pour accueillir le président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Pékin le 9 janvier 2018.
Les drapeaux français et chinois flottent devant la place Tiananmen pour accueillir le président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Pékin le 9 janvier 2018.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Clément Fayol a publié « Ces Français au service de l’étranger » aux éditions Plon. Mondialisées et heureuses de l'être, trop de nos élites ont perdu le sens de l'intérêt national. Hommes politiques, hauts fonctionnaires, espions ou chefs d'entreprise se sont reconvertis dans la défense d'intérêts étrangers. Quitte pour certains à soutenir des positions antagonistes à celles de la France. États-Unis, Chine, Russie, Émirats du Golfe ou anciennes colonies : les puissances étrangères recrutent en masse au sein de l'intelligentsia française. Extrait 1/2.

Clément Fayol

Clément Fayol

Clément Fayol est un journaliste d’investigation. Il collabore notamment avec Le Monde et Le Point.

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Ces dernières années, la menace chinoise est prise très au sérieux par nos services de renseignement. « La difficulté dans l’appréhension de l’espionnage de Pékin, c’est que n’importe qui peut être un espion. Il n’y a pas de profil type. Ce ne sont pas que des personnalités sous statut diplomatique. Il est donc épuisant d’observer la naïveté des chefs d’entreprise ou des personnalités qui vantent la force de travail exceptionnelle d’une stagiaire ou d’un travailleur qui ne compte pas ses heures, s’insurge le contre-espion cité plus haut. Quand l’étudiante chinoise vient un beau jour faire des heures supplémentaires un week-end avec son “fiancé” qui profite de son passage rapide en France pour aller visiter l’entreprise, et qu’avec le badge il va piller sans laisser de traces une technologie de pointe, elle sera tout de suite moins formidable, cette recrue… »

Les attaques sont multiples. Les domaines de la Défense, des télécoms, de la recherche ou de l’innovation sont en général visés. En 2018, le magazine Challenges révélait qu’un dispositif spécial, baptisé Cerbère, avait été mis en place pour surveiller la compagnie chinoise Huawei. On y apprenait notamment que Cédric Villani avait présidé un jury d’accompagnement de la compagnie chinoise de start-up qui inquiétait. Et les journalistes soulignaient l’agacement des services de renseignement face à une naïveté coupable. De fait, le monde de l’influence est plus complexe que ne le montrent les films d’espionnage. Les agents doubles ou personnes qui travaillent contre les intérêts de leur pays sont une exception, la réalité de cette guerre se jouant en vérité dans des détails. Dans la capacité à utiliser les motivations personnelles et l’aura de personnalités pour diffuser un message, par exemple.

Est-ce que Jean-Pierre Raffarin se rend compte qu’en répétant les grandes lignes de la propagande chinoise sur la télévision publique, son statut d’ancien Premier ministre mis en avant, il devient l’instrument d’une stratégie globale, un pion manipulé sur un grand échiquier planétaire ? « Je souris quelquefois quand on me place au cœur du système alors que je suis à peine en troisième ligne, répond-il. Je connais toute la complexité de nos relations avec la Chine, et je veille à être toujours en phase avec notre diplomatie. J’ai un ambassadeur auprès de moi. D’ailleurs, dans les actions les plus significatives, j’associe toujours les services de l’État. Dans la dernière année, j’ai mené cinq initiatives associant directement cinq ministres différents. Quant à être manipulé, après cinquante ans de politique à tout niveau et cinquante ans de Chine, je crois le risque assez faible. Auparavant j’ai exercé la même mission dans un autre pays complexe, l’Algérie ! »

Admettons, comme l’ancien Premier ministre le serine, qu’une des spécificités de notre rapport de dépendance vis-à-vis de Pékin oblige à avoir recours à des personnes qui se positionnent comme amis enthousiastes du modèle chinois. Comme des facilitateurs et ouvreurs de porte amoureux du pays, bienveillants vis-à-vis de ses travers, capables de faciliter les échanges économiques. Mais le discours qui consiste à dire que, sans cette approche angélique, tout échange économique serait exclu ne me paraît pas réaliste. Force est de constater que Pékin voit un intérêt stratégique à s’activer dans notre pays. En témoigne l’énergie folle déployée pour faire de l’entrisme, espionner et gagner en influence. Un constat qui laisserait penser que le rapport de force peut exister.

Le « Baron rouge » et le mythe des Français au cœur du système chinois

Il faut le reconnaître, la Chine n’est pas uniquement une nouvelle superpuissance qui entre en concurrence avec les États-Unis. On peut critiquer l’impérialisme américain et ses dégâts planétaires sans ignorer certaines spécificités chinoises. L’Empire du milieu a des ambitions mondiales et des moyens qui lui permettent de soigner ses relations bilatérales avec quasiment tous les pays. Mais, avec le nôtre, c’est un peu particulier.

D’abord parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l’ONU et influente en Afrique, où la Chine a beaucoup misé. Historiquement pays locomotive dans la défense d’une organisation multipolaire des relations internationales, la France a été à la pointe d’une relative contestation du leadership américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais si ces arguments historiques pèsent, certaines raisons moins à notre avantage méritent d’être évoquées. « Avec la France, il y a des liens particuliers. Nous avons un savoir-faire qui les intéresse dans les affaires, surtout dans le secteur de l’énergie ou de l’innovation. Et, pour ce qui est de l’influence, les officiels chinois savent que nous pesons dans l’UE, et corruptibles, deux arguments de choix », résume, narquois, Jean-Christophe Lépine.

L’homme d’affaires, qui a beaucoup travaillé en Chine dans le secteur de l’énergie, raconte en détail et avec précision la réalité des négociations dans ce pays. Dans le cadre de ses tractations sur place, il a croisé beaucoup de Chinois relais de l’opaque système politico-économique. « Ce qui coûte cher et qui est le plus dur, c’est de savoir comment atteindre le décideur. Il faut s’appuyer sur des Chinois, mais ensuite ça vous échappe. Ceux qui disent maîtriser ce qu’il se passe dans les prises de décision des partenaires ou des institutions en Chine mentent », affirme-t-il. Confirmant par expérience personnelle la place prépondérante des services et du parti communiste dans les affaires, il ajoute : « L’autre souci, c’est que, à un moment, il y a toujours quelqu’un du gouvernement qui va venir et geler l’atmosphère. Sur le coup, on ne comprend pas pourquoi l’ambiance d’un déjeuner se fait glaciale, puis on s’aperçoit qu’au bout de la table celui qu’on ne connaissait pas et qui ne paye pas de mine était en fait là pour faire un rapport. »

Les Français qui expliquent favoriser les intérêts de l’Hexagone en épousant la rhétorique chinoise ne datent pas d’hier. Un personnage dont le mystère est largement teinté de fantasmes a ainsi fréquenté et animé des grandes négociations depuis sa propriété de Saône-et-Loire. Son château très vieille France, Jean-Christophe Iseux en a fait un élément clé de sa panoplie d’intermédiaire fantasque. Celui qui a largement participé à s’affubler du surnom de « Baron rouge » est l’incarnation du tiraillement des prétendus intermédiaires discrets que l’on voit chercher de la publicité. Une page Wikipedia en anglais, quelques articles à sa gloire ici et là – sans actualité particulière le concernant – lui ont servi de carte de visite pendant des années. Avec toujours un soupçon de réalité dans ce qui est avancé. Un témoin, lui aussi intermédiaire dans des grands contrats internationaux, m’a ainsi raconté1 comment des officiels chinois se rendaient en Bourgogne au château du « Baron ». Et aussi qu’il se plaisait à organiser des voyages en Chine pour des Français. « Sur place, il disposait d’un chauffeur militaire et se targuait d’être membre spécial du Parlement chinois », confie celui qui l’a croisé. Une carte professionnelle du début des années 2010 confirme qu’il mettait en avant cet étrange titre de parlementaire, auquel il ajoutait celui de professeur et « directeur de recherches à l’Université de Chine ». Difficile de se faire un avis sur le personnage, dont le titre de noblesse tient beaucoup du slogan. Mais il a été impliqué durant les années 2000 –  mon contact me l’assure  – dans des négociations au plus haut niveau entre Areva et la Chine. Agent d’influence, aventurier excentrique ou baratineur ? Côté chinois, peu importe la réalité, tant qu’une personne per‑ met de positionner leurs intérêts dans des domaines stratégiques. Et c’est bien l’essentiel pour le pouvoir local : placer ses pions et acquérir technologie et savoir-faire.

L’espionnage et l’influence ne sont pas l’apanage de Pékin, mais le pouvoir communiste les a industrialisés et mis au cœur de sa stratégie d’expansion. Interrogé par France Culture, l’ancien chef de poste du MI6 dans la capitale résume une réalité qu’aucun Français y travaillant, fût-il ancien Premier ministre, ne peut ignorer : « La Chine est un État espion en soi, et non un État qui emploie des espions. »

Extrait du livre de Clément Fayol, « Ces Français au service de l’étranger, Affairisme, mélange des genres ou naïveté : quand notre élite oublie la France », publié aux éditions Plon.

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